19 décembre 2014 par Eric Toussaint
La loi « antiterroriste », adoptée début décembre 2014 par le Parlement au Cameroun et qui instaure la peine de mort, provoque une levée de boucliers chez les opposants et les mouvements sociaux locaux. Les opposants à la loi dénoncent en particulier l’article 2, qui déclare passible de la peine de mort quiconque « commet tout acte ou menace susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique, d’occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages de ressources naturelles, à l’environnement ou au patrimoine culturel ». Le code pénal camerounais prévoit déjà la peine capitale pour les coupables de meurtres et d’assassinats, le texte de la loi y ajoute donc désormais les personnes qui ne commettent qu’une menace... On mesure la latitude que se donne le pouvoir pour renforcer brutalement la répression et criminaliser la protestation sociale.
C’est ainsi que mercredi 10 décembre 2014, des associations citoyennes et des mouvements sociaux ont manifesté à Yaoundé pour exiger du président Biya qu’il ne promulgue pas cette loi [1], qui « criminalise les réunions et manifestations publiques », selon le collectif Dynamique citoyenne, qui regroupe une centaine d’associations et qui est animée notamment par des membres de la Plate-forme d’information et d’action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
contre la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
(membre du CADTM international).
Dynamique citoyenne explicite la dénonciation : « vous serez considéré comme terroriste si, par exemple, lors d’une manifestation publique organisée pour exiger l’amélioration du code électoral, pour dénoncer l’incurie des gouvernants en place, pour revendiquer la revalorisation des salaires ou l’harmonisation de l’âge de départ à la retraite à 60 ans pour tous, votre action peut, selon les humeurs des tenants du pouvoir, tomber sous le coup de « tout acte ou menace d’acte susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique [si en défendant vos droits vous résistez à Abraham ou Mamiwata et aux forces du désordre], d’occasionner des dommages corporels ou matériels [si vous cassez les kiosques du PMU], des dommages aux ressources naturelles, à l’environnement [si vous brûlez les pneus en polluant l’atmosphère] ou au patrimoine culturel [si vous vous en prenez à la statue de Charles ATANGANA ou au monument LECLERC] » » [2]. « Si M. Biya promulgue cette loi, nous allons l’assimiler à une déclaration de guerre et nous n’entendons pas nous laisser faire », prévient Jean-Marc Bikoko [3], porte-parole de Dynamique citoyenne, dirigeant syndical bien connu et membre actif
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
du CADTM international.
Manifestement le pouvoir fort veut se prémunir contre d’éventuels troubles avant la présidentielle de 2018. Président depuis 1982, Paul Biya, 81 ans, entretient le mystère sur ses intentions mais il est clair qu’il est tenté de prolonger une fois encore son mandat. Ce texte apparaît manifestement comme sa réponse au soulèvement populaire qui a entraîné la chute du régime dans divers pays africains et en particulier au Burkina Faso en novembre 2014 : il cherche à terroriser les mouvements sociaux et la jeunesse pour les empêcher de sortir en masse dans la rue, même si le dispositif légal pour réprimer la protestation sociale est déjà très grave avant même l’entrée en vigueur de cette loi. Le pouvoir en use et abuse. Par exemple, la garde à vue est d’une durée de quinze jours renouvelables.
En-dehors des activités organisées par le parti au pouvoir et ses satellites, toute manifestation ayant trait à la protestation, à la dénonciation ou à la revendication se heurte toujours à l’abus d’autorité et à l’excès de zèle de l’administration qui crée sciemment l’amalgame entre « déclaration » et « autorisation », et pour qui ces réunions et manifestations sont toujours susceptibles de troubler l’ordre public.
Tel a été le cas en 2007 dans le cadre de la manifestation organisée par les organisations membres de la CSP devant le siège du Parlement camerounais relative à la revalorisation des salaires dans la fonction publique. La même situation s’était reproduite le 11 novembre 2010 dans le cadre de la mobilisation organisée par la CSP à Yaoundé devant les services du Premier ministre qui a vu l’arrestation de 7 militants syndicalistes inculpés pour « délit de réunion et manifestation illégale », inculpation qui avait donné lieu à un procès de 15 mois, lequel s’est soldé par l’acquittement des prévenus par le tribunal de première instance de Yaoundé [4].
