Communiqué de presse

Alors que 4 nouveaux pays vont y être éligibles, le CADTM dénonce les fondements même de l’initiative actuelle de réduction de la dette

19 avril 2006 par CADTM




Lors de leur assemblée de printemps le week-end prochain à Washington, selon un document publié hier, le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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et la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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vont proposer d’associer à terme 11 pays à l’initiative sur les « pays pauvres très endettés PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
 » (PPTE) en vue d’un allégement de leur dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
. Or cette annonce appelle plusieurs commentaires qui la font voir sous un jour totalement différent, tant sur la forme que sur le fond.

Sur la forme, le CADTM veut rétablir certaines vérités quant au nombre de pays concernés. A l’origine, la liste des pays potentiellement éligibles à l’initiative PPTE en comportait 42. Très vite, 4 d’entre eux ont été recalés car leur dette est jugée soutenable : l’Angola, le Kenya, le Vietnam et le Yémen. Ensuite, 2 pays ont refusé d’intégrer cette initiative et ont discrètement disparu de la liste : le Laos et la Birmanie. Enfin, sur les 11 pays mis en avant cette semaine par le FMI et la Banque mondiale, 7 font déjà partie de la liste des 42 et seuls 4 sont nouveaux : Haïti, l’Erythrée, le Népal et la République kirghize [1]. Le nombre total de pays susceptibles d’obtenir un allégement de dette est donc passé de 42 il y a quelques années à 40 aujourd’hui. Il n’y a donc pas de quoi pavoiser. Pis, deux autres pays étaient pressentis par le FMI et la Banque mondiale pour intégrer cette liste mais ils ont eux aussi refusé : le Sri Lanka et le Bhoutan. Cela permet d’émettre de sérieux doutes sur les fondements même de cette initiative qui, si elle était aussi généreuse qu’on le proclame dans les cercles officiels, devrait être accueillie avec enthousiasme dans tous les pays concernés.

Sur le fond, le CADTM veut avertir les citoyens des pays en question que pour eux, il n’y a aucune raison de se réjouir. Car il y a loin des annonces à la réalité. Le but officiel de l’initiative PPTE est de permettre aux pays concernés de faire face à « toutes leurs obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
présentes et futures en matière de service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. extérieure, sans rééchelonnement de la dette ou accumulation d’arriérés et sans affaiblir la croissance
 ». Pour cela, elle prévoit d’imposer des réformes économiques néolibérales dans la droite ligne de l’ajustement structurel imposé depuis les années 1980 et qui frappe durement les populations du Sud : augmentation des frais scolaires, des frais de santé et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ; suppression des subventions aux produits de base ; privatisations ; libéralisation de l’économie et mise en concurrence déloyale des producteurs locaux avec les transnationales... Généralement, cela conduit à une dégradation importante des conditions de vie de la majorité de la population et à une forme de recolonisation. En effet, les grandes décisions se prennent dorénavant à Washington (siège de la Banque mondiale et du FMI) et au Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
.

Une fois parvenu au point d’achèvement, le pays doit voir sa dette réduite de façon à permettre la poursuite régulière des remboursements. En somme, seules les créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). impayables sont annulées, puisque ces pays ne parvenaient pas auparavant à rembourser la totalité de ce qu’ils devaient. Les maigres fonds dégagés peuvent servir à financer quelques dépenses sociales de façade, mais dans le même temps, l’Etat n’a pas le droit de former et de recruter davantage d’enseignants, de médecins ou d’infirmières car le FMI lui interdit d’augmenter la masse salariale de la fonction publique. Ces effets de manche sur la réduction de la pauvreté permettent de récupérer les revendications des contestataires sans remettre en cause la logique même qui a conduit ces pays au surendettement et à une pauvreté galopante. Que ce soit l’annonce du renforcement de l’initiative PPTE en juin 1999, celle de juin 2005 sur la dette multilatérale des mêmes PPTE ou celle qui se prépare à propos des nouveaux pays, le triomphalisme est de mise : selon le discours officiel, des dizaines de milliards de dollars de dette sont annulés, la pauvreté va reculer de manière impressionnante, c’est historique.

Aujourd’hui, le bilan est désastreux : moins de la moitié des PPTE ont achevé le processus qui devait s’arrêter fin 2004 et qui a dû être prolongé pour éviter un fiasco. Les belles annonces se sont dégonflées comme un ballon de baudruche : entre 1999 et 2003, la dette extérieure publique des 18 pays ayant atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE est passée de 68 à 73 milliards de dollars [2].

L’initiative PPTE qui était présentée comme une avancée majeure n’a pas permis d’éliminer la dette des pays les plus pauvres. Plus grave, à cause des conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. qui lui sont liées, elle a renforcé leur dépendance à l’égard de l’extérieur, augmenté les inégalités, dégradé gravement la qualité des services publics. Elle se solde par un échec retentissant, que l’initiative supplémentaire de réduction de la dette prise en juin 2005 par les pays du G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. ne parvient pas à dissimuler. Dans ces conditions, la nouvelle liste du FMI et de la Banque mondiale étudiée dans quelques jours ne changera rien à l’affaire.

L’implacable mécanique qui crée dette et pauvreté est toujours en place. Pour sa part, le CADTM réclame un changement radical de logique : l’annulation totale et inconditionnelle de la dette de tous les pays en développement, l’abandon des politiques d’ajustement structurel et un financement du développement à la hauteur des besoins sociaux par une redistribution massive de la richesse sur la planète.


Notes

[1Les 7 autres sont la République centrafricaine, les Comores, la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Somalie, le Soudan et le Togo. La décision concernant l’Afghanistan est en suspens, faute de statistiques fiables.

[2Calcul du CADTM d’après Banque mondiale, Global Development Finance 2005.

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