Forum social de Bamako

Aminata Touré Barry : « Nous vivons sur un continent appauvri par des politiques imposées à nos gouvernements »

21 janvier 2006 par Thomas Lemahieu


Présidente de la Coordination des alternatives africaines dette et développement (CAD-Mali), Aminata Touré Barry compte parmi les organisateurs du Forum social mondial. Entretien.



Que peut charrier le premier FSM au Mali ?

Barry Aminata Touré. Le forum doit permettre de renforcer la dynamique des mouvements sociaux dans toute l’Afrique et, en particulier, au Mali. En Afrique de l’Ouest, les mouvements sociaux ne sont traditionnellement pas bien forts, à l’inverse de l’Afrique du Sud ou de l’Amérique latine. Le FSM nous permet de constater qu’en fait les ONG et les associations peuvent se retrouver dans un cadre différent : celui du changement social. Dans l’association où je travaille, on essaie d’avoir des petits projets humanitaires pour aider les femmes, mais quand on regarde le mécanisme global à l’œuvre, on doit se demander si tout ça est bien utile... Les montants d’aide que nous donnons ne servent pas à un développement réel : depuis des années, le Mali a des appuis, mais il n’arrive pas à sortir de la nasse. À cause de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, bien sûr ! Nous nous positionnons donc comme mouvement social, car tant qu’on n’annule pas intégralement la dette de nos pays, nous resterons dans ce cercle vicieux.

Et qu’apporte l’Afrique au processus des FSM ?

Barry Aminata Touré. Dans les pays du Nord, chacun écrit ce qu’il veut, mais vivre la réalité en terre africaine est la seule solution pour comprendre l’Afrique. Nous ne sommes pas un continent très pauvre, mais il est appauvri par des politiques imposées à nos gouvernements. C’est criant ici à Bamako, on voit les femmes actives, les jeunes aussi, mais il y a la pauvreté quand même à cause des ajustements structurels ! À notre niveau, nous élargissons l’horizon du mouvement altermondialiste. Les années précédentes, il n’y avait que quelques Africains à Porto Alegre ou à Mumbai à cause du prix des billets, mais avec la venue sur nos terres, ça change tout. En mai dernier, pour les premières réunions de préparation du FSM, nous n’étions qu’une quarantaine d’organisations du Mali, mais aujourd’hui nous sommes plus de trois cents. L’Afrique bouge, tout le continent sera représenté au forum. Et, on le voit avec le gouvernement malien, nos dirigeants, un peu réticents au début, commencent à s’intéresser à nos travaux...

Avec un espace spécifique, le forum de Bamako réserve une place particulière aux femmes... Pourquoi ?

Barry Aminata Touré. Une majorité écrasante de femmes en Afrique sont analphabètes : elles subissent de plein fouet toutes les violences des politiques néolibérales, et au bout du compte, elles n’ont rien. Dans le secteur informel, ce sont les femmes qui sont les plus nombreuses, et ce sont souvent elles qui luttent. Le FSM est une occasion de faire de l’éducation populaire. À travers ce que chacune vit, les femmes prennent conscience du monde tel qu’il est. Elles sont pauvres, mais elles ont un savoir, une compréhension du monde, une intelligence de situation. Mettre les femmes dans un mouvement social, c’est un défi immense, mais nous pouvons le relever.

Entretien réalisé par T. L.


Source : L’Humanité (www.humanite.presse.fr/).

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