Brésil : la Commission d’enquête parlementaire sur la dette

Le 19 août 2009, journée historique pour le Brésil

14 septembre 2009 par Virginie de Romanet




Dans le dernier numéro des Autres Voix de la Planète [1], nous vous annoncions l’instauration par le Parlement en décembre 2008 d’une Commission d’audit suite à une lutte de plusieurs année menée par les mouvements sociaux brésiliens et sur proposition, adoptée par 190 députés, du député Ivan Valente du parti Socialismo e Libertade (PSOL) pour rendre effective une disposition de la Constitution de 1988 qui prévoyait l’audit de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
. Cependant, en juin dernier la Commission n’avait toujours pas commencé à travailler du fait du blocage par certains partis, à savoir le PT de Lula et le PSDB de l’ex-président Fernando Henrique Cardoso.

Enfin, c’est chose faite. Le 19 août 2009 sera une journée historique puisque c’est ce jour à 15h qu’a été inaugurée la Commission d’enquête sur la dette publique (Comissão Parlamentar de Inquérito da Dívida Pública / CPI) en présence de plusieurs mouvements sociaux et organismes publics [2]. En plus de l’Audit citoyen de la dette et du Réseau Jubilé Sud, mouvements qui travaillent sur cette question depuis plusieurs années, d’autres acteurs prendront part au travail de la Commission comme le Syndicat national des enseignants de l’enseignement supérieur (ANDES), l’Association nationale des auditeurs fiscaux des impôts (ANFIP), le Syndicat national des auditeurs fiscaux du travail (SINAIT), l’Institut de fiscalisation et contrôle du Tribunal des comptes de l’Union (IFC), l’Association des anciens sénateurs (ASISEFE), le Syndicat national des membres de l’enseignement fondamental, technique et professionnel (SINASEFE), le Centre féministe d’études et de conseil (Cfemea). Cet engagement témoigne de l’intérêt porté à cette question, en raison de l’obstacle majeur au développement que constitue la dette.
Le travail de la Commission sera centré sur les gestions du PSDB de Cardoso depuis début 1995 et du PT de Lula jusqu’à fin juin 2009.
Maria Luisa Fattorelli, qui a coordonné les travaux de l’Audit citoyen de la dette depuis son lancement et qui a été également membre de la CAIC en Équateur, a déclaré qu’il s’agissait d’une opportunité historique pour faire la lumière sur le processus très questionné de l’endettement et que les parlementaires ont là une immense responsabilité.

La composition de la Commission est conforme à la représentation des différents partis au sein du Parlement. C’est ainsi que ses membres ont élu pour président de la Commission le Député Virgílio Guimarães du parti au pouvoir (PT) qui avait participé à la rédaction de la Constitution de 1988. Trois vice-présidents de différents partis ont été choisis pour leur implication antérieure sur la question, parmi lesquels Ivan Valente, qui avait le premier proposé la mise en place de la Commission et qui a mené une grande bataille pour faire aboutir cette proposition. Un rapporteur a également été désigné.

Les réunions sont prévues pour se dérouler sur une base hebdomadaire la seconde depuis le lancement a ainsi eu lieu le 26 août [3]. Lors de cette séance, le président a accepté la proposition d’analyser les aspects juridiques et constitutionnels relatifs à l’endettement.
Ivan Valente a mis en avant le fait que la Commission a pour mission d’identifier les créanciers de la dette et de révéler quels sont les intérêts derrière l’endettement public élevé et la politique des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
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Comme nous le disions dans le précédent article, le stock des dettes publiques externe et interne représentent 80% du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
brésilien et lorsque l’on inclut les remboursements du capital des intérêts et le coût des rééchelonnements cela représente près de 50% du budget de l’État. Entre janvier 1995, début du mandat de Fernando Henrique Cardoso et janvier 2009, le gouvernement fédéral a payé 1785 milliards de reais (668 milliards d’euros) en capital, intérêts et coûts de rééchelonnement augmentant ainsi la misère d’une grande partie de la population brésilienne, privée d’alimentation suffisante, de santé, d’éducation, de logement, d’accès à la terre pendant que banquiers, investisseurs et spéculateurs de tout poil continuent à s’en mettre plein les poches.
Et les choses continuent d’empirer : ainsi rien que pour l’année 2008, le gouvernement a dépensé 282 milliards de reais (105 milliards d’euros) en amortissement (remboursement du capital) et intérêts.
Le Plan national d’Education qui prévoit de porter les dépenses d’éducation à 7% du PIB reste lettre morte ; de même les dépenses de santé n’ont pas augmenté.
Au-delà des responsables politiques, ceux d’organismes comme la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. portent une lourde responsabilité et tant son actuel président Henrique Meirelles comme les anciens présidents Armínio Fraga et Gustavo Franco seront convoqués par la Commission

Même si la dette externe a diminué, elle n’en est pas devenue pour autant un problème mineur (elle représente 146 milliards d’euros). Le gouvernement Lula tente de minimiser la chose en mettant en avant les importantes réserves de change détenues par le pays (environ 190 milliards de dollars). Mais là encore, cette politique n’est pas destinée à satisfaire les besoins criants du pays. En effet, au lieu d’utiliser une partie de ces réserves de change pour des dépenses sociales bien nécessaires, le gouvernement Lula préfère en consacrer les ¾ à l’achat de bons du Trésor des États-Unis dont le rendement est inférieur à 1%, alors que dans le même temps le Brésil emprunte à un taux réel de 6%.

