Quand nous traitons des questions liées à nos relations avec notre ex-métropole, nous avons tendance à la réduire à ses hommes et femmes politiques trop visibles sur la scène politique de nos deux pays. Il est sage que, souvent, nous prêtions aussi attention aux analyses politiques et économiques faites par les membres actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
de la société civile belge et même du Sénat.
Dans cet ordre d’idées, le travail abattu par le réseau CADTM (belge) (Comité international pour l’annulation de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du Tiers Monde) et le Sénat belge depuis tout un temps mérite que nous puissions nous y pencher. Ils ont procédé à l’organisation d’une journée d’étude sur la nécessité d’un audit de la dette de notre pays en partant des analyses bien documentées historiquement, économiquement, politiquement et éthiquement. Cette étude est une réponse à la déclaration du premier ministre belge Guy Verhofstadt en 2001 à Kinshasa : « le gouvernement belge est déterminé à examiner rapidement l’annulation de la dette bilatérale à l’égard de la RDC. »
I. La richesse d’une démarche
En partant des documents publiés sur le site Congoforum, la première impression qui se dégage est que l’audit est fondé sur une bonne documentation. Une étude (à laquelle un groupe de compatriotes a participé) de 44 pages intitulée « Et si le Congo-Zaïre refusait de payer sa dette ? Essai analytique des preuves d’une dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
» aide à comprendre davantage comment les prêts octroyés à Monsieur Mobutu n’ont jamais servi à l’amélioration des conditions sociales, économiques et humaines du peuple congolais.
A partir du « rapport Blumenthal » et des écrits des professeurs de renom international comme J.-C. Willame, des acteurs de la société civile comme A. Zacharie et E. Toussaint, cette étude nous convainc que « la dette est l’un des instruments les plus violents de féodalisation des économies du Sud et dont les conséquences en terme d’aliénation sociale sont purement criminelles. »
Comme le note si bien le Sénateur belge Pierre Galand, elle met en lumière « la double responsabilité qui incombe aux pays occidentaux vis-à-vis du Tiers-monde. La première est d’ordre historique et met en évidence le rôle joué par nos pays dans la constitution de la dette coloniale et post-coloniale. La seconde responsabilité met plutôt en cause la façon dont nous avons instrumentalité, par l’intermédiaire des institutions financières internationales, cette dette historique. » [1]
Cette étude de 44 pages met en lumière l’implication explicite de certains acteurs politiques occidentaux dans la descente aux enfers de notre scandale géologique.
Elle prouve, noir sur blanc, que l’initiative des PPTE
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
soutenue par le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et défendue à grand renfort d’arguments par « les ministres-prof. » congolais de la transition est un leurre, « un outil de manipulation de la dette ».
Cette étude est suivie d’une autre intitulée « Des contrats de pillage pendant les guerres aux nouveaux prêts à aujourd’hui ». Celle-ci précise que « ces contrats signés à partir de l’implosion de l’AFDL et du début de la seconde guerre sont des contrats léonins c’est-à-dire qu’ils en bénéficient en rien à la population de RDC. » Elle souligne le rôle de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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« dans le bradage de la Gécamines, ce qui a occasionné un effet sur l’augmentation de la pauvreté au Katanga. » Elle partage l’appel lancé par un ancien président de la Gécamines, Robert Crem : « Il est plus que temps de faire examiner de très près tous les contrats en cours par une instance indépendante avec l’expertise et la neutralité nécessaires. S’il apparaît que les groupes miniers concernés sont compétents et renflouent équitablement les caisses de l’Etat, il n’aura pas de problème. Mais l’incertitude demeure grande car tant de choses se traitent dans l’ombre. Les institutions financières internationales et les pays dits « amis » portent une lourde responsabilité. » (Nous soulignons)
Le recours à cet audit s’inspire de certains exemples historiques. Renaud Vivien, juriste au CADTM, en évoque trois dont celui du Brésil. « Brésil : des députés, des sénateurs et des représentants de la société civile ont créé en 2003 le Front parlementaire et social d’accompagnement de la dette publique qui a demandé début 2005, avec le soutien de 240 parlementaires, la création d’une Commission mixte d’enquête afin de réaliser l’audit des dettes interne et extérieure. » [2]
Ce juriste explique la finalité de l’audit : « déceler les circonstances des prêts consentis par la Belgique à la RDC depuis son indépendance et le transfert de la dette belge au moment de l’indépendance du Congo afin de justifier l’annulation des créances
Créances
Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
belges ayant un caractère d’illicéité et exiger la réparation des dommages écologiques et humains. L’audit doit répondre à 3 questions : combien la RDC doit réellement ? à qui ? pour quoi ? En réponse à ces trois questions, l’audit permettra tout d’abord de : révéler les pratiques de corruption et de détournement de fonds de la classe dirigeante de la RDC avec la complicité des créanciers depuis son indépendance en 1960.
