Au Paraguay, le changement a commencé…

30 octobre 2012 par Gustavo Zaracho




M. Federico Franco, qui occupe la présidence du Paraguay depuis le « coup d’Etat parlementaire » du 22 juin 2012 [1], ne perd plus une occasion de montrer qu’il va régulièrement à la messe : très proche des milieux catholiques conservateurs, il souhaite sans doute plaire au Vatican qui, avec Taiwan, est l’un des rares Etats du monde à avoir reconnu son gouvernement de facto.

S’imaginait-il toutefois que sa nouvelle ferveur serait source de tracas ? Le 6 septembre dernier, lors d’une cérémonie religieuse à laquelle assistait M. Franco, Monseigneur Melanio Medina — véritable symbole national de la lutte contre la dictature d’Alfredo Stroessner (1954-1989) et ancien président de la Commission « vérité et justice du pays » — profite de son homélie pour critiquer les semences génétiquement modifiées, dont le Paraguay entend libéraliser encore davantage l’utilisation. M. Franco se lève et l’interrompt. A son tour, il prend la parole et se lance dans un « prêche » en faveur des organismes génétiquement modifiés (OGM OGM
Organisme génétiquement modifié
Organisme vivant (végétal ou animal) sur lequel on a procédé à une manipulation génétique afin de modifier ses qualités, en général afin de le rendre résistant à un herbicide ou un pesticide. En 2000, les OGM couvraient plus de 40 millions d’hectares, concernant pour les trois-quarts le soja et le maïs. Les principaux pays producteurs étaient les USA, l’Argentine et le Canada. Les plantes génétiquement modifiées sont en général produites intensivement pour l’alimentation du bétail des pays riches. Leur existence pose trois problèmes.


- Problème sanitaire. Outre la présence de nouveaux gènes dont les effets ne sont pas toujours connus, la résistance à un herbicide implique que le producteur va multiplier son utilisation. Les produits OGM (notamment le soja américain) se retrouvent gorgés d’herbicide dont dont on ignore les effets sur la santé humaine. De plus, pour incorporer le gène nouveau, on l’associe à un gène de résistance à un antibiotique, on bombarde des cellules saines et on cultive le tout dans une solution en présence de cet antibiotique pour ne conserver que les cellules effectivement modifiées.


- Problème juridique. Les OGM sont développés à l’initiative des seules transnationales de l’agrochimie comme Monsanto, pour toucher les royalties sur les brevets associés. Elles procèdent par coups de boutoir pour enfoncer une législation lacunaire devant ces objets nouveaux. Les agriculteurs deviennent alors dépendants de ces firmes. Les États se défendent comme ils peuvent, bien souvent complices, et ils sont fort démunis quand on découvre une présence malencontreuse d’OGM dans des semences que l’on croyait saines : destruction de colza transgénique dans le nord de la France en mai 2000 (Advanta Seeds), non destruction de maïs transgénique sur 2600 ha en Lot et Garonne en juin 2000 (Golden Harvest), retrait de la distribution de galettes de maïs Taco Bell aux USA en octobre 2000 (Aventis). En outre, lors du vote par le parlement européen de la recommandation du 12/4/2000, l’amendement définissant la responsabilité des producteurs a été rejeté.


- Problème alimentaire. Les OGM sont inutiles au Nord où il y a surproduction et où il faudrait bien mieux promouvoir une agriculture paysanne et saine, inutiles au Sud qui ne pourra pas se payer ces semences chères et les pesticides qui vont avec, ou alors cela déséquilibrera toute la production traditionnelle. Il est clair selon la FAO que la faim dans le monde ne résulte pas d’une production insuffisante.
), avant de justifier l’autorisation de nouvelles variétés sur les terres de la République. S’enflammant, il exige de l’évêque qu’il lui fournisse les preuves de la dangerosité de semences transgéniques, s’engageant à les faire interdire si les documents étaient concluants [2].

Quelques semaines plus tard, en France, l’équipe de Gilles-Eric Séralini de l’université de Caen publie son étude « choc » sur la nocivité de la variété de semences OGM de maïs autorisée au Paraguay. Indépendamment des critiques probablement légitimes formulées à l’encontre de ces résultats, cette publication n’aurait-elle pas dû conduire M. Franco à revenir sur sa décision de démanteler les organismes de contrôle paraguayens œuvrant dans ce domaine ?

Quatre mois après son acrobatique accession au pouvoir, M. Franco, mêlé à divers scandales, fait l’objet de nombreuses critiques. En cause, son népotisme — 27 membres de sa famille ont en effet été nommés à des postes-clés dans la fonction publique [3] —, mais également l’augmentation spectaculaire de sa fortune (+ 748 % en quatre ans [4]). Sur ce dernier point, le président putschiste a immédiatement riposté. Mais ses explications l’ont discrédité davantage : il a dû reconnaître avoir fourni de fausses informations dans sa déclaration de patrimoine [5].

