28 juin par Sushovan Dhar
Ajay Banga, qui a introduit KFC et Pizza Hut en Inde et gagne quelque chose comme 5,2 milliards de roupies indiennes (INR) par jour, a pris les rênes de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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début juin. Il a été chaleureusement accueilli de toute part. « Les Administrateurs se réjouissent à la perspective de collaborer avec M. Banga au processus établi pour assurer l’évolution du Groupe de la Banque mondiale, » peut-on lire dans un communiqué de presse antérieur. Banga a été désigné pour ce poste fin février par le Président des États-Unis Joe Biden. Il était le seul candidat en lice pour remplacer le directeur de la Banque mondiale sortant, David Malpass. Selon Oxfam, « le véritable test d’Ajay Banga commence maintenant : réorienter la Banque mondiale pour s’attaquer aux inégalités extrêmes qui privent des milliards de personnes de toute sécurité économique et de dignité. Il faut que les nouveaux investissements nécessaires au développement soient dirigés par le secteur public et aient pour objectif de sortir les gens de la pauvreté - et nous avons besoin de garde-fous autour de la finance privée qui s’est emballée depuis trop longtemps. » [1]
Sa nomination est perçue comme l’illustration d’une tendance croissante à l’inclusion et à la diversité au sein des institutions financières internationales. Les commentateurs se réjouissent de cette victoire importante pour la promotion de la diversité aux plus hauts niveaux de direction.
Vishwaguru, dirigeant mondial
C’est là sans aucun doute une cause de fierté pour les Indiens, tant en Inde qu’à l’étranger, qui vient s’ajouter à l’émergence de Kamala Harris et de Rishi Sunak. La candidature du géant des affaires indo-américain Ajay Banga en tant que président de la Banque mondiale a reçu le soutien de lauréats du Prix Nobel comme de philanthropes et d’autres personnalités en vue. Il est néanmoins contestable que l’Inde revendique le titre de dirigeant mondial (“Vishwaguru”) si l’on tient compte des quelques 810 millions de ses citoyens en situation de famine, à la baisse du taux d’emploi et des salaires, aux inégalités flagrantes. D’après le Rapport sur les inégalités mondiales 2022, les 50% de ménages indiens aux revenus les plus faibles ne possèdent que 6% de la richesse du pays. Alors que les 10% et 1% de revenus supérieurs possèdent respectivement 65% et 33% de la richesse totale [2]. Certains Indiens ont cependant fort bien réussi. Ceux-là alimentent le rêve qui incite les parents de la classe moyenne en difficulté à pousser leurs propres enfants à réussir.
Entre-temps, les médias évoquent la valeur nette d’Ajay Banga en 2021 : 206 millions de dollars, soit plus de 17 milliards d’INR, et son salaire de 5,2 millions d’INR par jour en tant qu’ancien PDG de Mastercard. On se demande bien comment ces gens-là arrivent à dépenser leur argent. Après tout, on ne peut pas porter deux chemises terriblement chères l’une sur l’autre. Mais personne ne semble se poser de question sur ces transactions inévitables qu’utilisent les sociétés de cartes de crédit pour ruiner leurs clients. Bien peu remettent en cause le fait que Banga va servir les intérêts d’un groupe restreint de pays du Nord en tant que Président de la Banque mondiale, imposant par tous les moyens l’hégémonie capitaliste américaine à tous les récalcitrants, noirs ou de couleur.
La promotion d’Ajay Banga à cette position éminente à ce moment charnière peut être perçue comme un pas décisif dans cette direction alors que le G20 examine la possibilité de réformer les banques multilatérales de développement comme la Banque mondiale et le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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au cours de la présidence indienne. En fait, si Ajay Banga est bien né en Inde, il a obtenu la citoyenneté étatsunienne, ce qui a rendu possible sa sélection en tant que président. N’oublions pas que le FMI et la BM ont depuis leur création respectivement un président européen et un président étatsunien. Les États-Unis, ses alliés, les multinationales et les 1% les plus riches de la population mondiale ont toujours besoin d’un Américain pour veiller à leurs intérêts.
La Banque mondiale vante à l’envi son double objectif d’éradiquer l’extrême pauvreté et de promouvoir une prospérité partagée. Cependant, son dernier président n’a aucune expérience que ce soit en matière d’environnement et de climat ou de politiques de ‘développement’. Le principal atout d’Ajay Banga, ce sont ses relations dans les milieux d’affaires et de la finance. Son passé en tant que PDG d’organisations financières importantes telles que Citigroup et Mastercard démontre amplement que pendant son mandat il continuera à soutenir un système capitaliste extractiviste au moyen de prêts néolibéraux et de conditions imposées par la BM.