Mettre en exergue la responsabilité des créanciers et des institutions financières internationales dans l’endettement illégitime et le sous-développement de la RDC.
Connaître la contrepartie des prêts contractés (destination réelle des fonds et leurs bénéficiaires : les prêts ont-ils réellement profité à la population ?)
Ce lien entre le mobile et les outils permettra de comprendre comment la dette fonctionne comme un instrument de domination post-coloniale ».
Un audit fondé sur des études approfondies de la marche historique du Congo et de la Belgique et soutenu par un argumentaire juridique peut ouvrir nos deux pays à un autre devenir commun. A quelles conditions ?
II. Voter des lois et auditer la période post-Mobutu
Si l’audit initié par le Sénat belge aidé par l’expertise du CADTM et d’autres organisations de la société civile belge (et congolaise) peut aboutir à l’établissement des responsabilités des uns et des autres dans l’usage de la dette comme instrument de domination post-coloniale, il aura fait œuvre utile pour nos deux pays. Mais, jusqu’où ira-t-il ? Sera-t-il capable d’inciter au vote des lois sur la criminalité économique ? Car la dette odieuse du Congo n’est pas une génération spontanée. Suffira-t-il de la déclarer odieuse et de réclamer son annulation et la récupération des biens mal acquis ou il sera aussi important d’influencer la législation belge et internationale pour que les élites politiques impliquées dans les crimes économiques soient déclarées, de leur vivant, personnae non gratae dans la gestion de la chose commune dans leurs pays, eu égard au fait qu’elles sont des criminelles ?
Revenons au cas de Mobutu. Il a utilisé les prêts détournés pour financer les campagnes électorales des « maîtres du monde », payer les journalistes des « médias dits internationaux » et créer « une caste internationale » des délateurs. Suffira-t-il de confisquer ses biens mal acquis ou il sera aussi nécessaire de convoquer ses complices nationaux et internationaux à la barre ? Comment faut-il procéder pour que la suite de la gestion du pays après Mobutu soit soumise au même audit pour éviter d’y revenir trente ans après ?
Disons qu’un audit de ce genre devrait aider les Congolais(es) à rebâtir leur pays sur des bases économiques, éthiques et politiques saines. Si il est étendu jusqu’à la période post-électorale, il pourrait aider à la clarification des mobiles de l’implication de certains acteurs politiques et journalistes occidentaux dans la politique congolaise après Mobutu. Il n’est pas très sûr que les caciques du pouvoir déchu lui ayant survécu n’aient pas conseillé le recours aux « pots-de-vin » aux nouveaux pouvoirs...
L’initiative du parlement belge peut être récupérée et poursuivie (en interconnexion avec le parlement belge) par les collectifs d’auto-support congolais, par les parlementaires congolais épris d’un autre devenir pour notre pays et par tous les autres combattants de la libération de la liberté de notre peuple afin que la dette extérieure serve de moins en moins d’instrument de domination pour nos populations et de source d’enrichissement facile pour la petite oligarchie prédatrice montante des « carriéristes-mangeurs ».
[1] P. GALAND, Audit de la dette de la Rép. Démocratique du Congo (RDC) au Sénat belge, dans Congoforum du 24/12/2006)
[2] R. VIVIEN, Pourquoi et comment un audit de la dette de la RDC ?, dans Congoforum du 24/12/2006)
14 février 2011, par Jean-Pierre Mbelu
29 janvier 2010, par Jean-Pierre Mbelu
7 janvier 2010, par Jean-Pierre Mbelu
5 janvier 2010, par Jean-Pierre Mbelu
5 janvier 2010, par Jean-Pierre Mbelu
17 décembre 2009, par Jean-Pierre Mbelu
20 mars 2008, par Jean-Pierre Mbelu
Presse internationale
Dette odieuse et hypothétique révision des contrats léonins19 janvier 2007, par Jean-Pierre Mbelu