Conseil international du CADTM | Jour 2 | Tour du monde des situations politiques, sociales et économiques

21 octobre 2024 par CADTM International , Sushovan Dhar , Omar Aziki , Broulaye Bagayoko , Maxime Perriot , Veronica Carrillo Ortega


Veronica Carrillo Ortega, membre de l’Initiative pour la suspension du paiement de la dette au Mexique

Le mardi 8 octobre 2024 a marqué le deuxième jour du conseil international du réseau CADTM. Au programme : situation politique, économique, sociale, état des luttes en Afrique subsaharienne, dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, en Asie du Sud et en Amérique latine.



 Afrique subsaharienne : Mali, Niger, Burkina Faso, la nouvelle donne

L’aide au développement des pays du Nord comptabilise les « frais » d’accueil des migrantes la formation de la police des frontières, ou l’ouverture de centres de détention de migrantes

Broulaye Bagayoko, secrétaire permanent du CADTM Afrique, a analysé la recomposition politique de la région. Après trois coups d’État, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont quitté la CEDEAO pour former l’Alliance des États du Sahel (AES). L’analyse de ces changements fait débat au sein du CADTM Afrique.

Broulaye Bagayoko, CADTM Afrique

Broulaye Bagayoko a aussi montré toute l’influence que le Fonds monétaire international FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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a gagné dans la région depuis la crise du Covid-19 :

  Le FMI a conditionné un prêt à la Côte d’Ivoire à la suppression des subventions à l’électricité
  Il a mis la pression sur le gouvernement du Nigéria pour supprimer les subventions sur le carburant : cela a eu pour conséquences un mouvement social de grande ampleur.

Pour en savoir plus : Afrique : mobilisation sociale au Nigeria

Broulaye Bagayoko a également dénoncé les politiques inhumaines de l’Union européenne, qui ont abouti à l’ouverture d’un centre de détention au Niger. Il s’est insurgé contre la soi-disant aide au développement des pays du Nord, qui comptabilise les « frais » d’accueil des migrantes, la formation de la police des frontières, ou l’ouverture de centres de détention de migrantes.

Yvonne Ngogi, CADTM Afrique

Yvonne Ngogi a complété la présentation en soulignant la situation catastrophique en République démocratique du Congo et le mouvement social exceptionnel qui a explosé au Kenya.

Pour en savoir plus : Solidarité avec le peuple kényan !

Concernant les actions du CADTM Afrique en 2024, elles ont été nombreuses et de qualité. Quelques exemples :

  Le séminaire de renforcement des capacités des femmes à Yaoundé au Cameroun, qui a eu lieu du 12 au 16 février 2024.
  La participation au collectif africain pour la justice climatique avec l’animation de la thématique de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
climatique
  Le renforcement du pouvoir des communautés en matière de justice climatique dans plusieurs régions du Mali
  Deux rapports écrits sur la Banque africaine de développement
  La 4e édition de l’université d’été du CADTM Afrique à Abidjan (Côte d’Ivoire) en juillet 2024

Enfin, les principaux objectifs du CADTM ont été listés : entre autres, accroître la base militante, poursuivre le plaidoyer au sujet des financements de la Banque africaine de développement…

 Moyen-Orient et Afrique du Nord : toujours plus d’inégalités

Omar Aziki, ATTAC CADTM Maroc

Omar Aziki a présenté la situation politique, économique et sociale de la région MENA. Il a souligné les conséquences décuplées de la crise environnementale dans la région : une température qui augmente deux fois plus vite que la moyenne mondiale, des sècheresses et inondations à répétition, un phénomène de désertification très rapide… Il a déploré la multiplication des conflits armés et le colonialisme énergétique qui frappe la région.

Omar Aziki a rappelé les différentes interventions du Fonds monétaire international au Liban, et en Tunisie en 2022 – avec une exigence de privatisation des entreprises publiques et de réduction de la masse salariale dans le secteur public. L’Égypte, extrêmement endettée, a reçu un prêt de 5 milliards de dollars de la part du FMI en 2024, comme pour le Maroc un an avant.

Ces différents pays sont enfermés dans un modèle extractiviste exportateur. Ils exportent des ressources minières, agricoles, issues de la mer, qui représentent de faibles valeurs ajoutées et qui dépendent énormément des fluctuations du marché mondial.

La région MENA est la région la plus inégalitaire au monde. Elle compte de plus en plus de milliardaires alors que le chômage des jeunes et le travail informel sont énormes. Par conséquent, l’émigration est énorme. La politique migratoire meurtrière de l’Europe forteresse a provoqué la mort de nombreux ressortissantes de la région, notamment des Syriennes, des Irakiennes ou des Yéménites.

Omar Aziki a ensuite analysé les deux vagues révolutionnaires qui ont frappé la région MENA depuis 2010 :

  • Une première vague avec les printemps arabes en 2010
  • Une deuxième vague en 2019 en Algérie, au Soudan, en Irak, au Liban, ou encore au Maroc.

Les femmes et les jeunes ont joué un rôle majeur pendant ces mouvements révolutionnaires.

Plusieurs remparts se dressent cependant face à ces desseins révolutionnaires, tels que la faiblesse et la faillite des partis de gauche, le rôle démobilisateurs des ONG, l’impérialisme occidental, les institutions financières internationales ou les pétromonarchies du golfe.

