Les officiels se sont congratulés, les grands médias ont exulté, certaines ONG ont même parlé de victoire historique. Cancun aurait été une réussite et l’on se croirait en route pour un paradis climatique. Hélas, la victoire claironnée ne concernait pas la protection du climat, un comble, mais la capacité de négociations inter-gouvernementales. L’ONU aurait, grâce à cet accord, démontré son utilité dans le dialogue constructif entre les États. Simple show médiatique pour nous faire oublier le lamentable échec de Copenhague ? Sans aucun doute, car à la lecture du document final, force est de constater que non seulement rien de contraignant n’est mis en œuvre pour ralentir le désastre climatique, mais qu’au contraire, on propose en attendant la prochaine rencontre annuelle une batterie de solutions faussement écologiques que l’on confie au marché et à ses promoteurs les plus néfastes. Pseudo-solutions et report des échéances, sans oublier le déni des propositions issues des mouvements sociaux réclamant partout dans le monde une justice sociale et écologique. Survol d’une hécatombe annoncée.
Ce qui ressort de « l’accord » :
Les négociations sur le climat sont d’abord une question de très gros sous. Évidence pour une civilisation qui a extrait l’économie de l’ensemble des processus du vivant pour l’ériger comme dogme quasi religieux. Ce culte irrationnel de la croissance infinie, mâtiné d’une mauvaise lecture du principe de compétition des espèces posé par Charles Darwin, est l’unique credo d’une grande majorité des décideurs. Pour notre plus grand malheur, ceux-ci sont dès lors incapables de penser en d’autres termes, malgré les enjeux de survie auxquels nous sommes confrontés. Chacune des parties dominantes veut concéder le moins possible en termes économiques. Résultat : l’accord ne comporte rien de réellement contraignant en termes de réductions des Gaz à Effet de Serre (GES), mais comme il fallait donner l’impression d’agir tout en continuant la marche forcée de la croissance, on nous a présenté pour seules solutions des mécanismes profitables économiquement :
Le mécanisme REDD+ (Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation de la forêt dans les pays en développement) [1] : critiqué depuis sa création en 2005 par de nombreux analystes écologistes [2], militant-e-s, indigènes, puisqu’il favorise... la déforestation mais aussi l’expulsion de populations indigènes des territoires qu’elles entretiennent et protègent depuis des temps immémoriaux. Ce principe d’expropriation est soutenu par de grandes ONG de stricte conservation des forêts (de type de celle qui a un gentil panda comme logo), trop souvent du côté des États-Unis dans les négociations afin que REDD+ soit géré par des mécanismes de marché. REDD+ est aussi inadéquat d’un point de vue temporel pour une véritable réduction de la concentration des GES dans l’atmosphère que néfaste pour la préservation de la biodiversité. En effet, les enjeux aujourd’hui sont d’extraire de l’atmosphère les déchets gazeux de la combustion des énergies fossiles issues de l’industrialisation. Charbon, pétrole et gaz étaient un stock d’énergie thermique, mais aussi de GES enfouis dans le sol progressivement sur plusieurs millions d’années. Et en 200 ans, nous avons libéré cette manne immense de GES, perturbant le fragile équilibre climatique. Avec une capacité moyenne de stockage évaluée à 100 ans, les arbres relâcheront bien vite le C02 capturé et tous les « efforts » consentis n’auront servi à rien. Quant à la biodiversité, mettre un prix sur les seuls arbres comme puits de carbone ignore la complexité des échanges naturels et l’interdépendance des espèces. On voit d’immense monocultures d’arbres être éligibles aux deniers de REDD+, alors qu’il s’agit bel et bien de la continuation de la destruction de la nature ayant un impact négatif sur le climat. La seule solution de sortie de crise est un changement global de système et l’arrêt rapide des industries extractives des ressources naturelles.
Le commerce de carbone : une fausse solution par excellence qui laisse au marché le soin de résoudre les problèmes qu’il a créés [3].
