Le président chinois Xi Jinping est en tournée cette semaine (ndlr : article initialement publié le 25 juillet 2018) dans plusieurs pays africains. Il y est accueilli en sauveur par des Etats en quête d’argent facile. Mais le continent croule désormais sous les créances
Au Sénégal, Xi Jinping a été accueilli par une fanfare et une haie de supporters vêtus de t-shirts à son effigie. Au Rwanda, il a été salué par une foule agitant le drapeau chinois. En Afrique du Sud, il a eu droit à une salve de 21 coups de fusil devant le bâtiment abritant le gouvernement, à Pretoria. Le président chinois effectue cette semaine sa quatrième visite sur le continent africain et son premier voyage à l’étranger depuis sa réélection en mars.
Lors de sa halte au Sénégal, le président Macky Sall a loué « la relation spéciale » qui unit son pays à la Chine et salué la contribution de cette dernière « à la paix et à la stabilité du continent mais aussi au financement de nos budgets ». L’Empire du Milieu a investi 1,6 milliard de dollars dans ce pays d’Afrique de l’Ouest ces dernières années. Il a notamment financé la construction d’une autoroute reliant Dakar à Touba, ainsi qu’un parc industriel à proximité de la capitale.
Principal partenaire commercial de l’Afrique
Au Rwanda, Xi Jinping a signé 15 accords commerciaux, dont un prêt de 126 millions de dollars pour financer deux projets de route. En Afrique du Sud, où le président chinois participe en fin de semaine à la réunion annuelle des cinq pays du BRIC, il a promis d’investir 14,7 milliards de dollars et d’augmenter le volume des importations chinoises depuis ce pays.
Ce ne sont pas des promesses en l’air. La Chine est désormais le principal partenaire commercial de l’Afrique, devant les États-Unis. En 2017, ses échanges avec le continent ont atteint 170 milliards de dollars, en hausse de 14%. L’Empire du Milieu a aussi prêté 94 milliards de dollars à l’Afrique entre 2000 et 2015, selon la China Africa Research Initiative de l’Université Johns Hopkins.
Cela a servi à construire plus de 6200 kilomètres de voies de chemin de fer et 5000 kilomètres de routes. Cela a aussi financé quelques projets pharaoniques, à l’image de la ligne ferroviaire qui relie Addis Abeba à Djibouti, devisée à 4 milliards de dollars. Mais cela a surtout fait exploser la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
des bénéficiaires de ces crédits.
Le Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(FMI) juge que cinq Etats d’Afrique subsaharienne sont surendettés et que neuf autres pourraient bientôt les rejoindre. La dette du Kenya a récemment passé la barre des 5 trillions de shillings (49 milliards de francs) et 72% de cette somme est due à la Chine. Ce printemps, Moody’s a dégradé la note du Kenya.
La situation est critique aussi à Djibouti. Sa dette équivaut à 84% de son PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
et Pékin en détient 82%. La Zambie et le Congo-Brazzaville ont pour leur part contracté des emprunts opaques auprès d’entreprises chinoises dont le montant n’a pas été dévoilé.
Le risque est élevé pour ces pays. S’ils font défaut, les infrastructures bâties avec cet argent pourraient se retrouver en mains chinoises. En février, Djibouti a résilié le contrat d’exploitation détenu par l’opérateur de ports dubaïote DP World sur le terminal à conteneurs de Doraleh, au bord de la mer Rouge, pour le remettre à trois entreprises chinoises.
Les ressources naturelles comme garantie
Ce n’est pas tout. « Ces prêts sont souvent garantis au moyen de ressources naturelles », relève Yun Sun, une chercheuse auprès de la Brookings Institution. La dette de l’Angola envers la Chine atteint 25 milliards de dollars. Les ressources pétrolières du pays servent de caution. « Le premier prêt de ce genre a été fourni en 2004 par Exim Bank of China, indique l’experte. Cela a par la suite permis à Sinopec [un groupe chinois] de mettre la main sur plusieurs concessions pétrolières en Angola. »
En 2008, La Chine a concédé un prêt de 6 milliards de dollars à la République démocratique du Congo, obtenant en échange le droit d’exploiter plusieurs mines de cuivre et de cobalt. En Guinée, Pékin a fourni une ligne de crédit de 20 milliards de dollars au gouvernement, ce qui lui a permis d’obtenir des concessions d’aluminium. Problème : si le prix des matières premières servant de garantie baisse, le coût de la dette augmente. L’Angola en a fait les frais lorsque le prix du pétrole a plongé ces dernières années.
Outre l’accès à de précieux minerais, Pékin génère « des affaires pour ses entreprises et de l’emploi pour ses travailleurs » en concédant des prêts aux pays africains, estime Yun Sun. La majorité des projets d’infrastructures financés par ces crédits sont en effet confiés à des sociétés de construction chinoises. La Chine s’achète aussi la bienveillance du continent sur le plan politique. Ces dernières années, Pékin a obtenu que tous les Etats africains – à l’exception du Swaziland – rompent leurs relations diplomatiques avec Taïwan.
Source : Le Temps