10 octobre 2013 par Eric Toussaint , Daniel Munevar
Du 11 au 13 octobre 2013 se tient à Washington la réunion annuelle du FMI et de la Banque mondiale, il est nécessaire de revenir sur les promesses du Millénaire pour le développement. [1] L’histoire du développement économique est pleine de tentatives de corriger les « erreurs » de la politique de développement. L’approche utilisée a consisté en l’ajout de nouveaux éléments à l’agenda, afin d’élargir les thématiques prises en compte dans les décisions politiques en y intégrant des préoccupations environnementales et sociales.
L’échec de cette méthodologie saute aux yeux : sur les huit objectifs du millénaire pour le développement (OMD), seuls deux sont atteints et il est fort peu probable que les autres le soient pour 2015. En d’autres termes, les résultats de l’actuel agenda de développement sont scandaleusement minces [2].
De fait, il n’est sans doute pas nécessaire d’ajouter de nouveaux éléments à ce cadre, il est préférable de voir si les éléments déjà intégrés fonctionnent et si non s’ils doivent en être éliminés. C’est le cas de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
comme outil de développement politique, économique et social.
Depuis le Plan Marshall
Plan Marshall
Ce plan a été conçu par l’administration du président démocrate Harry Truman, sous le nom de European Recovery Program. Il sera ensuite connu sous le nom du secrétaire d’État de l’époque, Georges Marshall (qui a été chef d’état-major général entre 1939 et 1945), chargé d’en assurer la mise sur pied. Entre avril 1948 et décembre 1951, les États-Unis accordent, principalement sous forme de dons, à quinze pays européens et à la Turquie une aide de 12,5 milliards de dollars (ce qui représente une somme plus de dix fois supérieure en 2020). Le Plan Marshall visait à favoriser la reconstruction de l’Europe dévastée au cours de la Seconde Guerre mondiale.
en Europe, les cercles politiques fonctionnent avec l’idée que les prêts internationaux constituent l’un des facteurs fondamentaux du développement. Dès la fin des années 1940, la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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a fait de l’endettement des pays la clé de leur développement. L’expérience a démontré que cette approche aboutit à un échec total. Dans de multiples cas, les conditions de vie de dizaines de millions de personnes se sont dégradées à cause des politiques d’endettement mises en place par la Banque mondiale, le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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avec le soutien ou la complicité des gouvernements en place [3].
Au lieu de doter les pays en développement de ressources nouvelles, le système dette a obligé ces pays à accorder la priorité aux remboursements des créanciers au détriment des services sociaux de base. Selon les données de la Banque mondiale, rien qu’en 2010, les pays en développement ont payé 184 milliards de dollars au titre du service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
, environ le triple du montant annuel qui aurait été nécessaire à la réalisation des OMD.
Il est plus troublant encore de savoir qu’entre 1985 et 2010, les montants remboursés ont été supérieurs aux montants prêtés de 530 milliards de dollars [4]. Ce transfert net
Transfert net
On appellera transfert net sur la dette la différence entre les nouveaux prêts contractés par un pays ou une région et son service de la dette (remboursements annuels au titre de la dette - intérêts plus principal).
Le transfert financier net est positif quand le pays ou le continent concerné reçoit plus (en prêts) que ce qu’il rembourse. Il est négatif si les sommes remboursées sont supérieures aux sommes prêtées au pays ou au continent concerné.
de ressources des pays en développement vers les créanciers représentent l’équivalent de 5 fois le Plan Marshall.
Au cours de cette période, la dette a été le levier utilisé par les institutions financières internationales et les pays créanciers pour obliger les pays à adopter des politiques les empêchant d’octroyer des conditions de vie décentes à leur population. Privatisations, réductions massives d’effectifs dans les services publics, abandon des barrières douanières, toutes ces politiques imposées aux pays en développement ont rendu impossible toute forme de souveraineté alimentaire et ont sérieusement miné la possibilité pour ces pays d’atteindre le développement par des moyens endogènes.
