19 mars par Maxime Perriot

Photo : International Monetary Fund, CC, Flickr, https://www.flickr.com/photos/imfphoto/51103245091
Dans la série influence du FMI sur les pays du Sud global, l’Argentine est un incontournable. Ce pays a d’abord, sous la présidence de Juan Domingo Perón, refusé d’adhérer au FMI et à la Banque mondiale, avant de le faire en 1956 sous la dictature pro Washington et conservatrice. Depuis, les gouvernements argentins successifs ont signé 22 accords avec le Fonds monétaire international.
En 2001, l’Argentine est entrée en défaut de paiement sur plus 70 milliards de dollars US dus à des créanciers privés. Cet épisode a provoqué d’énormes mobilisations populaires durement réprimées et la chute de quatre présidents en une semaine, une situation économique et sociale terrible pendant plusieurs mois. Alors que le pays avait arrêté les remboursements aux créanciers privés et aux pays membres du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par une Française. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, les remboursements à l’égard du Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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ont été poursuivis.
L’Argentine a ensuite considérablement réduit son endettement envers le FMI pendant une dizaine d’années (2007-2017), jusqu’à la décision du très néolibéral Mauricio Macri en 2018. En grandes difficultés économiques – avec une hausse des inégalités, de la pauvreté et une inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. galopante – Mauricio Macri a « bénéficié » d’un prêt historique du FMI, de plus de 50 milliards de dollars dont 44 ont été effectivement déboursés. Un prêt qui devait permettre à Macri de sauver son mandat et d’être réélu grâce à des dépenses permises par ce prêt démesuré, quitte à plonger l’Argentine dans des décennies de remboursements et d’imposition des conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. politiques habituelles de l’institution de Bretton Woods.
Mauricio Macri n’a pas été réélu. Son successeur, Alberto Fernandez, qui avait promis de libérer le pays des politiques imposées par le FMI, a finalement continué à négocier avec. Comme on le voit dans le graphique 1 et 2, l’Argentine a réemprunté au Fonds monétaire international (23,4 milliards de dollars en 2022 et 12,7 milliards de dollars en 2023) pour rembourser une partie des 44 milliards de dollars emprunté en 2018 et 2019. Ce prêt de 23,4 milliards de dollars a servi à effectuer les remboursements de 18,6 milliards de dollars en 2022 et de 21 milliards de dollars en 2023 que l’on voit dans le graphique 2.
Graphique 1 : Prêts du FMI à l’Argentine (en milliards de dollars US courants)
Graphique 2 : Remboursements et charges versés par l’Argentine au FMI (en milliards de dollars US courants)
Source : International debt statistics, Banque mondiale
L’accord historique signé par le FMI avec l’Argentine en 2018 – et la dose d’austérité qui est allée avec – a eu des conséquences très concrètes sur les classes populaires et spécifiquement sur les femmes. En voici quelques exemples :
Graphique 3 : Dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
de l’Argentine envers le FMI (en milliards de dollars US courants)
Source : International debt statistics, Banque mondiale
Et ce n’est pas terminé, puisque l’Argentine doit encore 40 milliards de dollars au FMI (Graphique 3). En prenant une décision pour sauver son mandat, Mauricio Macri a donc « offert » au moins une décennie d’austérité à son pays, étant donné que le gouvernement de gauche d’Alberto Fernandez n’a pas eu le courage de remettre en cause les remboursements. C’est en partie ce manque de courage qui a abouti à l’élection de Javier Milei comme président fin 2023. Ce dernier, partisan d’un néolibéralisme poussé à l’extrême, sans aucune règle, s’accommode très bien des conditionnalités du Fonds monétaire international. La dette qui appauvrit la population et qui ne fait que creuser les inégalités doit être auditée et annulée. La population argentine ne doit pas être condamnée à payer une dette clairement odieuse.
Le Sud global traverse une crise de la dette comparable à celle des années 1980, car les mêmes caractéristiques en ressortent : comme dans les années 1970, les pays des Suds ont été encouragés à s’endetter, car les capitalistes du Nord cherchaient des rémunérations plus importantes qu’au Nord, le FMI et/ou la Banque mondiale sont à la manœuvre, des conditionnalités néolibérales sont appliquées… Comme dans la crise de la dette des années 1980, c’est une hausse subite des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
qui a participé à déclencher la crise de la dette. Si cette crise touche le Sud global dans son ensemble, des zones ou pays sont particulièrement touchés, tels que le Sri Lanka, l’Afrique subsaharienne, ou encore l’Argentine.
Face aux conséquences de la pandémie mondiale de Covid-19 en 2020, de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, puis de la décision unilatérale des grandes banques centrales occidentales d’augmenter subitement les taux d’intérêt en juin 2022, les gouvernements des Suds auraient pu mobiliser le changement fondamental de circonstances. Cet argument de droit international aurait pu leur permettre de suspendre le paiement de leur dette et d’entrer dans un rapport de force favorable face aux créanciers pour renégocier leurs dettes, organiser des audits et annuler une partie de leur endettement.
Ils auraient pu s’appuyer sur des mouvements sociaux très puissants qui ont eu lieu au Sri Lanka, au Nigeria, au Kenya, ou encore au Bangladesh depuis 2022. Au Nigéria et au Kenya, les manifestantes ciblaient directement le Fonds monétaire international, une aubaine pour mettre fin au système de domination des institutions de Bretton Woods sur les pays des Suds.
Mobiliser le changement fondamental de circonstance en s’appuyant sur des mouvements sociaux aurait fourni une légitimité populaire et une légitimité issue du droit international pour rentrer en résistance face aux créanciers et aux conditionnalités imposées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.
C’est possible. Par exemple, le gouvernement malien n’a pas hésité à arrêter des dirigeants de grandes entreprises minières étrangères installées sur son sol pour récupérer des impôts impayés. Il ne faut pas hésiter à prendre de telles mesures contre les puissants qui pillent les pays du Sud, en utilisant l’argent récupéré améliorer les conditions de vie des populations, pas pour rembourser les dettes illégitimes.
Cette résistance devrait prendre la forme d’un défaut de paiement accompagnée par l’organisation d’un audit citoyen de la dette et de l’annulation de sa part illégitime. L’annulation de dette doit être accompagnée de mesures sociales, écologiques, féministes radicales. Les budgets de l’éducation, de la santé, pour la bifurcation écologique et pour lutter contre le patriarcat doivent être drastiquement augmentés. L’annulation d’une partie de la dette publique permettra de libérer des ressources en ce sens, au même titre que la taxation des plus riches et des grandes entreprises du Nord qui pillent les pays des Suds. Ces mesures de justice fiscale devront s’accompagner d’une nouvelle discipline financière, en restaurant des contrôles stricts sur les mouvements de capitaux et des marchandises, en levant le secret bancaire, en interdisant les paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
, la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
et l’usure.
La dette publique pourrait constituer un instrument de financement d’un vaste programme de bifurcationécologiste-féministe-socialiste, au lieu de servir à imposer des politiques antisociales, extractivistes, productivistes, favorisant la compétition entre les peuples [2]. Les pouvoirs publics peuvent recourir à l’emprunt pour :
[1] Beatriz Ortiz, Veronica Gago, Luci Cavallero, « La dette est une guerre contre l’autonomie des femmes », CADTM, 2021, https://www.cadtm.org/La-dette-est-une-guerre-contre-l-autonomie-des-femmes.
[2] Voir la Charte politique du réseau CADTM International, https://www.cadtm.org/Charte-politique-du-reseau-CADTM-International
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