Le gouvernement paraguayen se trouve actuellement isolé dans la région. Le conservateur espagnol Mariano Rajoy a même dû refuser sa participation au sommet ibéro-américain qui se tiendra à Cadix les 16 et 17 novembre prochain. Le chef d’Etat espagnol ne souhaitait pas froisser les pays de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), qui avaient menacé de boycotter le rendez-vous si M. Franco s’y rendait.

Ses soutiens en Europe, M. Franco se voit donc contraint de les trouver auprès de partis d’extrême droite, comme le Parti de la liberté autrichien (FPÖ), très actif Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
au Paraguay où il multiplie les visites et les contacts depuis plus d’un an [6]. Le 12 septembre dernier, son dirigeant, M. Martin Graf, s’est rendu dans le pays pour exprimer son soutien au président de facto, avant de verser 5 000 dollars aux familles des policiers tués lors de l’affrontement qui, le 15 juin 2012, a opposé des paysans (occupant des terres volées pendant la dictature de Stroessner) aux forces de l’ordre (17 morts, 11 paysans et 6 policiers) [7]. M. Graf a comparé la situation du gouvernement du Paraguay avec celle de son pays en 2000, quand l’extrême droite avait fait son entrée au gouvernement. Vienne avait subi les sanctions diplomatiques de l’Union européenne.

D’autre part, bien qu’écarté du Marché commun du Sud (Mercosur Mercosur Le Mercosur est une zone régionale de coopération économique du Cône Sud (marché du Cône Sud) qui rassemble le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay, en plus de deux pays associés, le Chili et la Bolivie. ) depuis le coup d’Etat, le Paraguay offre une tête de pont aux Etats-Unis au cœur d’un bloc régional qui, avec l’entrée du Venezuela, menace de s’émanciper. Des parlementaires paraguayens (ils sont pratiquement tous de droite) ont demandé l’installation d’une base militaire au nord du pays (Chaco paraguayen), à la frontière avec la Bolivie, le Brésil et l’Argentine [8]

Les bénéficiaires de la destitution de M. Fernando Lugo apparaissent de plus en plus clairement : les grands propriétaires terriens, qui craignaient la menace d’un mouvement de récupération des terres mal acquises ; les acteurs (nationaux et multinationaux) de l’agrobusiness, qui redoutaient l’augmentation de la taxe sur l’exportation du soja et souhaitent l’autorisation des nouvelles variétés d’OGM (au Paraguay, quatrième exportateur mondial de soja, l’exportation de cette oléagineuse est actuellement taxée à hauteur de 1 %) ; et les partis politiques de droite (ainsi que leurs alliés à l’échelle internationale), qui avaient besoin de mettre la main sur l’exécutif afin de préparer les élections prévues au printemps 2013. « Bien que le gouvernement de Lugo n’ait pas été un gouvernement de gauche », estime l’analyste Hugo Richer, grâce à lui « la gauche a disposé d’une influence inédite » pendant quelques années au Paraguay ) [9]. C’était déjà trop…

Les élections de l’année prochaine s’avèreront particulièrement difficiles pour les forces progressistes. Elles risquent d’arriver divisées puisque le Frente Guasu — la coalition de vingt partis et mouvements politiques qui avait porté M. Lugo au pouvoir — ne parvient pas à se mettre d’accord sur une candidature. Un candidat unique aurait déjà peiné à lutter contre une droite extrêmement puissante qui contrôle l’Etat, les médias et dispose de moyens suffisants pour acheter des voix [10].. Si, de surcroît, la gauche se déchire…

Source : Le Monde Diplomatique


Notes

[1Lire « Coup d’Etat au Paraguay », La valise diplomatique, 23 juin 2012.

[2Scène rapportée dans « Franco interrumpe homilía para responder a críticas de obispo sobre uso de transgénicos », Ultima Hora, Asunción, 6 septembre 2012.

[3Cf. « Un total de 27 familiares de Federico Franco ocupan cargos públicos », El Mundo, Madrid, 17 septembre 2012.

[5Cf. « Franco admite que falseo datos y no consigue justificar 645 mil dólares », Ultima Hora, 16 octobre 2012.

[6Cf. « Oh, wie schön ist Paraguay », Profil, Vienne, 22 février 2012.

[7Lire « Paraguay, nouvelles manœuvres pour renverser le président », La valise diplomatique, 22 juin 2012.

[8Cf. « Plantean como salida instalar una base militar de EEUU », Ultima Hora, 5 septembre 2012.

[9Hugo Richer, « Seis preguntas y seis respuestas sobre la crisis paraguaya » (PDF), Nueva Sociedad, n° 241, Buenos Aires, septembre-octobre 2012.