9 avril 2021 par CADTM International
À l’occasion des réunions de printemps des institutions de Bretton Woods se déroulant du 5 au 11 avril 2021, Banque mondiale, FMI et G20 ont fait de nouvelles annonces pour tenter de répondre à la crise de la dette des pays du Sud, exacerbée par les conséquences économiques et sanitaires de la pandémie de covid-19. Loin de répondre aux attentes, ces mesures au rabais sont vouées à l’échec.
Les mesures ignorent la moitié des pays en suspension de paiement
102 pays (dont 5 à haut revenu) sont potentiellement concernés par les différentes mesures. 86 via les différentes assistances financières du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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[1], toujours sous formes de prêts et largement conditionnées à des politiques d’austérité [2] ; 29 pays via le fonds fiduciaire d’assistance aux catastrophes [3] (ARC – CCRT en anglais) et 73 pays via l’initiative de suspension du service de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
[4] (ISSD – DSSI en anglais) lancée par le G20
G20
Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions.
avec l’étroite collaboration du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, certains pays les cumulant en tout ou partie. Sans rentrer ici dans le détail de ces mesures, elles ignorent la moitié des 21 pays actuellement en suspension de paiement [5] parmi lesquels l’Argentine, le Liban, le Venezuela ou encore le Zimbabwe. Incohérences ?
L’absence d’annulation de la part du FMI et de la Banque mondiale renforce l’emprise des créanciers
Depuis le début de la pandémie, FMI et Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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n’ont cessé de faire des appels du pied aux créanciers bilatéraux et privés pour procéder à des annulations de dette. Détenant 46 % de la dette extérieur publique des 73 pays ISSD, aucune de ces deux institutions ne daignent pourtant en faire de même. En avril 2020, le FMI annonçait 251 millions $US « d’annulation » de ses créances
Créances
Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
à destination de 29 pays via le fonds fiduciaire ARC. Ce 5 avril, il était prolongé à hauteur de 238 millions $US [6]. En réalité, plusieurs pays du Nord ont alimenté ce fonds afin de rembourser au FMI le service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
en lieu et place des 29 pays désignés. Le FMI n’annule rien et les créanciers renforcent leur emprise. Quant à la Banque mondiale elle s’y refuse tout autant, soumise aux intérêts financiers en prétextant devoir protéger sa notation « triple A » alors même qu’elle dispose d’une garantie de 189 États membres, difficile de faire mieux. Hypocrisie ?
A peine 1 % de l’allocation de DTS ira aux pays à faible revenu, contre 31,5 % pour les pays à revenu intermédiaire. Les pays à haut revenu se taillent la part du lion (67,5 %)
Afin de résoudre les problèmes de balances de paiement et de baisse des réserves de change des pays du Sud, le FMI devrait allouer d’ici le mois de juin 650 milliards $US de droits de tirage spéciaux (DTS – SDR en anglais). Si les DTS ont le mérite de ne pas peser davantage sur le paiement de dette, la proposition ressemble à s’y méprendre à un coup d’épée dans l’eau. Avec une répartition des DTS déterminée selon des quotas détenus par les pays membres en fonction de leur poids économique au sein du FMI, à peine 1 % de cette allocation irait aux pays à faible revenu, contre 31,5 % pour les pays à revenu intermédiaire. Les pays à haut revenu se taillant la part du lion (67,5 %) [7]. On est dans tous les cas à mille lieux des quelques 3 000 milliards $US sous forme de DTS réclamés par nombre d’organisations travaillant sur la dette des pays en développement. Le CADTM reste quant à lui farouchement opposé à une allocation supplémentaire de DTS. Elle donne de la légitimité au FMI, renforce sa position de créancier, alors même que l’institution est à l’origine des problèmes structurels traversés par ces pays depuis les années 1980. Mépris ?