L’économie verte : Fer de lance d’une nouvelle phase du capitalisme après l’échec du capitalisme financier [4] , l’économie verte est pensée et voulue en termes de pérennisation de la croissance économique. Cependant, elle nous est présentée avec un label vert : nucléaire vert (sic, re-sic et re-re-sic), voitures écologiques (quid des peintures synthétiques, des résines chimiques, des quantités d’énergie et de matières premières nécessaires à la fabrication desdites voitures ?, etc.), agrocarburants qui privent les populations du Sud d’immenses territoires nécessaires à la production d’aliments leur permettant de vivre, principe de recyclage généralisé (un leurre pour tenter le statu quo sociétal en totale contradiction avec les lois de la thermodynamique puisque l’énergie ne peut être recyclée et la matière recyclée devient de moins en moins utilisable), etc. La liste des fausses solutions, les seules qui arrivent sur le marché de l’économie verte actuellement, est par trop longue au regard des quelques solutions intéressantes qui émergent.
Le fonds climatique : confié dans un premier temps au Groupe Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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(GBM), ou comment confier la gestion de la bergerie à un loup climatique...
Alerte ! Le GBM va gérer les nouveaux fonds verts ! [5]
Le GBM est-il qualifié et légitime pour gérer un fonds climat ? Oui à en croire le ministère belge des finances, en accord avec celui de l’énergie et du climat. Non pour celles et ceux qui prennent le temps d’analyser sérieusement les résultats du GBM. En effet, si l’on considère l’évolution des investissements de cette institution dans les domaines énergétiques ces dernières années, on découvre que si la part allouée aux énergies renouvelables et aux économies d’énergie est en augmentation, la part dédiée aux énergies fossiles est elle en nette augmentation et est cinq fois supérieure aux financements de projets dédiés aux énergies renouvelables. Le GBM est donc clairement une part du problème, pas de la solution. Pour la simple année 2008, les investissement du GBM dans les énergies fossiles contribuèrent à hauteur de 7% du total mondial des émissions de GES du secteur énergétique. Pourtant, depuis 1992 déjà, la Banque mondiale est en charge du GEF (Global Environment Facility, Fonds pour l’Environnement Mondial), un Fonds au service de la CCNUCC [6] pour lutter contre le changement climatique (mais aussi pour la préservation de la biodiversité et pour la lutte contre la désertification). De plus, lorsque l’on analyse les 26 derniers investissements réalisés dans le secteur énergétique, pas un seul n’a servi à apporter de l’électricité aux populations du Sud ni à contribuer à leur bien-être. De déplacements de populations dus aux méga-barrages à la construction de centrales à charbon augmentant le prix de l’électricité pour les populations les plus pauvres ainsi que le poids de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
sur leurs épaules, la Banque mondiale échoue encore et toujours face à ses objectifs de réduction de la pauvreté, mais réussit toujours plus à faciliter l’accès des multinationales états-uniennes aux ressources du Sud.
La Banque mondiale, un outil au service du capitalisme états-unien ? Les agissements du président états-unien Obama ne laissent aucun doute à ce sujet. En juin 2009, lorsqu’il a avalisé une loi prévoyant l’affectation de ressources supplémentaires à différents secteurs (dont un nouveau financement de 106 milliards de dollars pour les guerres en Irak et Afghanistan, et l’augmentation des fonds mis à disposition du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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), il a pris soin d’ajouter un signing statement [7] où il déclarait qu’il ne se considérait pas lié par certaines dispositions de cette loi qui « limitent [sa] capacité à conduire les activités diplomatiques et les négociations en matière d’affaires étrangères » [8] . Les sections de la loi qu’Obama a choisi d’ignorer demandaient que les représentants états-uniens à la Banque mondiale agissent pour le renforcement des normes quant aux droits des travailleurs et à l’environnement, pour la prise en compte des gaz à effet de serre dans l’évaluation des projets, pour plus de transparence dans les budgets, entre autres.
Cancun : la voix des peuples a été étouffée mais la mobilisation ne faiblit pas.
Le sommet des peuples sur le changement climatique qui s’est tenu à Cochabamba (Bolivie) en mai 2010, suite à l’échec de Copenhague, s’est terminé par une déclaration des peuples sur le climat. Celle-ci aurait dû être intégrée aux travaux de ce COP16 de Cancun, mais a simplement été ignorée. Des délégué-e-s de la société civile, des communautés indigènes, se sont vu refuser l’entrée du Moon Palace, luxueux endroit où se déroulaient les négociations, alors qu’ils/elles possédaient une accréditation valable.
