Carton rouge pour le Club de Paris !

4 juillet 2016 par Claude Quémar , Maud Bailly


Le 1er juillet 2016, le Club de Paris a célébré officiellement ses 60 années d’existence. Ce sont surtout 60 années d’illégitimité : il est plus que temps que le Club de Paris soit mis hors-jeu.

Le Club de Paris n’est pas un club de foot. Il s’agit d’un groupe d’États créanciers du Nord, spécialisé dans le traitement des défauts de paiements par la renégociation de leurs dettes publiques bilatérales. Depuis sa création en 1956, le Club de Paris a conclu 433 accords avec 90 pays débiteurs.



Un match déséquilibré : seul contre tous

Les représentants des 21 pays [1] qui le composent se réunissent au sein du ministère français des Finances, aux côtés d’observateur des institutions internationales comme le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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ou la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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. Face à un cartel de créanciers puissants et unis, le pays débiteur se retrouve seul et isolé.


Business as usual

Dans un match de pure finance internationale, il s’agit de recouvrer le maximum de fonds. Lorsque le Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
intervient, la restructuration de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
qu’il opère vise à rétablir la solvabilité du pays en se contentant de rendre la dette remboursable. Il n’est nullement question de droits humains ou de conditions de vie des populations.


Un adversaire qui n’existe pas

Mais au fait, quel match ? Le Club de Paris n’existe pas : pas d’existence légale ni de statuts, une « non-institution » comme il se définit lui-même. Le groupe informel ne fait que formuler des « recommandations » qui, dans la pratique et selon le principe de « solidarité » qui régit le Club, sont appliquées à la lettre par les États membres. Pour ajouter à cette dimension opaque, son agenda des sessions n’est jamais rendu public à l’avance et la teneur de ses réunions à huis clos est maintenue secrète.


Un match truqué

De surcroît, ce match est truqué d’entrée de jeu : le Club de Paris est à la fois juge et partie. Pour accéder à une réunion de « négociation », le pays surendetté, en situation de quémandeur, a dû, d’une part, démontrer l’impossibilité de poursuivre les remboursements et d’autre part, conclure un accord économique avec le FMI. Ce « pompier pyromane » qui éteint les feux pour en rallumer d’autres, en imposant comme conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. une série de réformes qui, non seulement, sont contraires à l’intérêt du pays endetté et à son peuple, mais sont également contre-productives en plongeant l’économie du pays dans la spirale de l’austérité.


Le leitmotiv du vainqueur… à travers quelques matchs commentés

Le Club de Paris est un instrument central dans la stratégie des pays créanciers pour conserver une emprise sur l’économie des pays du Sud au bénéfice du secteur financier et des multinationales des pays membres. Les enjeux géopolitiques des créanciers jouent un rôle déterminant dans le choix des pays auxquels est accordé une restructuration de dette et dans les modalités de celles-ci. Cela a été le cas pour la Pologne du gouvernement pro-occidental de Lech Walesa qui a obtenu en 1991 une réduction de 50 % de sa dette, et pour l’Égypte qui a obtenu un traitement similaire la même année, alors que le dictateur Moubarak à sa tête constituait un soutien clé dans la première guerre du Golfe. Ou encore l’Irak, suite à l’invasion illégale du pays en mars 2003 par les États-Unis et leurs alliés, qui a bénéficié en 2004 de 80 % d’annulation du stock de sa dette et un moratoire Moratoire Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.

Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
sur le paiement jusqu’en 2008. Alors que tant de pays défavorisés n’ont pas droit au moindre allègement.

Dans de nombreux cas, le Club de Paris a restructuré des dettes issues de régimes dictatoriaux servant ses intérêts, leur octroyant par là une légitimation et empêchant une annulation pure et simple de ces dettes sur base de l’argument juridique de la dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
. Pour ne citer que quelques exemples : le Chili de Pinochet en 1974, l’Indonésie de Suharto, le Brésil et sa junte militaire, la RDC de Mobutu…


Un Club peu fair-play

Le fonctionnement du Club de Paris interdit à ses membres de prendre des initiatives qui mettraient en porte à faux les autres membres. C’est ainsi que la Norvège, pour avoir reconnu le caractère illégitime de certaines de ses créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). vis-à-vis de cinq pays (Équateur, Égypte, Jamaïque, Pérou et Sierra Leone) et les avoir unilatéralement annulées en 2006, s’est vue reprocher cette initiative par les autres membres du Club.

Suite au passage en 2004 de l’ouragan Ivan sur l’île de Grenade, ce pays ne s’est vu accorder en 2006 qu’un rééchelonnement de 16 millions de dollars, sans aucune annulation, à condition de rembourser ses arriérés. Le 26 décembre 2004, un tsunami ravageait l’Océan indien, entraînant des destructions et des centaines de milliers de victimes. Les pays membres n’ont accordé au Sri Lanka et à l’Indonésie qu’un différé de paiement toujours sous condition de rembourser les créances non concernées.


Des matchs nuls

L’objectif affirmé du Club est d’aider les pays concernés à « mettre en œuvre des politiques lui permettant de ne plus recourir au Club de Paris ». En réalité, cela ne marche pas. Le Sénégal est passé 14 fois devant le Club depuis 1981, la RDC 13 fois depuis 1976, le Togo 13 fois depuis 1979, la Côte d’Ivoire 12 fois depuis 1984… Les politiques proposées se traduisent par une ouverture des économies aux multinationales, des mesures antisociales… et un nouvel endettement.


Carton rouge pour le Club de Paris !

Le Club de Paris doit être mis hors-jeu du terrain international, de même que ses co-équipiers la Troïka Troïka Troïka : FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne qui, ensemble, imposent au travers des prêts des mesures d’austérité aux pays en difficulté. , le FMI, la Banque mondiale et l’OMC OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
. Bien que le Club de Paris fasse pression pour empêcher quiconque de se soustraire à sa mainmise, un État a le droit de poser des actes souverains unilatéraux, sur base d’arguments de droit international et national, en suspendant le paiement de sa dette, en réalisant un audit intégral (avec participation citoyenne), en répudiant la part illégitime et illégale, et en imposant une réduction de la part restante. Un État a le devoir de protéger les droits humains de sa population et cette obligation Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
prime sur tous ses autres engagements.

Face à une nouvelle crise de la dette des pays du Sud qui menace d’éclater, avec la chute du prix des matières premières et le risque d’une augmentation des taux d’intérêts par la Réserve fédérale des États-Unis, le Club de Paris risque bien de revenir sur le devant de la scène. Face aux désastres que cela suppose pour les populations, le CADTM – Comité pour l’abolition des dettes illégitimes – exige la suppression pure et simple du Club de Paris, l’abandon des plans d’ajustement structurel et l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure publique des pays du Sud et de la Grèce qui est devenu le premier pays débiteur du Club de Paris.


Plus d’infos : http://www.clubdeparis.fr


Notes

[121 depuis l’adhésion de la République de Corée le 1er juillet 2016

Claude Quémar

est membre du CADTM France

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Maud Bailly

Militante au CADTM Belgique

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