Algérie : Questions économiques, enjeux politiques et rentrée sociale

7 octobre 2017 par Nadir Djermoune


Magharebia - flickr cc



Avec l’arrivée d’Ouyahia au gouvernement, version « réformateur libéral », comme il s’est lui-même défini, semble s’installer d’une manière assez forte l’option d’une intégration économique complète et libérale au marché mondial. Les hésitations à cette totale intégration, à titre de rappel, sont à l’actif Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
de ce même pouvoir et de ce même Ouyahia qui était « patriotique » dans un passé récent. Il continue à être le parfait technocrate, « commis de l’État », prêt à appliquer toutes les thérapies de choc nécessaires pour appliquer n’importe quel programme de choc. L’épisode Tebboune, qui a tenté une timide et solitaire tentative de rappeler les prérogatives « d’un État souverain contre le pouvoir de l’argent », sa rapide éviction, nous renseigne sur le rapport de force interne et externe au sein du pouvoir qui est désormais en faveur des « forces de l’argent ».

Le recours à la planche à billets, désigné techniquement comme « un financement interne non conventionnel », et qui consiste pour le Trésor public à emprunter directement auprès de la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. , cache mal l’objectif d’engager un réajustement structurel de l’économie au service du « climat des affaires », selon A. Abderezzak [1]. C’est un discours qui se veut technique et financier alarmant qui a comme fonction idéologique celle de casser ce qui reste de l’État social qui touche les acquis sociaux largement entamés par les mécanismes de marché. Il s’agit en fait de continuer les attaques contre les transferts sociaux, la politique des subventions, le système de retraite et abandonner le maigre système de protection sociale.

Ces mesures technico-financières se drapent aussi d’un discours souverainiste, pour un non recours à l’endettement extérieur en attendant une sortie de crise qui viendrait dans 5 ans, selon A. Ouyahia. Cette posture est saisie à l’envol par la critique ultralibérale aux aguets. Celle-ci, par la bouche de médias et de spécialistes de questions économiques et financières, pousse vers l’ultime solution financière à la crise qui est celle de l’endettement extérieur, appelée « vérité des prix » au nom de « la réalité du marché ». Le verdict est fait par l’économiste et ancien chef du gouvernement aujourd’hui opposant, A. Benbitour : « Au rythme de l’évolution des importations et du déficit public, on n’aura pas suffisamment de liquidités Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
pour continuer à alimenter le marché national du marché extérieur » [2], lance-t-il, considérant que le gouvernement a fait le choix de la facilité. Mais, insiste-t-il, « ce choix retarde, certes, un peu l’échéance, mais il ne traite nullement la crise, qui nécessite une thérapie de choc ». Thérapie de choc à travers le recours à l’endettement extérieur !!! C’est ce que Naomi Klein [3] appelle « capitalisme du désastre », c’est-à-dire un type d’opération consistant à lancer des raids systématiques contre la sphère publique au lendemain de cataclysmes et à traiter ces derniers comme des occasions d’engranger des profits. Or tous ces discours alarmants ont comme but de préparer l’opinion à accepter ce cataclysme financier comme fatalité.

Face à ces mesures, la solution est pourtant politique. Elle consiste à trouver les liquidités nécessaires, pour faire marcher la machine économique, dans le porte feuille des grandes fortunes, et à tracer un programme transitoire de résistance au rouleau compresseur libéral.

Au soubassement de ce débat économique en cette rentrée sociale et professionnelle s’invite l’enjeu relatif à la présidence. Des voix s’élèvent pour demander l’éviction du président et l’organisation d’une présidentielle anticipée. Quelle que soit la forme revendiquée et qui peut toujours trouver une légitimité juridique à travers l’article 102 de la constitution, ou encore politique vu la « disparition » du président de toute expression publique et de surcroît dans un régime qui se veut présidentiel, il n’en reste pas moins que ces acclamations cachent mal leur appel aux militaires comme l’ultime solution. Or, vu les rapports de force d’aujourd’hui, une présidentielle anticipée quelle que soit la forme qu’elle prendra reste inopérante dans une perspective d’un changement démocratique réel selon les aspirations populaires et des travailleurs. De toutes les manières, l’échéance d’un changement présidentiel est proche. Dans moins d’une année, l’enjeu au sommet du pouvoir deviendra crucial. C’est ce qui explique aussi le caractère aigu des changements opérés à la tête du gouvernement cet été. Pour une assemblées constituante peut-être une revendication démocratique toujours nécessaire de rappeler. Mais elle reste liée à un véritable processus constituant qui reste à construire.

Un dernier aspect qui marque cette rentrée est au niveau culturel et les batailles idéologiques à l’endroit de l’école. Le retrait de la « Bassmallah » comme introduction à la première page du livre scolaire —sauf le livre de l’éducation islamique-, l’introduction de quelques chapitres avec des rappelant les dispositions anti-discriminatoires de la Convention internationale sur les droits de l’enfant, la publication d’un décret établissant les règles de la prière dans les mosquées, le premier de son genre, destiné à améliorer la qualité de l’Adhan et à fixer l’intensité sonore des haut-parleurs, sont en cette rentrée sociale des signes timides qui prolongent la politique aussi timide et contradictoire de mener une attaque frontale contre la wahhabisme et l’islamisme djihadiste. Nous sommes bien évidement très loin d’une laïcisation de l’école et de la vie publique. La réaction des islamistes face à ces actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
dénote du rapport de force qui les place désormais sur la défensive.

Nadir Djermoune le 21-09-2017


Notes

[1Voir, « Le plan d’action d’Ouyahia est un nouveau programme d’ajustement structurel », ElWatan du 19-09-2017.

[2Voir A. Benbitour : « Les Algériens doivent se préparer à une inflation à quatre chiffres », https://www.algeriepatriotique.com/2017/09/20/

[3Naomi Klein, La stratégie du choc, la montée du capitalisme du désastre, Babel, 2008,