4 août 2015 par Ludivynn Munoz
Paul Biya - CC Flicker
Après avoir loué la démocratie au Bénin, François Hollande s’est rendu au Cameroun le 3 juillet, où Paul Biya, l’un des symboles de la Françafrique, est au pouvoir depuis 1982. Interrogé par la presse locale, François Hollande a dû reconnaître la responsabilité de l’armée coloniale française dans la répression sanglante contre les militants nationalistes de l’UPC.
Journalistes, intellectuels français et camerounais ainsi que des collectifs avaient lancé plusieurs appels au président français, avant sa visite d’État, début juillet, pour reconnaitre cette répression. François Hollande voulait y répondre furtivement car dans son discours à la presse avant la séance de questions réponses, il avait tenu des propos allusifs à ce sujet : « Il y a des liens humains qui unissent nos deux pays. Certains de ces liens plongent loin dans notre histoire, ils peuvent être douloureux et la France regarde toujours avec lucidité son passé pour préparer l’avenir ».
Il était surtout venu au Cameroun pour évoquer la question sécuritaire dans le nord du pays à cause de Boko Haram. Mais cette question cruciale pour le pays a vite été éclipsée car un journaliste de la Nouvelle Expression a voulu s’attarder sur la question historique. Pour toute réponse François Hollande a rétorqué : « Sur la question de l’histoire, j’y suis revenu. C’est vrai qu’il y a eu des épisodes extrêmement tourmentés et tragiques même, puisqu’après l’indépendance, il y a eu une répression en Sanaga maritime et en pays bamiléké… (Des militants indépendantistes par les forces françaises) ».
Par cette phrase bancale, François Hollande a pourtant fait une annonce historique car c’est la première fois qu’un président français reconnait ces massacres et invite à un devoir de mémoire. Lors de sa visite en 2009, François Fillon, alors Premier ministre, avait nié le fait que des membres de l’armée française avaient participé à des assassinats : « Je dénie absolument que des forces françaises participé en quoi que ce soit à des assassinats au Cameroun », « Tout cela est de la pure invention ».
Dans les années 1950, le Cameroun a pu être qualifié de « petite Algérie » en raison des troubles violents qui ont lieu dans ce territoire sous tutelle de l’ONU sous mandat français notamment à partir de l’année 1955. Les autorités françaises s’en prennent alors à l’Union des peuples du Cameroun (UPC) coupable d’avoir organisé les manifestations de mai 1955 et décident, en Conseil des ministres, de l’interdire. Pour le mouvement de libération nationale, une seule issue : prendre le maquis. S’ensuit une guerre de près de sept ans entre l’armée française et les « rebelles » qui sont traqués, arrêtés, torturés, assassinés comme les leaders du parti, Ruben Um Nyobè (secrétaire général de l’UPC assassiné par l’armée française le 13 septembre 1958) puis Félix Moumié (assassiné à Genève en 1960).
C’est donc surtout la trouble histoire franco-camerounaise qui a été au rendez-vous de cette visite d’État du président français au Cameroun. Cette lourde histoire commune est faite de massacres puis de magouilles entre Paris et Yaoundé, tout cela au cœur de la Françafrique. Car les assassinats des militants de l’UPC ne se sont pas arrêtés à l’indépendance et ont continué jusque dans les années 1970, la France ayant intrigué pour mettre en place à Yaoundé un régime à sa botte. C’est donc l’armée nationale camerounaise sous commandement français qui a pris la relève et continué les massacres. Le régime d’Ahmadou Ahidjo a notamment fait éliminer un leader de l’UPC, Ernest Ouandié (fusillé en 1971).
Il y a eu de nombreuses réactions positives face à cette annonce du président français tant dans la presse camerounaise qu’auprès de certaines organisations et associations. Cependant, ils sont nombreux à demander à la France d’aller plus loin (excuses officielles, réparations…). D’autres comme l’historien-philosophe, Achille Mbembe (auteur d’un ouvrage sur le sujet en 1996 : La Naissance du maquis dans le Sud-Cameroun, 1920-1960, Histoire des usages de la raison en colonie), précise dans le Journal du Cameroun.com qu’ « ouvrir les archives n’a de sens que si en fin de compte la justice est rendue ». Il veut aussi que son pays et que les Camerounais se saisissent de cette question car « lorsqu’un peuple laisse à un président étranger le soin de légiférer sur sa mémoire, alors on est dans un tout autre registre, celui de la capitulation ». De plus, François Hollande n’a pourtant pas évoqué clairement la mise en place de cette déclassification des archives françaises.
Une commission mixte franco-camerounaise devrait se mettre en place dans le but de faire la lumière sur cet épisode sanglant de l’histoire camerounaise comme cela a été le cas pour l’Algérie. Il serait ainsi possible d’évaluer clairement le nombre total de victimes (notamment chez les Bamilékés), que ces massacres et cette guerre qui ne dit pas son nom, ont pu faire.
Et au-delà de la loi camerounaise du 16 janvier 1991, qui conféra le statut de « héros national » aux leaders de l’UPC, les Camerounais et les Français doivent tenter de se réapproprier cette histoire si longtemps tut.
Paul Biya, dinosaure de la Françafrique, au pouvoir depuis plus de 32 ans et dont les forces de sécurité répriment toutes tentatives d’opposition (comme lors des révoltes de 2008 ou encore en intimidant Albert Moutoudou, co-auteur d’un ouvrage sur le sujet) sera-t-il prêt à affronter l’histoire alors que « l’amnésie est devenue une technique de contrôle et d’abrutissement des masses » selon la déclaration d’Achille Mbembe dans le Journal du Cameroun.com ? On peut en douter, tant son silence sur la question est assourdissant.
Pour aller plus loin :
De nombreux ouvrages ont été réalisés sur cette question passée sous silence. L’un des premiers celui de Mongo Beti (Main basse sur le Cameroun, Autopsie d’une décolonisation, 1972) fut longtemps interdit. Citons également celui de Jean Chatain, Augusta Epanya et Albert Moutoudou (Kamerun, L’indépendance piégée, De la lutte libération à la lutte contre le néocolonialisme, 2011) et celui de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa (Kamerun, Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971, 2011).
Source : l’Humanité