C’est pourquoi il est urgent d’annuler la dette publique des pays en développement, qui de surcroît ne représente qu’un montant infime : en 2010, le montant total de leur dette publique externe a atteint 1.600 milliards de dollars, soit moins de 5% des ressources mises à disposition par le gouvernement des Etats-Unis pour sauver les banques [5]. Si un tel montant a pu être débloqué pour maintenir les bonus des cadres du secteur financier, les fonds peuvent être trouvés pour assurer une nette amélioration des conditions de vie de centaines de millions de personnes de par le monde.
C’est clairement une question politique et non un problème de nature économique, mais c’est un fait que la dette demeure l’obstacle majeur au développement.
Il faut donc éliminer cet obstacle comme l’affirme le CADTM depuis sa création en 1990.
Il faut également remplacer la Banque mondiale et le FMI par de nouvelles institutions. L’organisation qui remplacera la Banque mondiale devrait être largement régionalisée (des banques du Sud pourraient y être reliées), elle aurait pour fonction de fournir des prêts à taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
très bas ou nuls et des dons qui ne pourraient être octroyés qu’à condition d’être utilisés dans le respect rigoureux des normes sociales et environnementales et, plus généralement, des droits humains fondamentaux. Contrairement à la Banque mondiale actuelle, la nouvelle banque dont le monde a besoin ne chercherait pas à représenter les intérêts des créanciers et à imposer aux débiteurs un comportement de soumission au marché-roi, elle aurait pour mission prioritaire de défendre les intérêts des peuples qui reçoivent les prêts et les dons.
Le nouveau FMI, quant à lui, devrait retrouver une part de son mandat originel pour garantir la stabilité des monnaies, lutter contre la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
, contrôler les mouvements de capitaux, agir pour interdire les paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
et la fraude fiscale. Pour atteindre cet objectif, il pourrait contribuer avec les autorités nationales et les fonds monétaires régionaux à la collecte de différentes taxes internationales.
Il est temps de comprendre qu’il est nécessaire d’annuler la dette illégitime afin de libérer le développement humain.
Daniel Munevar est économiste et membre du CADTM Colombie.
Éric Toussaint est docteur en Sciences Politiques, maître de conférences à l’Université de Liège, président du CADTM Belgique (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde, www.cadtm.org/ ) et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
[1] Pour une analyse critique des OMD, voir Damien Millet et Éric Toussaint, 65 questions 65 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, Q4 : Que sont les « objectifs du millénaire pour le développement » (OMD) ? p23 (disponible en pdf sur le site).
[2] “Millennium development goals – the key datasets you need to know”, available at : http://www.theguardian.com/global-development/poverty-matters/2012/oct/31/millennium-development-goals-key-datasets
[3] Voir Éric Toussaint, Banque mondiale, le Coup d’État permanent, CADTM/Syllepse/CETIM, 2006. Téléchargeable : http://cadtm.org/Banque-mondiale-le-coup-d-Etat Voir également Éric Toussaint, Thèse de doctorat en sciences politiques présentée en 2004 aux universités de Liège et de Paris VIII : « Enjeux politiques de l’action de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international envers le tiers-monde », http://cadtm.org/Enjeux-politiques-de-l-action-de
[4] Voir Damien Millet, Daniel Munevar, Eric Toussaint, Chiffres de la dette 2012, http://cadtm.org/Les-Chiffres-de-la-dette-2012
[5] Calcul effectué sur base de l’analyse des coûts effectué par le Levy Institute qui estime le coût total à 29.000 milliards de dollars. Voir, Felkerson, J. (2011), “$29,000,000,000,000 : A Detailed Look at the Fed’s Bailout by Funding Facility and Recipient”, Levy Institute Working Paper 698.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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est un économiste post-keynésien originaire de Bogotá, en Colombie. De mars à juillet 2015, il a travaillé comme assistant de l’ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis ; il le conseillait en matière de politique budgétaire et de soutenabilité de la dette.
Auparavant, il était conseiller au Ministère des Finances de Colombie. Il a également travaillé à la CNUCED.
C’est une des figures marquantes dans l’étude de la dette publique au niveau international. Il est chercheur à Eurodad.
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