La Bolivie, soutenue par les mouvements sociaux planétaires, a refusé cet accord de Cancun [9] et va tenter de le faire annuler en déposant un recours auprès de la Cour internationale de justice de La Haye car l’approbation de ce genre d’accord doit se faire au consensus. Les propositions du gouvernement Morales écartées dans les négociations concernaient entre autres la réduction drastique des émissions, mais aussi la mise en place d’un tribunal international pour sanctionner les infractions aux accords climatiques. On comprend dès lors beaucoup mieux pourquoi ces voix n’ont pas été écoutées par les poids lourds des négociations. Ces voix dérangent, elles empêchent de commercer en rond, elles rappellent les réalités du monde vrai, de l’en-dehors du petit monde économique. Elles expriment, et de plus en plus fort, qu’il est l’heure, l’heure de changer de paradigme, l’heure de faire payer la dette écologique
Dette écologique
La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.
La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :
La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.
La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.
Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.
L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.
Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
aux responsable du désastre actuel, l’heure de passer du bien-être de quelques-uns au Bien-Vivre pour toutes et tous.
Car à défaut,
c’est la petite heure à l’échelle de l’univers
où nous avons foulé la planète Terre
qui ne sera bientôt qu’un souvenir passé
si l’on dépasse les fatidiques 2°C,
Nous, nous serons sur l’autoroute pour l’enfer.
[1] Le principe de REDD était dans un premier temps de rémunérer les PED qui réduiraient leur déforestation. Puis s’y sont ajoutés la dégradation des forêts, la gestion forestière, les plantations d’arbres et la conservation des stocks de carbone, pour devenir REDD+ depuis 2007. Chaque principe de REDD+ est hautement discutable quant aux bienfaits qu’il engendrerait pour la nature.
[2] Voir l’article (en anglais) très utile sur ce sujet : http://www.redd-monitor.org/2010/12/18/the-cancun-agreement-on-redd-four-questions-and-four-answers/
[3] Albert Einstein disait : « La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent ». Au vu des résultats des premières phases de ce mécanisme, il ne faut pas s’attendre à voir les industries réduire leurs émissions globales, que du contraire. Pour une analyse critique du marché de carbone : http://www.france.attac.org/spip.php?article8006
[4] Échec, sauf pour les ultra-nantis qui ont encore un peu plus concentré les richesses dans leurs mains durant la crise financière de 2008. Au niveau européen, le transfert de fonds des États vers les grandes institutions financières dans le cadre de leur sauvetage est à hauteur de 4 500 milliards d’euros ! Cet argent va être ponctionné de nos impôts, de nos systèmes de protections sociales, de l’éducation, sous couvert d’austérité. Il ne s’agit de rien de moins que d’un hold-up organisé. Je n’ose imaginer les résultats que produira l’échec prochain du capitalisme vert sur la nature.
[5] Mais une campagne internationale est en cours pour exiger que la BM se retire de la gestion financière concernant le changement climatique=> http://www.worldbankoutofclimate.org/
[6] Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique
[7] Déclaration jointe à l’acte de promulgation . Le prédécesseur d’Obama à la présidence, G.W. Bush avait été largement critiqué pour son abus dans l’utilisation des signing statements, qui altéraient de manière substantielle le contenu des lois.
[8] Voir, en anglais, http://thehill.com/homenews/administration/48019-obama-issues-signing-statement-on-106b-war-bill Voir églaement le signing statement http://www.whitehouse.gov/the_press_office/Statement-from-the-President-upon-signing-HR-2346/ et le texte de la loi http://www.opencongress.org/bill/111-h2346/text
[9] Voir la déclaration du Sommet alternatif des peuples du Sud sur la justice climatique et son financement : http://www.climate-justice-now.org/south-south-summit-on-climate-justice-and-finance/
était membre du CADTM Belgique et co-auteur avec Renaud Duterme de La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, 2014.
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