Dans la même optique, les autorités n’ont pas permis que se déroule à l’endroit prévu la manifestation convoquée par Dynamique citoyenne le 10 décembre 2014. La veille, cette association a été obligée de convoquer le public à un autre endroit de la ville. L’objectif du pouvoir était de décourager les manifestants potentiels et de limiter strictement la possibilité d’exprimer son opinion de manière organisée sur la place publique. On peut constater que cette politique du régime atteint partiellement son objectif : les mobilisations de rue sont faibles pour le moment.
La Grande palabre sur la dette
Le 11 décembre 2014, plusieurs associations avaient uni leurs efforts pour convoquer une conférence publique dans le cadre de « La Grande Palabre ». La veille, le public convoqué pouvait lire sur la toile de médias alternatifs : « La Grande Palabre a été annulée pour la troisième fois. L’organisateur veut se plaindre auprès de la justice ».
Cet article précisait : « La session de La Grande Palabre, du 11 décembre 2014, avait pour thème « le Cameroun et l’Afrique pris dans les tenailles de la dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
et de l’imaginaire occidental ». Eric Toussaint devait entretenir l’auditoire. « Pour la troisième fois, nous sommes victimes des abus du sous-préfet de Yaoundé 1er qui refuse de nous délivrer le récépissé de déclaration de réunion publique en prétextant que Germinal, personne morale, ayant une personnalité juridique conférée par son récépissé de déclaration n°034/RDDJ/J06/BASC délivré le 25 juillet 2003, n’est pas habileté à organiser une réunion publique (conférence-débat). Pourtant 38 fois, ce même sous-préfet et son prédécesseur ont délivré à Germinal 38 récépissés de déclaration de réunion publique ». Jean-Bosco Talla [5] le directeur de publication du journal Germinal est outré. A cause des raisons qu’il vient d’énoncer, la session de la « Grande Palabre », la conférence-débat qu’il organise, ne se tiendra plus comme prévu à l’hôtel Franco de Yaoundé, le 11 décembre 2014. Il annonce sa délocalisation à l’hôtel Jouvence 2000, toujours dans la capitale. Le sous-préfet Jean-Paul Tsanga Foé explique que l’objet du débat de la « Grande Palabre » est contraire au récépissé de dépôt de déclaration de l’organe de presse de Jean-Bosco Talla. Une mesure que Jean-Bosco Talla conteste naturellement. » [6]
Cela donne une idée des tracasseries et des obstacles mis par le pouvoir en travers de l’action de toutes les associations indépendantes et critiques. La réunion a donc eu lieu dans un autre endroit alors qu’une partie du public s’était rendue vers l’endroit initial. D’autres, découragés ou inquiétés par ce qui allait se passer, avaient décidé de rester chez eux. Malgré cela, environ 70 personnes ont participé à la conférence, retransmise en direct sur les ondes de la radio alternative Cheikh Anta Diop [7]. Quatre jours plus tard, une deuxième conférence publique sur « Les enjeux de l’endettement » prolongeait les débats du 11 décembre [8]. Cette conférence était notamment convoquée par la plate d’information et d’action sur la dette et par la confédération syndicale des services publics (CSP).
Le gouvernement camerounais a réussi jusqu’ici à convaincre la population que la dette ne constituait plus un problème réel pour le pays. La dette publique interne et externe représente moins de 20% du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
en 2014 alors qu’en France elle atteint 96%, aux États-Unis elle atteint 100%, en Belgique elle dépasse 100%, en Italie 130%, sans parler de la Grèce dont la dette dépasse 170%. Néanmoins, le remboursement de la dette représente 9% des dépenses du budget de l’État en 2014 tandis que la santé publique ne représente que 5% du budget. En 2015, selon le budget officiel, le remboursement de la dette augmentera de 33%. Ce sont les banques privées camerounaises qui en profitent largement car elle prêtent à l’Etat à du 5,5%.
En 2015, il faut également prendre en compte l’impact de la chute du prix du pétrole sur le marché mondial. Le Cameroun est un pays exportateur de pétrole et la chute du prix provoquera une chute des recettes de l’Etat et rendra plus difficile le remboursement de la dette. Dans un pays où le salaire mensuel minimum légal n’atteint que 50euros (32.000francs CFA) alors que la plupart des denrées se vendent au prix du marché mondial, les Camerounais paient une taxe unique de 19,5% de TVA sur tous ces produits (à quelques exceptions près), ce qui transforme la vie quotidienne en une lutte permanente, il est essentiel de trouver une solution au problème de la dette illégitime
Dette illégitime
C’est une dette contractée par les autorités publiques afin de favoriser les intérêts d’une minorité privilégiée.
