Déclaration de LVC
18 juillet 2022 par La Via Campesina
« Globalisons la lutte, globalisons l’espoir » ; ce slogan nous a donné l’unité au cours de ces 30 années d’histoire de La Via Campesina. Elle nous a guidés dans la lutte sans relâche contre l’intervention de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), contre la commercialisation des aliments au service des grandes entreprises capitalistes qui ont transformé les aliments en marchandises, et dans la lutte pour la souveraineté alimentaire. Mais aujourd’hui, il y a de nouveaux défis. Des crises de la faim éclatent dans plusieurs pays. Face à cela, La Via Campesina souhaite partager son analyse de la situation et ses revendications pour un changement urgent et radical des politiques internationales et nationales.
Nous vivons aujourd’hui, dans le monde entier, au milieu de crises simultanées, graves, intenses et prolongées, avec des changements très rapides dans la corrélation des forces et dans la lutte politique. Une crise économique profonde et structurelle qui touche les principaux pays du centre capitaliste ainsi que les pays pauvres et en développement. Nous appelons cette crise structurelle car elle est le résultat de l’organisation du système et il n’est pas possible de la surmonter sans s’attaquer aux fondements du capitalisme lui-même. Cette crise apparaît et s’approfondit dans l’économie, les inégalités sociales, les limites de la démocratie bourgeoise, l’inefficacité de l’État, le poids insoutenable de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique, l’atteinte à la souveraineté des peuples et une véritable crise des valeurs civilisationnelles. Où la barbarie émerge dans diverses régions de la planète, sous forme de haine, de violence, de guerres et de prêches fascistes.
Nous vivons une crise environnementale qui fait partie de cette crise structurelle. Elle est aggravée parce qu’elle est une conséquence des agressions quotidiennes que les capitalistes mènent contre la nature, qui s’intensifient avec la crise, en essayant de privatiser les biens communs et, en particulier, en s’appropriant les minéraux, l’eau, les forêts, la biodiversité pour les transformer en marchandises et obtenir un profit extraordinaire, un revenu qu’ils n’auraient pas dans les usines, le commerce ou même avec la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
financière.
C’est pourquoi la conférence COP26, convoquée pour discuter de la crise climatique, a été un échec, car les capitalistes ne veulent pas renoncer à leurs profits pour sauver la nature et la planète. Au lieu de cela, la seule chose qu’ils veulent faire est de créer des mécanismes de crédit carbone pour augmenter encore leurs profits. Notre planète est déjà en état d’alerte, de nombreuses espèces disparaissent, et avec la hausse des températures et du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, les êtres humains eux-mêmes sont en danger.
S’ajoutant à la crise structurelle du capitalisme qui était déjà en place, l’apparition du Covid-19 a généré d’énormes perturbations et accru les inégalités dans le monde entier.
Les personnes à faible revenu ont été les plus vulnérables au Covid-19, à la fois parce que la plupart des gouvernements n’ont pas fourni les moyens suffisants pour que les gens restent chez eux, de sorte que les personnes les plus pauvres ont dû continuer à travailler et affronter le virus, mais aussi en raison des énormes inégalités d’accès aux services de santé, aux dispositifs de protection tels que les masques ou le gel hydroalcoolique et aux vaccins. Cette inégalité s’est manifestée tant au sein des pays qu’au niveau international, car les grandes industries médicales et pharmaceutiques suivent la logique du simple profit et non celle de sauver des vies, et destinent les médicaments uniquement aux pays riches.
Ainsi, la crise s’est aggravée dans toutes ses dimensions économiques, sociales et environnementales. Au lieu de s’attaquer aux causes réelles de la crise, le système lui-même, les capitalistes accélèrent la destruction de la nature pour produire davantage de biens et font payer la facture de la crise aux travailleurs et travailleuses en leur retirant leurs droits, en augmentant l’exploitation et la répression, en réduisant les salaires, etc.
En plus de tout cela, nous sommes au milieu de plusieurs guerres, au Yémen, en Palestine, en Syrie, en Libye et, enfin, en Ukraine. Le déclenchement de la guerre en Ukraine crée des menaces géopolitiques majeures, tant en Europe que dans le monde.
Le plus important en temps de guerre pour La Via Campesina est de défendre les principes qui nous ont amenés politiquement jusqu’à aujourd’hui et qui sont déterminants et fondamentaux pour notre position. Ces principes sont inscrits dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales. Le premier est la défense intransigeante de la vie et de la paix. La seconde est la défense de la souveraineté des peuples contre les guerres et contre la destruction des structures sociales.
La principale conséquence de ces guerres est la perte de nombreuses vies humaines, prises pour des raisons presque toujours sans rapport avec leur vie quotidienne. Des millions de personnes sont mutilées par la guerre, tant physiquement que psychologiquement en raison du traumatisme lié à la perte de leur famille et de leurs ami.e.s, de la destruction de leur espace vital et du sentiment de peur et de frustration d’avoir quitté leur terre, sans rien, en laissant derrière eux tout ce qu’ils avaient construit pour fuir la guerre et tenter de sauver leur vie et celle de leur famille.
Le monde subira des conséquences à plusieurs niveaux, comme l’aggravation de la crise économique, que nous connaissons depuis 2008, mais qui, avec la guerre, tend à augmenter en intensité. Cela aura sans aucun doute des conséquences directes et indirectes dans de nombreux domaines, mais surtout dans la production alimentaire. Cela signifie une crise de l’approvisionnement, une augmentation des prix des denrées alimentaires, une hausse de l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. et une possible augmentation de la valeur du dollar. La tendance est que la crise économique s’étende à tous les pays à mesure que la guerre s’aggrave et se prolonge. On dit souvent que “nous savons quand une guerre commence, mais nous ne pouvons pas prédire quand, ni comment elle se terminera”.
