28 janvier 2016 par Souad Guennoun
Photos : Souad Guennoun
Les enseignants stagiaires poursuivent leur mouvement au niveau national depuis maintenant 4 mois contre les réformes du gouvernement, les menaces et la répression. [1]
La lutte des enseignants stagiaires se poursuit dans plusieurs villes et touche la plupart des régions du Maroc. Une nouvelle génération, en majorité des femmes, déterminée et combative, résiste face à un gouvernement sourd et la répression toujours pour seule réponse.
À Casablanca le mercredi 13 janvier 2016, la coordination des enseignants stagiaires a organisé et réussi à tenir un sit-in devant les deux tours des Twin Center -symbole de la finance et vitrine de la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
libérale – et bloqué la circulation dans ce point névralgique de la ville- pour affirmer leurs droits : contre la sélection pour l’enseignement public, contre la répression aveugle qui frappe leur mouvement dans plusieurs villes du Maroc et les menaces du gouvernement.
Le lendemain, jeudi 14 janvier, la coordination avait appelé à un rassemblement au centre de Casablanca à partir de 17h, place Maréchal.
La place Maréchal, face au Café de France- qui a refait sa façade sans changer de nom- a été cernée par un impressionnant déploiement des diverses forces de répression, de caïd aux chioukhs, de flics civils de toutes sortes, de baltagis, de photographes véreux, des barbouzes aux gros bras, des faux-mendiants, des vrais prêts à tabasser... Un impressionnant déploiement d’estafettes, des vieilles et des nouvelles rutilantes, des flics à moto, des téléphones nouvelles générations...
L’accès à la place a été cerné, les ruelles gardées, des patrouilles et matraques menacent. Vers 18h une centaine de militant.es était encerclée par plusieurs barrages. Impossible de rentrer dans le cercle : différentes forces de répression en contrôle l’accès. Un photographe, présent durant les manifs du M20F, me salue et surtout m’indique d’un regard complice à un agent galonné qui me barre le passage. Je reste à l’extérieur du cercle de militants qui scandent slogans contre la répression et qui sont encerclés par plus du double en force de répression.
De l’extérieur du cercle nous sommes quelques-uns à observer ceux qui surveillent, contrôlent, provoquent. Ils nous poussent, repoussent, mais quelques curieux s’approchent. Nous sommes photographiés plus ou moins discrètement par des civils.
Ce jeu de nous pousser se poursuit, tantôt menaçant, tantôt protecteur.
La vieille médina, derrière ses remparts
La vieille médina est en face, mais ses habitants ne nous rejoignent pas. Un bouclier sécuritaire empêche le rassemblement, craignant par dessus tout la rencontre, entre manifestants et citoyens.
La ville est cloisonnée sur la place Maréchal. Le tramway de Casablanca, sponsorisé [2] et récupéré par la RATP, [3] poursuit son trajet chaotique comme si de rien n’était en attendant l’annonce de l’augmentation du ticket [4]… La muraille de la vieille médina, vandalisée, faite, mal faite puis refaite, à coup de plusieurs budgets, détournés… continue à se délabrer sans cesse.
La population, cloîtrée dans la vieille médina, continue de vivre isolée du centre ville dite moderne, conçue par et pour les colons du temps de la colonisation française [5].
La tour de l’Horloge [6] destinée à indiquer l’heure exacte de ses 4 côtés et ainsi « inculquer aux indigènes » un autre espace-temps : le temps de l’exploitation capitaliste qui compte les sous, le temps de plus en plus rapide qui vaut de l’argent, qui apporte le progrès, la modernité… aux indigènes aujourd’hui privatisés.
Aujourd’hui, 60 ans après l’indépendance, l’Horloge est toujours là et sur chacune des 4 faces, une heure différente : quelle heure, quel temps, celui de l’exploitation, de la domination, du temps qui passe, du chômage et de l’exclusion, de la pauvreté, de l’exclusion et démolition, des expropriations des populations, d’un urbanisme sauvage qui démantibule les espaces et les résistances, les solidarités et les métiers qui disparaissent à jamais, qui ont fait cette ville autour de la mer et la campagne, les marins et les agriculteurs, les pêcheurs et les paysans, ceux qui vivent de la mer et la terre, ceux qui nourrissaient la communauté villageoise et paysanne, et faisaient vivre Casa La Blanche.
Aujourd’hui Casa Moll mondialisée
Le port se transforme en Marina, la vieille gare en Gare avec toutes les franchises du monde pour boire, manger, s’habiller, consommer, même si les distributeurs à billets ne marchent pas, si le café hors prix est imbuvable, que le thé à la menthe n’existe pas dans ce commerce franchisé, ni un bout de pain quand on a faim. Il faut manger des marques américaines, françaises, espagnoles, italiennes… même si le porc se transforme en dinde pour se mettre au goût sur terre d’islam et surtout ne pas perdre de client-es, la bière, faut pas abuser en attendant la laïcité commerciale, l’eau claire et pure introuvable, sauf en bouteilles plastifiées au nom de méga trust qui a embouteillé et marchandisé notre eau commune… Et partout, du parking aux WC, des entrées aux sorties, des vigiles, la Sécurité privée et mondialisée, de celle qui traite et sous-traite la torture des Palestiniens dans les prisons israéliennes, à celles qui convoient les fonds des Banques, surveillent les Holdings, les Hôtels, les Administrations, les boutiques de Luxe, les supermarchés, les villas haut perchées sur la colline… qui paradent à côté des autres forces sécuritaires et militaires que nous payons, nous citoyens, pour nous matraquer, perquisitionner, surveiller, menacer, et interdire de dire stop, ça suffit…
Dans cette ville « moderne » démantibulée, quel espace public nous reste-il citoyen.nes ? Où nous rassembler, quel espace pour faire entendre nos voix, crier notre colère, unir nos forces, libérer nos révoltes à venir ?
