Reina et Isabel, arrivées du Nicaragua et du Salvador après quatre jours de voyage, Bernadette qui représente les femmes du Burkina Faso, ou Myriam Nobre, la Brésilienne qui parle au nom de la coordination mondiale des femmes, ne rencontreront jamais Mehura, la petite Congolaise de 17 ans, qui cajole son bébé en espérant retrouver un jour sa famille…C’est pour elle cependant, et pour toutes ces Congolaises enlevées, violées, massacrées, que des centaines de femmes, venues de 148 pays, se sont réunies à Bukavu et se préparent à marcher dimanche.
A quelques centaines de mètres de l’athénée d’Ibanda, devenu pour quelques jours la capitale des femmes en mouvement, Mehura regarde le temps passer depuis le centre d’accueil du BVES (Bureau pour le volontariat au service de l’enfance et de la santé) où l’a déposée le Haut Commissariat aux réfugiés.
Voici deux ans, avec trois autres filles de Nyunzu (Nord Katanga) elle se dirigeait vers le marché de Muhuya lorsque des combattants rwandais des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) se sont emparées d’elles et les ont emmenées dans le Masisi, au Nord Kivu. « Nous étions leur butin, l’un d’eux a dit que je serais sa femme, ou plutôt son esclave. J’ai porté ses paquets, et par la suite j’ai cultivé son champ. Je devais aller vendre au marché et lui ramener l’argent, lui préparer la nourriture et la nuit, coucher avec lui. Je n’osais pas lui parler, il était brutal et les hommes qui gardaient le camp, en pleine forêt, menaçaient de nous tuer si nous tentions de fuir. Lorsque l’armée congolaise a entamé ses opérations contre les Rwandais, les autres filles ont réussi à s’échapper. Moi, je n’osais pas bouger à cause de mon bébé. L’homme, avant de fuir, l’avait appelé « Prince »… Finalement, lorsque les combats se sont calmés, je suis partie à pied vers Minova où la Croix Rouge m’a recueillie. Si je retrouve ma famille au Katanga, j’espère qu’elle ne va pas me rejeter à cause du bébé rwandais. Mehura sourit en caressant le bébé joufflu : « Prince », c’est tout ce que j’ai… »
La petite Congolaise vit à côté de Mahoro, une Rwandaise de 15 ans, qui, elle, a été violée par des groupes armés congolais. Son père est rentré au Rwanda, sa mère a épousé un Congolais qui ne veut pas d’elle, elle a mal au ventre depuis qu’elle a perdu, à sept mois de grossesse, l’enfant qu’elle portait sans même savoir qu’elle était enceinte…Elle ne sait pas qui va un jour l’accueillir. Dans un autre centre du BVES, Innocent raconte qu’il avait 10 ans lorsqu’il fut enlevé par les rebelles hutus, transformé en esclave, en porteur, durant cinq ans, tandis que Bitawa, 15 ans, qui combattit avec les rebelles congolais Mai Mai raconte fièrement qu’il était devenu « docteur » : « je fabriquais les gri gri, les amulettes qui nous protégeaient des balles.. »Aujourd’hui, il apprend à se servir d’une machine à coudre.
Dans des familles d’accueil, des centres comme celui du BVES qui héberge 400 femmes et enfants dans la seule ville de Bukavu, des centaines, des milliers de « poussières de vie » flottent ainsi entre la guerre et la paix, entre la souffrance et l’espoir.
C’est pour ces innombrables et obscures victimes des conflits qui, depuis quinze ans, ont dévasté la région que les femmes venues de 40 pays se sont réunies à l’athénée d’Ibanda. Partout dans la ville, des banderoles disent non au viol et à la servitude, à l’exploitation sauvage des ressources minières, réclament une justice efficiente. Dans le grand hall qui porte le nom de la militante belge Denise Comanne, où le vent fait bouger des rubans noués en dernière minute, les femmes racontent leurs combats, disent leurs exigences. Grands boubous, turbans audacieusement noués, entrelacs de tresses, pagnes, bijoux traditionnels, les femmes rassemblées ici sont belles, éclatantes de couleur et de diversité. Elles se succèdent à la tribune, font de longues files devant le micro, s’expriment en toutes les langues, à tout moment des applaudissements éclatent, le slogan de la marche mondiale est repris en chœur : « sol sol solidarité, avec les femmes du monde entier ». Les institutions financières internationales, instruments d’une mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
qui écrase les femmes, en prennent pour leur grade, les ONG du Nord, volontiers donneuses de leçons et dont les programmes s’arrêtent lorsque les subventions s’épuisent, sont mises en cause « quel développement nous ont-elles apporté depuis quinze ans ? », demande une déléguée de Haïti, tandis qu’une Burundaise, fièrement, relève que la gratuité de l’enseignement primaire a été instaurée dans son pays et que les femmes enceintes ont désormais accès aux soins de santé.
Les Rwandaises, qui auraient tant à dire en matière de promotion de la femme (elles sont majoritaires au Parlement) ont renoncé à faire le voyage, arguant de questions de sécurité et beaucoup y voient un mauvais présage. En dernière minute, Joëlle Milquet a du annuler son voyage, mais la délégation venue de Belgique témoigne de la vitalité de la diaspora congolaise.
L’atmosphère est chaleureuse, désordonnée, conviviale. Toutes les femmes membres du gouvernement de Kinshasa ont fait le déplacement et, en leur nom, la Ministre du genre Marie Ange Lukiana rappelle qu’une loi sur la parité homme femme a été votée, ainsi qu’une loi interdisant les violences sexuelles. Mais de la loi à la pratique, le chemin est trop long… L’épouse du chef de l’Etat s ’insurge cependant contre cette appellation « capitale mondiale du viol » qui a été accolée à son pays et demande que « ceux qui ont amené ces groupes armés dans notre pays nous aident à les ramener chez eux… » Mme Olive Kabila surprend aussi lorsqu’elle incite les femmes à « balayer devant leur propre porte », à se montrer solidaires entre elles, par exemple en ne « chipant » pas les maris des autres, en se querellant entre belles sœurs, en n’étant pas assez attentives aux femmes âgées… Dans la salle, l’accueil est mitigé, d’aucunes y voient des messages d’ordre privé, mais beaucoup estiment aussi que la « première dame » a brisé des tabous. On se chuchote des histoires de « premiers » et « deuxièmes bureaux », on dénonce le machisme des Congolais et des hommes en général, en soulignant que la violence est aussi domestique.
A l’extérieur, dans une Foire de souveraineté alimentaire, des femmes vendent du fretin (menu poisson du lac), des pagnes, du café bio, des paniers de raphia. D’immenses photos montrent les femmes d’ici, qui gravissent les montagnes courbées sous le poids de leurs fagots. « Rien qu’en les regardant, je souffre » dit un jeune garçon, main dans les poches…
Dimanche, on marchera, sans doute dans le désordre et un joyeux tohu bohu, mais on avancera…
Source :Le Carnet de Colette Braeckman, voir aussi le quotidien Le Soir
est une journaliste belge et auteure de plusieurs livres sur l’Afrique centrale.
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