Il est encore trop tôt pour prédire quelles seront les conséquences de la guerre, en Europe et au-delà de l’Europe, en matière de politique, d’économie, de conflits géopolitiques et pour l’agriculture.
Cependant, ces différentes crises ont de graves conséquences sur les systèmes alimentaires du monde entier, principalement parce que les gouvernements, les sociétés transnationales et les institutions internationales ont donné la priorité au développement de l’importation et exportation de produits alimentaires et agricoles plutôt qu’au soutien de systèmes alimentaires locaux et nationaux stables visant à produire une alimentation saine pour les populations. Cela a créé une dépendance à l’égard des marchés internationaux.
Aujourd’hui encore, plus de 85 % de la production agricole ne fait pas l’objet d’échanges internationaux. Ce que nous vivons, c’est une crise du système alimentaire capitaliste mondialisé et industrialisé, alors que les systèmes alimentaires paysans locaux font preuve de résilience.
Aujourd’hui, la crise n’est pas liée aux pénuries alimentaires mondiales, mais à la spéculation sur les prix. Les pays qui sont devenus dépendants des importations alimentaires sont désormais incapables de payer les prix très élevés auxquels les céréales sont actuellement vendues sur les marchés internationaux. Nous pouvons dire que malheureusement la convoitise du capital peut conduire à une crise dans la distribution des aliments dans le monde et certainement à une augmentation de la faim, surtout dans les pays qui souffrent déjà de la famine. L’agriculture mondiale produit suffisamment pour résister à une période de crise plus longue. Le problème n’est pas le manque de nourriture, mais le fait que les grandes sociétés capitalistes qui dominent le marché financier
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
et de distribution mondial ont transformé le commerce des produits alimentaires et agricoles en un marché hautement spéculatif. La plupart des “matières premières” négociées au niveau international font désormais l’objet de contrats à terme qui peuvent être échangés sur le marché boursier plusieurs centaines de fois par jour. Le prix auquel ces produits sont finalement vendus aux pays qui en ont besoin pour nourrir leur population n’a aucun rapport avec les véritables coûts de production, ni avec le pouvoir d’achat des pays importateurs.
En outre, dans une tentative cynique de tirer profit de la guerre en Ukraine, les États-Unis, le Canada et l’UE appellent désormais à une augmentation sans précédent de la production céréalière, non pas autant pour nourrir les populations des pays importateurs de denrées alimentaires, sinon que pour conquérir de nouveaux marchés qui étaient auparavant approvisionnés par la Russie ou l’Ukraine.
La plupart des politiques qui assuraient une protection contre les crises internationales ou nationales (catastrophes naturelles, pandémies, guerres ou conflits internationaux…) telles que la constitution de stocks publics stratégiques, le contrôle réglementaire des stocks, la régulation des marchés ou d’autres politiques publiques nécessaires, ont été progressivement démantelées au cours de la dernière décennie sous la pression du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, de l’OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
et des accords bilatéraux de libre-échange. Ces stratégies de protection face aux crises alimentaires, qui font partie intégrante des procédures stratégiques de défense de la souveraineté nationale, ont toujours été la tâche des États. Cependant, le néolibéralisme, en tant que modèle de développement capitaliste, mis en œuvre dans la plupart des nations dans les années 1980 et 1990, a promu, au nom de la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
économique , l’ouverture totale des frontières pour la libre circulation des marchandises contrôlées par les grandes entreprises capitalistes et la privatisation des structures de stockage et de distribution.
À la suite de ce processus, la plupart des nations sont devenues les otages du marché et des intérêts des grandes entreprises transnationales, qui contrôlent la production, le stockage, l’industrialisation, le financement et la distribution du marché alimentaire mondial. Le stockage et le contrôle des stocks alimentaires est désormais contrôlé par le marché, au service du capital, c’est pourquoi c’est notre défi de reprendre dans tous les pays la construction de stocks issus de l’agriculture paysanne, ainsi que la commercialisation des aliments entre les pays, qui doit se faire avec de nouveaux paramètres et réglementations.
Alors que l’agrobusiness s’oriente vers la digitalisation de l’agriculture avec la technologie 4.0, nous avons obtenu l’approbation en 2018 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et paysannes et autres personnes travaillant dans les zones rurales. Ce moment historique est l’occasion de dénoncer l’épuisement du modèle de production basé sur le paquet technologique, et de présenter les paysans et paysannes comme l’alternative pour le présent et l’avenir. Produire des aliments sains, protéger la nature et créer de nouvelles relations sociales dans les campagnes, une vie digne, la souveraineté alimentaire et la souveraineté des peuples. Nous devons garder à l’esprit que les nouvelles technologies entraînent le chômage et l’expulsion des paysannes et des paysans des campagnes, favorisant les migrations forcées et la misère.
Face à ce contexte dramatique, La Via Campesina exprime des exigences et des propositions fortes pour faire face à la crise, tant à court qu’à long terme.
Nous exigeons une action immédiate pour :
Nous demandons des changements radicaux dans les politiques internationales, régionales et nationales afin de reconstruire la souveraineté alimentaire à travers :
Pour consulter et télécharger la déclaration en pdf : https://viacampesina.org/fr/wp-content/uploads/sites/4/2022/06/LVC-analysefoodcrisis_FR-1.pdf
La Via Campesina | Bagnolet | 03 juin 2022
Source : La Via Campesina
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