Belgique, le sauvetage des banques : « 9 milliards de recettes pour 35 de dépenses »

25 avril 2013 par Eric Toussaint , Elodie Blogie




Un solde négatif de 2,1 milliards d’euros pour l’exercice budgétaire 2012... Cela signifie-t-il que l’aide aux banques est un gouffre financier à proscrire à l’avenir ?

Ce que le gouvernement a fait depuis 2008 est pour moi complètement à rejeter ! Le coût total de l’aide qu’il a accordée à Dexia, Fortis, Ethias et KBC s’élève à 35,4 milliards d’euros, ce qui équivaut à 10 % du produit intérieur brut PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
de notre pays. Or, pour ces 35 milliards de dépenses, les recettes ne s’élèvent qu’à 9 milliards ! En plus, ces sommes, il a fallu les financer par des emprunts, pour lesquels on paye des intérêts. Il suffit de voir l’évolution de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
qui est passée de 84 % du PIB de la Belgique avant le début des sauvetages bancaires à 99,6% !

Mais l’État avait-il le choix ?

Il fallait répondre à la débâcle des banques en garantissant les dépôts bien sûr, en garantissant les emplois dans les agences également, mais en transférant ces banques dans le secteur public. A mes yeux, la dette que nous connaissons aujourd’hui est frappée d’illégitimité car elle n’a pas respecté l’intérêt général. On dit souvent que Belfius est à 100 % aux mains de l’État. Faux ! C’est une entreprise privée dont 100 % des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
appartiennent à l’État, mais ce n’est absolument pas une entreprise publique, car l’État ne lui a pas assigné une mission de service public, ni les règles qu’on impose à une telle entreprise. Et Belfius a la volonté affichée de retourner dans le secteur privé dès que possible. Les autorités de pays comme la Belgique renoncent trop souvent à exercer des éléments clés de souveraineté. Bien sûr, il existe des traités européens contraignants, mais il y a aussi une marge de manœuvre qui n’est pas utilisée ! En outre, c’était aussi à la justice de prendre des mesures pour établir les responsabilités de cette débâcle, pointer les torts causés par les gestionnaires, les grands actionnaires, mais aussi les autorités de contrôle, qui ont laissé faire. Une très grande partie des citoyens n’accepte pas qu’on laisse ces personnes dans l’impunité totale.

Sauver les banques, c’est les encourager à poursuivre leur activité sans changer leur fonctionnement ?

C’est ce qu’on appelle créer un aléa moral Aléa moral
Risque moral
En anglais, moral hazard

Argument fréquemment utilisé par les adversaires de l’annulation de la dette. Il s’appuie sur la théorie libérale qui donne la situation mettant en présence un emprunteur et un prêteur comme un cas d’asymétrie d’information. En l’occurrence, l’emprunteur sait seul s’il compte réellement rembourser son créancier. Annuler la dette aujourd’hui ferait donc courir le risque de répandre à l’avenir cette facilité accordée aux débiteurs et, par conséquent, d’accroître les réticences des prêteurs à engager leur capital qui n’auraient d’autre solution que d’exiger un taux d’intérêt augmenté d’une prime de risque croissante. On le voit, la « morale » est placée exclusivement du côté des prêteurs et l’« amoralité » placée du côté des emprunteurs suspectés a priori de malveillance. Or, il est facile de montrer que cet aléa moral est un produit direct de la liberté totale accordée aux capitaux de circuler : il est proportionnel à l’ouverture des marchés financiers puisque celle-ci multiplie les potentialités de contrats marchands censés apportés le bonheur à l’humanité mais qui apportent bien plus assurément leur lot de contrats risqués. Donc, les financiers voudraient voir multiplier à l’infini leurs possibilités de gagner de l’argent sans risque dans une société dont on nous dit qu’elle est et qu’elle doit être une société du risque... Belle contradiction.
 : si une personne ou une institution sait qu’à tous les coups, quelles que soient les erreurs qu’elle commet, elle sera couverte par son assurance, cette personne sera tentée de prendre de plus en plus de risques. L’État, par son attitude, entretient un aléa moral et les banques, notamment Dexia, n’ont pas du tout modifié leur comportement. Elles continuent à prendre des risques élevés, ce qui va entraîner de nouveaux coûts pour les pouvoirs publics dans les années qui viennent.

Pourtant des traités européens sont étudiés actuellement...

Les réglementations dont on parle sont tout à fait insuffisantes. Les autorités veulent donner l’impression à l’opinion publique, qui veut que des mesures soient prises, qu’on est en train de faire le nécessaire. La réglementation prévue permet un effet de levier Effet de levier L’effet de levier désigne l’effet sur la rentabilité des capitaux propres d’une entité (entreprise, banque, etc.) qu’aura son recours à l’endettement (elle augmentera lorsque le coût de l’endettement sera inférieur à l’augmentation des bénéfices obtenus grâce à lui, et inversement). Le ratio de levier calcule le rapport entre les fonds propres d’une telle entité et le volume de ses dettes. Les banques ont progressivement augmenté cet effet de levier avec la libéralisation financière, c’est-à-dire que pour 1000 euros de capital le nombre d’euros qu’elles ont pu emprunter a considérablement augmenté. de 33 : Si une banque a un million en fonds propres Fonds propres Capitaux apportés ou laissés par les associés à la disposition d’une entreprise. Une distinction doit être faite entre les fonds propres au sens strict appelés aussi capitaux propres (ou capital dur) et les fonds propres au sens élargi qui comprennent aussi des dettes subordonnées à durée illimitée. , elle peut prêter pour 33 millions à différents types de clients pour différents produits, parfois dangereux. C’est un danger beaucoup trop élevé ! Le ratio devrait être de 1 à 5 maximum.

Propos recueillis par ELODIE BLOGIE , Le SOIR, 24 avril 2013 , p. 13.


Éric Toussaint Président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde de Belgique et maître de conférence à l’ULg

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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