Mastercard et un récit d’inclusion
Le mandat d’Ajay Banga chez Mastercard est salué pour avoir soutenu une croissance inclusive et l’inclusion financière en ouvrant un Centre pour la Croissance inclusive. D’après certains, cette initiative visait à promouvoir un développement économique équitable et à étendre l’accès à des services financiers à des communautés mal desservies [3]. L’organisation affirme avoir fait entrer dans l’économie numérique 1 milliard de personnes, 50 millions de commerçants et 25 millions de femmes entrepreneures [4]. Un examen minutieux des récits d’inclusion financière de Mastercard nous aidera à y voir clair. « Dans son effort pour faire entrer dans le système bancaire 500 millions de pauvres de par le monde, Banga s’est associé à l’agence de sécurité sociale d’Afrique du Sud (SASSA) et Net1, imposant l’utilisation de cartes de débit MasterCard pour le versement des allocations. Ce système de paiement par carte était cense éviter aux Sud-Africains pauvres de longues files d’attente sous le soleil devant des services gouvernementaux (source de trop de décès chez les personnes âgées), les protéger des vols à la tire aux points de distribution et diminuer les coûts liés à l’utilisation d ‘argent liquide, permettant ainsi au gouvernement de réaliser des économies. » [5]
Alors que Mastercard avait rapidement distribué 10 millions de cartes, « Net1 créait des filiales qui vendraient des produits financiers Produits financiers Produits acquis au cours de l’exercice par une entreprise qui se rapportent à des éléments financiers (titres, comptes bancaires, devises, placements). à des bénéficiaires d’allocations, produits comprenant des prêts (Moneyline), des assurances (Smartlife), du temps de communication et de l’électricité (uManje Mobile) et les paiements (EasyPay).
En tant que fournisseur de service monopolistique, Net1 contrôlait l’entièreté du flux de paiement. La société occupait une position idéale pas seulement pour verser les allocations, mais pour vendre des produits financiers et prélever les remboursements au moment des versements.
Il était impossible que les bénéficiaires ne payent pas ces dettes puisque les remboursements étaient automatiquement déduits et ne dépendaient plus de leur comportement de consommateur. Comme les remboursements à Net1 réduisaient à rien leurs allocations sociales, les bénéficiaires se sont tournés vers d’autres prêteurs, formels et informels, dont la plupart se faisaient également rembourser automatiquement par les services de Net1.
Alors que Net1 prétendait faire des prêts sans intérêt, leur “charge” mensuelle dépassait généralement les 5% par mois. Bien que techniquement autorisés par la loi sur le crédit national, ces taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
s’élevaient à plus de 30 % sur un prêt standard de 6 mois. À l’époque, les taux d’intérêt sur une carte de crédit étaient légèrement supérieurs à 20 % par an. Grâce à ses crédits à taux élevés, Net1 a tiré davantage de revenus de ses produits d’inclusion financière que de la distribution d’allocations sociales entre 2015 et 2017. » [6] À l’heure actuelle, des milliards de ménages à bas revenu ont désormais un compte en banque et perçoivent des transferts en liquide. Ce qui a pour conséquence un endettement structurel qui s’ajoute à la possibilité de contracter des prêts, qui sont maintenant perçus comme un nouveau ‘droit’ social dans le sillage de la microfinance censée permettre aux gagne-petit de s’en sortir.
C’est là le signe de l’émergence d’une nouvelle forme de pauvreté, encore plus odieuse, conséquence directe de l’exploitation des plus vulnérables, les entraînant vers des niveaux d’endettement de plus en plus élevés afin de rembourser leurs dettes antérieures et de survivre. Les taux élevés d’endettement parmi les travailleurs pauvres et les plus défavorisés sont devenus un problème social préoccupant dans les pays les plus pauvres du monde, ainsi que dans les économies à revenu intermédiaire comme l’Afrique du Sud et le Brésil.
Voilà qui illustre le drame que représente la nomination de Banga au poste de président de la BM, ceci d’autant plus que l’urgence de la crise climatique appelle une nouvelle génération de mesures éco-sociales qui répondent véritablement et équitablement aux besoins de ceux qui continuent à payer – dans le Sud Global – les conséquences de mauvaises politiques de développement et la surconsommation et surproduction de gaz à effet de serre dans le Nord Global.
Les décisions de la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) doivent être approuvées par 85 % des membres votants. Or, les États-Unis disposent de fait d’un droit de veto puisqu’ils détiennent 15,47 % des droits de vote. Il n’y aura donc pas de changements substantiels au sein de la Banque mondiale. Qu’elle soit ou non dirigée par un citoyen américain issu de la grande industrie et de la finance, elle sera toujours une institution servant les intérêts des États-Unis. Elle continuera à accorder des prêts, qui sont généralement onéreux, en échange de clauses qui soutiennent et dérégulent le capitalisme, creusent les écarts sociaux et entre les sexes, et exacerbent les crises écologiques et climatiques.
Le mythe de la prééminence de l’Inde
Même si nous constatons qu’une série de personnes d’origine indienne occupent des postes de direction, il est temps de comprendre que les dirigeants de multinationales veillent nécessairement aux intérêts de leurs maîtres. Ils sont certes originaires de l’Inde, mais ce sont les intérêts et la loyauté qui comptent. Les mains du Premier ministre britannique Rishi Sunak ne trembleront pas s’il doit décider d’une politique qui favoriserait le Royaume-Uni au détriment de l’Inde. De même, au cours de ces quatre années, l’Inde n’a pas gagné un iota parce que la vice-présidente des États-Unis est d’origine indienne, même si cette origine est lointaine et sous-estimée ou surestimée.
Il serait donc peut-être plus sage de considérer la nomination de Banga ou celle de Sunak avec maturité et pondération. Après tout, leur « indianité » est un héritage qu’ils portent principalement parce que la couleur de leur peau ou leur patronyme ne leur permet pas de faire autrement. Mais leur accession au pouvoir économique ou politique - jusqu’à des sommets vertigineux - n’appartient qu’à eux.
Traduit par Christine Pagnoulle et Vicki Briault
[1] Oxfam reaction to the selection of Ajay Banga as President of the World Bank (traduction CADTM)
[5] Le passé dans la finance prédatrice d’Ajay Banga, le nouveau président de la Banque mondiale, promet encore davantage de pauvreté
[6] ibid.
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