Les revenus de l’État sont ainsi consacrés en grande partie aux intérêts de la dette publique et le Brésil offre les taux d’intérêt les plus élevés du monde ; ceux-ci ne baissent pas malgré la crise, ce qui montre bien que la domination du capital financier est totale, le Parti des Travailleurs ayant remisé les travailleurs au frigo pour servir les banquiers. Avec un Parlement et des médias qui ne s’emparent jamais de ces questions, la Commission d’audit va obliger à ouvrir le débat sur ces sujets tabous.

Lors de la troisième [4] réunion qui s’est tenue le 2 septembre, le rapporteur de la Commission Pedro Novais a présenté une proposition de plan de travail en quatre points : un relatif à la dette publique fédérale dont les données sont détenues par les autorités de la Banque centrale ; un autre relatif aux dettes des entités fédérées (les différents Etats) avec la convocation des secrétaires d’Etat au Trésor ; un troisième relatif à celles des municipalités et enfin le fait qu’il sera fait appel à des spécialistes.
Alors que la fin de la période auditée pour laquelle des informations seraient demandées aux instances officielles était le 31 décembre 2008, Ivan Valente a fait remarquer que rien que lors des premiers mois de 2009, la dette interne avait augmenté de la somme astronomique de 200 milliards de reales (109 milliards de dollars), et que du fait de la magnitude de la somme, la CPI devrait également inclure l’année 2009.
Les députés Luiz Carreira du parti DEM (Démocrate) et Luis Carlos Hauly du parti social-démocrate brésilien de l’ancien président Cardoso ont déclaré leur obstruction pour les demandes de la présente réunion suivant ainsi les consignes de leur parti de faire obstacle à tout le travail de la Chambre des députés au cours de cette semaine là pour protester contre l’envoi au Congrès de deux projets à caractère urgent relatifs à l’exploitation pétrolière. Cette obstruction n’a pas à voir avec la Commission d’audit proprement dite mais cette attitude de politique politicienne s’oppose à la volonté de la Commission qui est de promouvoir l’intérêt général sur l’intérêt partisan. Ces députés ont ainsi retiré leur nom de la liste des présents et exigé la vérification du quorum de la réunion qui sans eux n’était pas atteint invalidant ainsi le vote des demandes d’information de la semaine antérieure.
Face à cette opposition et en reconnaissant le risque de retard dans le déroulement des travaux, le président de la Commission a décidé d’envoyer les demandes d’informations à la Banque centrale et aux autres autorités pour qu’ils puissent commencer à effectuer les démarches spécifiques pour y répondre. Il a été requis que les institutions répondent aux demandes d’informations sous 15 jours en incluant des données comme les créanciers de la dette externe, les facteurs qui ont influencé sa croissance, les copies des contrats d’endettement et d’autres documents ou informations.

La présence et l’implication active de membres des mouvements sociaux est capitale pour exiger la présence des parlementaires membres de la Commission et le vote de motions assurant ainsi que le travail de la CPI se déroule au mieux. Le président de la Commission a en fin de réunion donné son accord à une proposition de réunion avec les mouvements sociaux avant que celle de la Commission le 16 septembre.

Le processus d’audit ne va sûrement pas être facile. Il serait très étonnant que le PT et le PSDB ainsi que d’autres partis n’essaie pas d’y mettre des obstacles. Déjà en Équateur où Rafael Correa était pleinement en faveur de l’audit, la décision prise n’a pas été à la mesure des espérances. A une répudiation pure et simple de toutes les dettes marquées d’illégitimité, position défendue par certains des membres de la Commission d’audit, le gouvernement a préféré la négociation avec les créanciers pour obtenir une décote importante. On peut le déplorer. Cependant, même avec cette limitation importante, il s’agit d’une avancée qu’il convient de souligner. En effet, Rafael Correa dans son discours d’investiture de son second mandat le 10 août 2009 [5] a mentionné que cette opération permettrait d’économiser 300 millions de dollars par an pendant 20 ans, sommes entièrement destinées au développement du pays. On peut espérer que tout le travail réalisé par l’Audit citoyen de la dette et Jubilé Sud Brésil finira par porter ses fruits.


Notes

[1Virginie de Romanet, « Brésil : la commission d’enquête parlementaire sur la dette. Vers un audit officiel », Les Autres Voix de la planète n° 43 et http://www.cadtm.org/Bresil-la-Commission-d-enquete

[5Discurso de toma de posesión de Rafael Correa el 10 de agosto del 2009 – Parte 2 (8min.23secundos) en Venezolana de Televisión (VTV)
http://www.vtv.gov.ve/videos-emisiones-anteriores/22101. Voir des extraits de son discours en français sur http://www.cadtm.org/Discours-d-investiture-du

Virginie de Romanet

est membre du CADTM Belgique

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