Faut-il rappeler que la mesure est une nouvelle fois conditionnée à la signature d’un accord avec le FMI ? Le jeu n’en vaut définitivement pas la chandelle
En avril 2020, le G20 lançait l’initiative ISSD à destination de 73 pays. Elle consistait à suspendre temporairement, pour la période de mai à décembre 2020, le paiement du service de la dette extérieure publique bilatérale. Comme nous l’avons déjà indiqué, il ne s’agissait pas d’une annulation mais d’un report de paiement. Selon cette proposition le paiement était reporté à 2022 puis, vu l’évolution de la pandémie et de la crise économique, le paiement a été reporté à 2024. La situation continuant à se dégrader la période de suspension temporaire fut prolongée une première fois jusqu’en juin 2021, puis jusque fin 2021. Les paiements devant être effectués en 2026.
Alors même que tout le monde – G20-BM-FMI compris – s’accorde à dire que l’ISSD est insuffisante et inadaptée, pourquoi persister dans cette direction ? Du côté des pays concernés, c’est un désaveu certain avec seulement 46 pays ayant introduit une demande d’ISSD. Faut-il rappeler que la mesure est une nouvelle fois conditionnée à la signature d’un accord avec le FMI ? Le jeu n’en vaut définitivement pas la chandelle.
Les acteurs privés continuent de rire au nez et à la barbe des IFI et des populations du Sud
Pendant ce temps les acteurs privés continuent de rire au nez et à la barbe des IFI et des populations du Sud. Déjà méprisant à leur égard au printemps dernier, les agences de notation Agences de notation Les agences de notation (Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch en tête) sont des agences privées qui évaluent la solvabilité et la crédibilité d’un émetteur d’obligations (État, entreprise). Jusqu’aux années 1970 elle étaient payées par les acheteurs potentiels d’obligations, depuis la libéralisation financière la situation s’est inversée : ce sont les émetteurs d’obligations qui rémunèrent les agences pour qu’elles les évaluent... Reconnaissons leur qualité de travail : c’est ainsi que Lehman Brothers se voyait attribuer la meilleure note juste avant de faire faillite. ont de nouveau brandi la menace d’une dégradation de la note souveraine des pays ayant recours à l’ISSD. Quant aux créanciers privés, principaux détenteurs de la dette extérieure publique des pays du Sud, ils continuent d’ignorer sans craintes les annulations de dettes censées être devenues contraignantes via l’illusoire application de la clause de comparabilité de traitement depuis la création du Common Debt Framework en novembre 2020.
Pour les pays du Sud, il est urgent de prendre acte et d’instaurer des mesures unilatérales d’autodéfense
Les institutions financières internationales restent déterminées à maintenir la corde autour du cou des populations des pays du Sud en ne procédant à aucune annulation. Pour les pays du Sud, il est urgent de prendre acte et d’instaurer des mesures unilatérales d’autodéfense. D’abord par la suspension du paiement de la dette en invoquant l’état de nécessité et le changement fondamental de circonstance, arguments juridiques fondés sur le droit international. Ensuite en procédant à un audit citoyen de la dette publique visant à répudier les dettes illégales, illégitimes, odieuses et insoutenables.
Le réseau CADTM international soutient toutes les initiatives des mouvements sociaux et de la société civile au Sud comme au Nord, d’annuler les dettes externes publiques et d’allouer ces sommes aux exigences de la santé publique en ces temps de Covid-19.
[2] https://www.oxfam.org/en/blogs/virus-austerity-covid-19-spending-accountability-and-recovery-measures-agreed-between-imf-and
[3] Ibid.
[5] Les pays en suspension de paiement : Argentine, Cambodge, Congo, Corée du Nord, Cuba, Érythrée, Gambie, Grenade, Irak, Liban, Mozambique, Sao Tomé et Principe, Soudan, Soudan du Sud, Suriname, Syrie, Venezuela, Yémen, Zambie, Zimbabwe.
[6] https://www.imf.org/fr/News/Articles/2020/03/27/pr20116-imf-enhances-debt-relief-trust-to-enable-support-for-eligible-lic-in-wake-of-covid-19
[7] Daniel Munevar, Chiara Mariotti, The 3 trillion dollar question : What difference will the IMF’s new SDRs allocation make to the world’s poorest ?, Eurodad, 7 avril 2021. Disponible à : https://www.eurodad.org/imf_s_new_sdrs_allocation
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