Carte blanche publiée par le journal Le Soir le 1er avril 2016
4 avril 2016 par Renaud Vivien
CC - Wikimedia
Le Parlement argentin vient de donner son feu vert pour verser 10 milliards de dollars aux créanciers qui ont refusé de participer à la restructuration de la dette argentine en 2005 et 2010. Parmi ces créanciers qui ne détenaient que 7% de cette dette, on trouve plusieurs « fonds vautours », ces fonds d’investissements qui rachètent à prix bradés des créances sur les États puis les poursuivent en justice dans le seul but de réaliser des profits colossaux.
Le plus célèbre d’entre eux se nomme NML Capital. Son siège se trouve dans un paradis fiscal
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
(Îles Caïmans) comme la plupart des fonds vautours
Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
. Il va recevoir 2,28 milliards de dollars, une somme vingt cinq fois supérieure à ce qu’il a déboursé pour racheter des titres de la dette
Titres de la dette
Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
argentine après le défaut de paiement de l’Argentine en 2001. Comme le relève la loi belge contre les fonds vautours adoptée en juillet 2015, l’une des caractéristiques de ces spéculateurs est de profiter de la détresse financière des États pour racheter à très bas prix des créances
Créances
Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
sur ces pays puis de réclamer 100% de la valeur faciale plus les intérêts. A côté de ces fonds d’investissement
Fonds d’investissement
Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise.
, on trouve aussi des banques comme la BNP Paribas qui va recevoir 52,4 millions de dollars ; ce qui représente 150 % de la valeur nominale des créances qu’elles détenaient sur l’Argentine [1].
La suspension par les autorités argentines du paiement de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
argentine afin de donner la priorité à la population durement frappée par la crise en 2001 s’était accompagnée d’une rupture avec le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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en raison de sa responsabilité dans cette crise. Cette décision a été bénéfique pour l’économie argentine qui a enregistré un taux de croissance de 7 à 9 % de 2003 à 2009 alors que le pays n’avait plus accès aux marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
. Mais depuis l’élection de Mauricio Macri fin 2015, le FMI, qui sert les intérêts financiers tout comme Macri, s’apprête à faire son retour en Argentine. Sans surprise, le FMI applaudit l’accord conclu avec les vautours car il va permettre à l’Argentine de se réendetter sur les marché financiers...pour payer ces spéculateurs. Le gouvernement argentin s’apprête à émettre de nouveaux titres de la dette pour 12,5 milliards de dollars à des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
d’au moins 8% [2].
Cette victoire des fonds vautours a aussi des conséquences au niveau mondial puisqu’elle les encourage à poursuivre leur entreprise funeste en s’appuyant sur la jurisprudence « Griesa » du nom de ce juge new-yorkais qui a donné raison aux fonds vautours contre l’Argentine sur des bases juridiques très contestables. L’argent empoché sur le dos du peuple argentin pourra aussi leur servir à se payer d’autres actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
en justice contre d’autres États et à faire du « lobbying » auprès des décideurs politiques pour que ces derniers ne changent pas les lois ; le droit étant le terrain de jeu des fonds vautours. Rappelons que NML Capital appartient au groupe Elliott qui est dirigé par le milliardaire Paul Singer, un des principaux donateurs du Parti républicain aux États-Unis. Son fonds vautours est bien connu des dirigeants politiques puisqu’il gagne des procès depuis une vingtaine d’années contre des pays aussi divers que le Pérou, la Côte d’Ivoire, le Panama, la Pologne, le Vietnam ou encore la RDC.
Aucun pays n’est à l’abri. En Europe, la Grèce a été attaquée en 2012. Aujourd’hui deux fonds vautours dont NML Capital s’en prennent à la Belgique en demandant à Cour constitutionnelle belge d’annuler la loi de juillet 2015. Cette loi, écrite avec l’expertise du CADTM et des coupoles CNCD et 11.11.11, interdit à toute personne qui rachète une créance de réclamer plus que le prix d’achat qu’il a payé pour acquérir cette créance lorsque deux conditions (au minimum) sont réunies. Pour qu’un créancier soit débouté de son action en Belgique, la condition obligatoire est « l’existence d’une disproportion manifeste entre la valeur de rachat de l’emprunt ou de la créance par le créancier et la valeur faciale de l’emprunt ou de la créance ou encore entre la valeur de rachat de l’emprunt ou de la créance par le créancier et les sommes dont il demande le paiement ». A côté de ce critère obligatoire, le juge belge doit également identifier au moins un élément listé avec précision dans la loi comme la situation de détresse financière de l’État au moment du rachat de la créance ; la domiciliation du créancier dans un paradis fiscal ; son refus de participer à la restructuration de la dette ou encore l’impact néfaste de son action sur les conditions de vie de la population de l’État attaqué. Si tel est le cas, l’avantage poursuivi par le créancier est qualifié « illégitime [3] ». En conséquence, il ne pourra recevoir que le montant qu’il a déboursé pour racheter la créance, y compris dans le cas où il a obtenu une décision favorable à l’étranger (comme un jugement rendu aux États-Unis).
Cette offensive des fonds vautours contre la loi belge devrait pousser le gouvernement à agir au niveau international en promouvant cette loi afin qu’un maximum d’États adoptent des lois similaires et mettent ainsi en échec les fonds vautours devant les tribunaux. Le gouvernement belge devrait aussi, au moins pour des raisons de cohérence, soutenir les initiatives internationales pour obliger les vautours à participer aux restructurations de dettes. Au lieu de cela, le gouvernement prend des positions totalement à l’opposé. En septembre 2015, la Belgique n’a pas voté en faveur de la résolution de l’ONU visant à mettre en place un cadre juridique international pour les restructuration de dettes publiques. L’adoption d’un tel cadre permettrait pourtant d’entraver l’action des fonds vautours.
La Belgique doit aussi mettre en application les résolutions parlementaires qui demandent la mise en place d’un audit de ses créances pour identifier et annuler toutes celles qui sont odieuses. Une partie de la dette argentine est clairement odieuse car elle a été contractée pendant la dictature qui a sévi entre 1976 et 1982, une période marquée par 470 opérations frauduleuses relatives à l’endettement selon les juges argentins [4].
Source : Le Soir
membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.
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