Comment on détermine une dette illégitime ?
4 moyens d’analyse
* La destination des fonds :
l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
* Les circonstances du contrat :
rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d’accord.
* Les termes du contrat :
termes abusifs, taux usuraires...
* La conduite des créanciers :
connaissance des créanciers de l’illégitimité du prêt.
. C’est pourquoi la Plate-forme d’information et d’action sur la dette, membre du CADTM, a décidé de lancer une campagne en faveur de l’audit citoyen de la dette. Le réseau CADTM est mobilisé sur le thème de l’audit citoyen et de l’abolition de la dette odieuse, au Cameroun comme ailleurs.
[1] Voir Agence France Presse, « Vive polémique au Cameroun autour d’une loi « antiterroriste » jugée
« liberticide » », 12/12/14
[2] Voir le dossier presse réalisé par Dynamique Citoyenne pour le 10 décembre 2014 - Journée internationale des droits de l’Homme.
[3] Voir quelques interviews récentes de Jean-Marc-Bikoko : http://cadtm.org/Entretien-avec-Jean-Marc-Bikoko-L , http://cadtm.org/Pourquoi-faut-il-realiser-un-audit , http://cadtm.org/L-audit-de-la-dette-publique
[4] Voir le dossier presse réalisé par Dynamique Citoyenne pour le 10 décembre 2014 - Journée internationale des droits de l’Homme.
[5] Le journaliste Jean Bosco Talla, Directeur de Publication du Journal Germinal a été victime à plusieurs reprises de la répression du régime fort de Paul Biya : emprisonnement, condamnation à une lourde amende, arrestation musclée,... Voir : http://www.afrik.com/article18239.html et http://www.survie-paris.org/appel-a-la-solidarite-pour-la.html
[6] Source : Cameroon-Info.Net
http://www.cameroon-info.net/stories/0,64587,@,cameroun-la-grande-palabre-un-sous-prefet-interdit-une-conference-debat-a-yaound.html
http://en.newhub.shafaqna.com/CM/9206
[7] Voir site de cette radio : http://www.radiocad.info/contact/
[8] Voir le compte-rendu publié dans la presse camerounaise : http://cadtm.org/Cameroun-les-enjeux-de-l ou http://www.yaoundeinfos.com/2014/12/cameroun-les-enjeux-de-l-endettement-au-centre-d-une-conference-debat-a-yaounde.html
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
Série : 1944-2024, 80 ans d’intervention de la Banque mondiale et du FMI, ça suffit !
Équateur : De Rafael Correa à Guillermo Lasso en passant par Lenin Moreno4 septembre, par Eric Toussaint
30 août, par Eric Toussaint
Série : 1944-2024, 80 ans d’intervention de la Banque mondiale et du FMI, ça suffit !
Équateur : Les résistances aux politiques voulues par la Banque mondiale, le FMI et les autres créanciers entre 2007 et 201116 août, par Eric Toussaint
Série : 1944-2024, 80 ans d’intervention de la Banque mondiale et du FMI, ça suffit !
Les prêts empoisonnés de la Banque mondiale et du FMI à l’Équateur14 août, par Eric Toussaint
27 juillet, par Eric Toussaint
11 juillet, par Eric Toussaint
10 juillet, par Eric Toussaint
5 juillet, par Eric Toussaint , CADTM Belgique
Série : 1944-2024, 80 ans d’intervention de la Banque mondiale et du FMI, ça suffit !
L’ajustement structurel et le Consensus de Washington n’ont pas été abandonnés par la Banque mondiale et le FMI au début des années 20003 juillet, par Eric Toussaint
1er juillet, par Eric Toussaint , Renaud Vivien , Victor Nzuzi , Luc Mukendi , Yvonne Ngoyi , Najla Mulhondi , Anaïs Carton , Cynthia Mukosa , Nordine Saïdi , Mouhad Reghif , Georgine Dibua , Graziella Vella , Monique Mbeka , Guillermo Kozlowski , CMCLD , ACM , Pauline Fonsny , Céline Beigbeder , Nicolas Luçon , Julie Nathan