La Résistance, notre révolte a-t-elle déjà été marchandisée, accaparée, dévoyée par la Société civile, Facebook et Réseaux sociaux qui ont largement informé, partagé, twitté leur colère contre le tabassage et la répression du mouvement dans différentes villes, mais n’a pu rassembler au-delà des 100 manifestants non virtuels qui ont bravé l’impressionnant déploiement répressif et crié leur révolte ? Sans compter certains qui paradent pour leur parti politique devant la télé pour donner bon crédit à la « démocratie marocaine ».
Sur la place Maréchal à Casablanca, la première ville industrielle, économique, ouvrière… ?
Avec qui, comment et où unir nos forces, répandre notre colère ? Étendre notre colère réelle, celle qui n’est pas virtuelle ?
Pourquoi et comment en somme-nous arrivés là ?
Qu’on se rappelle de mémoire vive le mars 1965 qui souleva la population !
Quand au lendemain de l’Indépendance fraîchement acquise, le gouvernement avait décidé de toucher à l’Enseignement public... le 23 mars 1965, une manifestation d’étudiants, partie de 13 lycées de Casablanca, contre les décisions prises par le Ministère de l’Éducation nationale d’instaurer la sélection au brevet et l’accès à l’enseignement secondaire faute de place dans les écoles.
Quand 3000 élèves, garçons et filles sont arrêtés, le lendemain, les parents, ouvriers, chômeurs, artisans, petits commerçants descendent dans la rue et affrontent une répression féroce : la police tire sur les manifestants : des centaines de morts, des arrestations en masse.
La fureur populaire éclate, par milliers les manifestants prennent la rue, attaquent la prison.
Le 26 mars, l’UMT déclenche la grève générale à Casablanca et de grandes manifestations s’étendent dans toutes les grandes villes et se poursuivent le 27 mars dans d’autres villes...
La violence de la répression aurait fait 2500 victimes et l’opposition demande la chute du gouvernement. Hassan 2, après avoir échoué à constituer un gouvernement d’ « union nationale » (UNFP et Parti d’Istiqlal), proclame l’état d’exception, suspend la Constitution et dissout le parlement. Un coup d’État du roi Hassan 2 qui déclara, sur l’unique chaîne de télévision nationale (et l’unique marque de télévision en noir &blanc) :
« Le pays, réclame un pouvoir fort, un pouvoir juste, un pouvoir stable ».
Ce que l’UNEM d’alors avait qualifié d’« un régime de coups d’État permanents » et qui continue en permanence depuis l’indépendance : le pouvoir absolu de Palais pour assurer la défense du capital : la propriété privée, aujourd’hui définitivement privatisée, mondialisée, financiarisée avec le règne de m6. Et le peuple endetté, affamé, sans travail…
Nouvelles générations, nouvelles luttes
Aujourd’hui, en 2016, dans les villes et les campagnes, la population qui subit de plein fouet les effets de la mondialisation, les conséquences des privatisations des secteurs sociaux de base, les démantèlements des faibles acquis, le chômage massif, la liquidation de l’enseignement public, des services de santé de base, des transports, logements, équipements, agriculture, pêche, tout sacrifié au nom d’une « modernisation » générale imposée par le capital mondialisé... avec, en prime, de nouvelles matraques et la haute technologie pour nous réprimer.
Politique qui n’a fait que plus de laissés pour compte, du chômage surtout parmi les jeunes générations, démolition d’écoles et lycées publics, l’expansion dans tout le pays des effets de la mondialisation : plus de pauvres, plus de malheurs pour rembourser les dettes dont nous ne sommes pas responsables.
Aujourd’hui, la lutte des enseignants stagiaires est un énorme défi pour réveiller les consciences hypnotisées par les chimères de modernisation qui s’achètent toutes à crédit et abandonnent nos équipements publics sociaux de base et nos biens communs aux mains des capitalistes prédateurs.
Aujourd’hui, la lutte des enseignants stagiaires est un énorme défi pour nous réveiller du nord au sud. Reprendre en main nos droits, tous nos droits : sociaux, économiques, politiques pour reconquérir notre souveraineté, notre indépendance.
La lutte se poursuit et la solidarité la plus large est urgente avec la lutte que poursuivent les enseignants stagiaires aujourd’hui.
Souad G.
18 janvier 2016
[1] http://attacmaroc.org/fr/2016/01/09/attac-cadtm-maroc-elargissons-la-solidarite-avec-la-lutte-des-enseignant-es-stagiaires-jusqua-la-victoire/
[5] En 1781, le roi Mohamed 3 autorise l’exportation du blé. Le port devient important centre de négoce de laine, blé et thé. Fin du 19e siècle, le trafic commercial prend une dimension internationale. Dès 1906, des travaux commencent pour transformer la bourgade enfermée dans ses murailles en port moderne.
[6] La tour de l’Horloge : construite en 1910, sur décision du général Dessigny : « un minaret laïque pour introduire l’heure et l’ordre coloniaux ». Abattue en 1940 pour élargir la voie, la tour a été reconstruite en 1992 à l’identique.
Architecte et photographe renommée, vit à Casablanca. Elle témoigne depuis plusieurs années des crises sociales du Maroc d’aujourd’hui : émigration clandestine, enfants des rues, situation des femmes, luttes ouvrières, etc.
Elle filme les luttes menées contre la concentration des richesses, les restructurations d’entreprises provoquées par le néo libéralisme, les choix du régime monarchique visant à soumettre la population aux exigences de la mondialisation financière. Elle est membre d’ATTAC-CADTM Maroc.
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