En 1876, le roi des Belges Léopold II organisait à ses frais une conférence de géographie à Bruxelles en vue de faire le point sur l’exploration de l’immense bassin du Congo, au centre de l’Afrique équatoriale. Au moment où l’expansion coloniale devient un enjeu central pour les pays européens, cette conférence donne à Léopold II une position de pionnier et légitime sa soif de conquête. Les pays européens se disputent de plus en plus de territoires, chacun revendique la possession d’une ou plusieurs colonie(s).
A l’époque, le Chancelier allemand Bismarck est l’arbitre de l’équilibre européen. Il n’est pas partisan de la colonisation, mais ne peut aller contre le mouvement général. Il encourage la France à coloniser pour « oublier ses frustrations » de l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine. Les colonialistes allemands lui forcent la main et le 24 février 1884, le Reich place sous sa protection les implantations allemandes du Sud-Ouest africain. Bismarck veut désamorcer les rivalités coloniales. Il les voit comme le germe de guerres européennes futures qui compromettraient l’hégémonie allemande et épuiseraient les Puissances à lutter entre elles, au lieu d’engager leurs forces pour résister, à l’intérieur, aux mouvements révolutionnaires, populaires et ouvriers. Il agit donc dans deux directions : apaiser le front social par la création d’une certaine « Sécurité sociale » et régler à l’amiable les rivalités coloniales.
Le partage de l’Afrique s’est fait en réalité par toute une série d’accords bi-ou multilatéraux entre les Puissances coloniales, dont certains sont bien postérieures à 1885.
Néanmoins, la conférence de Berlin organisée à l’initiative de Bismarck en 1884/5, est demeurée le symbole du partage de l’Afrique. Elle réunit les gouvernements de la Russie, des Etats-Unis et de douze pays européens pour définir les règles du découpage du continent africain, alors que les Africains, eux, ne sont pas représentés.
Historiquement et à proprement parlé ce « partage de l’Afrique à Berlin » n’a jamais eu lieu à Berlin. En effet la mémoire et l’imagination ont besoin de dates et de noms clairs auxquels s’accrocher [1]. Après trois mois et demi et seulement huit réunions plénières, les participants signent, le 23 février 1885, l’« acte général » de la conférence [2]. L’AIA de Léopold II fit alors savoir qu’elle adhérait à l’Acte de Berlin pour »l’Etat qu’elle avait constitué en Afrique centrale et auquel les chefs coutumiers avaient fait soumission par des actes dont elle déposait copie« [3]. La création de l’Etat Indépendant du Congo (EIC) faisait l’affaire de tout le monde, dans la mesure où la création d’un gros bloc neutre au milieu du continent formerait un tampon entre les ambitions françaises, anglaises et allemandes. Léopold II sollicita auprès de Chambres belges l’autorisation de devenir souverain de cet EIC, cela lui fût accordé en juillet 1885. Cet acte ne reconnaît pas à Léopold II la possession à titre privé de l’EIC. Ce n’est que cinq ans plus tard que Léopold II va lancer sa »nouvelle politique économique", contraire à l’Acte de Berlin, qui va traiter le sol et les produits du Congo comme un monopole d’Etat, dans un état absolu, ce qui revient à en faire son monopole personnel.
Inexactitude ou pas, Berlin est resté dans les mémoires comme le moment symbolique où s’est joué dans les hautes sphères européennes, le partage du gâteau africain, dont Léopold II a accaparé une grosse part.
Continuité ou Rupture ?
Il y a quelques semaines, lors de son message de vœux au corps diplomatique, Nicolas Sarkozy proposait la restructuration de la région des Grands Lacs. « Quant à la région des Grands Lacs, la violence s’est une nouvelle fois déchaînée. L’option militaire n’apportera aucune solution (…). Cela met en cause la place, la question de l’avenir du Rwanda, avec lequel la France a repris son dialogue, pays à la démographie dynamique et à la superficie petite. Cela pose la question de la république démocratique du Congo, pays à la superficie immense et à l’organisation étrange des richesses frontalières. Il faudra bien qu’à un moment ou un autre il y ait (…) un dialogue structurel : comment, dans cette région du monde, on partage l’espace, on partage les richesses et on accepte de comprendre que la géographie a ses lois, que les pays changent rarement d’adresse et qu’il faut apprendre à vivre les uns à côté des autres ? »
Ainsi, Nicolas Sarkozy défend le partage de l’espace et des richesses naturelles par « l’exploitation en commun par la RDC et le Rwanda des richesses du Nord-Kivu ». Ce positionnement sur les frontières et les richesses africaines, rappelle des mauvais souvenirs et nous renvoi plus de cent ans en arrière quand les pays européens se disputaient des territoires africains. Comme en 1885, Monsieur Cohen ou Monsieur Sarkozy ne pensent pas « consulter » les africains lorsqu’ils se positionnent sur des questions territoriales de leur continent. Il ne leur vient encore moins à l’idée que les peuples africains sont souverain et qu’ils n’ont aucun droit et aucune légitimité à faire ce genre de déclaration.
Depuis quelques temps, on observe pourtant que les gouvernements européens se repositionnent sur la question des économies et des territoires africains. Après avoir laissé, après les indépendances, les multinationales et les Institutions Financières Internationales maintenir leurs intérêts communs, le politique reprend du terrain. Dans le contexte actuel, où les crises du système capitaliste vont avoir des conséquences dramatiques, il apparaît important pour les puissances européens de réaffirmer une domination néocoloniale. De plus, la concurrence chinoise met en péril des prés carrés européens, et « oblige » celle-ci à réaffirmer sa stratégie.
Le pillage de l’Afrique a construit l’Europe, celle-ci espère sans doute qu’il la sauvera des crises.
Il est temps que cette domination prenne fin, elle a déjà bien trop durée et a coûtée très cher aux peuples colonisés.
Pauline Imbach et Guy de Boeck
Pour le collectif Mémoires Coloniales
Photos prises lors du débat : Berlin II vers un nouveau partage de l’Afrique ? avec Guy de Boeck, Raf Custers et une soixantaine de participants.
Débat organisé le vendredi 20 février par le collectif mémoires coloniales, dans le cadre de la semaine anticoloniale
[1] C’est le même genre d’inexactitude que lorsqu’on parle du partage de l’Europe à Yalta alors qu’on en parla davantage à Potsdam ; ou de la fin de la guerre de 14 avec le « Traité de Versailles« (Il y en avait toute une série : Noyon, Sèvres, St Germain en Laye, etc...).
[2] Ce document définit des zones de libre-échange dans le bassin du Congo. Il proclame la liberté de navigation sur les grands fleuves africains, le Niger et le Congo. Il s’oppose à la traite des esclaves et au commerce de l’alcool et des armes.
[3] Ndaywel é Nziem, histoire générale du Congo, pp 307/308
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