ATTAC CADTM Maroc va continuer sa lutte pour promouvoir une rupture politique à l’intersection de la lutte contre le capitalisme, le patriarcat, l’impérialisme et le sionisme.

 Asie du Sud : mouvements révolutionnaires, autorité et austérité

Sushovan Dahr, do CADTM-Ásia Meridional

Sushovan Dhar a mis en évidence les inégalités criantes qui caractérisent l’Asie du Sud. En Inde, par exemple, 66 millions d’Indiennes représentent 1% de la richesse nationale alors que le nombre de milliardaires explose (ils sont 119 aujourd’hui). Il est également revenu sur le mouvement Reclaim the night après le viol et le meurtre d’une jeune femme médecin à Calcutta en août 2024. Il a rappelé le suprémacisme hindou qui frappe le sous-continent sous Modi, où les musulmanes sont considérées comme des citoyennes de seconde zone.

Pour en savoir plus : En Inde, le viol et le meurtre d’une médecin déclenchent des manifestations

Sushovan Dhar a ensuite souligné l’influence énorme du FMI dans la région, mise à part l’Inde. L’institution financière internationale a conclu 17 accords avec le Sri Lanka, 25 avec le Pakistan. Il a également prêté au Bangladesh en 2022 et 2023. À chaque accord, le FMI impose une baisse des dépenses publiques, l’arrêt des subventions aux produits de première nécessité, des privatisations… Ce fut le cas au Sri Lanka après le mouvement révolutionnaire du printemps-été 2022. Dans ce pays, un président de gauche, Anura Kumara Dissanayaka, a été élu en septembre 2024. Dès son arrivée au pouvoir, il a donné son accord pour poursuivre les accords signés avec le FMI. Au Sri Lanka, même la gauche radicale ne s’oppose pas, ou de manière extrêmement minoritaire, à l’accord signé avec les institutions de Bretton Woods.

Pour en savoir plus : Camarade président ? Changement et continuité au Sri Lanka

Le mouvement social étudiant au Bangladesh, qui a abouti à la fuite de la cheffe du gouvernement Sheikh Hasina, a également été au centre des discussions.

Pour en savoir plus : La victoire du mouvement de protestation au Bangladesh

Mohamed Yunus, connu comme le père du microcrédit et libéral convaincu, préside actuellement le gouvernement provisoire.

Ont également été abordés : la crise de la dette au Pakistan, la croissance du fondamentalisme religieux dans la région, la participation du CADTM International au forum social mondial de Katmandou au Népal, en février 2024, avec l’organisation de 7 ateliers et conférences.

 Amérique latine : Au Mexique et en Colombie, quelle gauche au pouvoir ?

Au Mexique, les femmes n’ont pas de titres de propriété de la terre. Or, les aides à la production ne sont versées qu’aux producteurs pouvant prouver qu’il est propriétaire de la terre

Veronica Carrillo Ortega, membre de l’Initiative pour la suspension du paiement de la dette au Mexique, a fait le point sur la situation en Amérique latine.

Elle a d’abord rappelé la victoire de Claudia Sheinbaum, première femme présidente du Mexique qui a commencé son mandat début octobre 2024. Elle est membre du parti Morena (Mouvement de régénération national), comme son prédécesseur Andrès Manuel Lopez Obrador.

Cette gauche-là ne mène pas une politique réellement radicale. Elle a augmenté certaines aides sociales mais ne mène pas de transformations en profondeur. Elle refuse par exemple d’appuyer la transition du modèle de production alimentaire pour revenir à des modes de production moins intensifs, sans intrants Intrants Éléments entrant dans la production d’un bien. En agriculture, les engrais, pesticides, herbicides sont des intrants destinés à améliorer la production. Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette, les meilleurs intrants sont réservés aux cultures d’exportation, au détriment des cultures vivrières essentielles pour les populations. chimiques, qui ne détruisent pas la santé des consommateurices et des producteurices. Au Mexique, 60% des coûts des petites producteurices agricoles vont directement dans la poche des multinationales productrices d’intrants, engrais chimiques, semences, etc.

Elle ne fait pas assez pour rompre les accords de libre-échange signés avec le Canada et les États-Unis, elle ne fait pas assez pour corriger les énormes inégalités, accentuées par l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. , et résorber le chômage des jeunes.

Veronica Carrillo Ortega explique que cette gauche n’est pas mise sous pression par les mouvements sociaux car ces derniers, par peur que la droite revienne au pouvoir, offre un soutien passif Passif Partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (capitaux propres apportés par les associés, provisions pour risques et charges, dettes). au gouvernement. Une situation similaire à celle qu’on observe au Brésil, avec Lula, qui mène des politiques d’austérité qui vont à l’encontre des besoins de la population.

Elle a également souligné la dépendance du Mexique à l’importation de maïs étasunien (alors que le Mexique était exportateur net dans les années 1970), et les sommes faramineuses d’argent public qui vont au remboursement de la dette publique. 17% du budget de l’État va au remboursement des intérêts de la dette publique. L’État mexicain dépense beaucoup plus pour rembourser la dette et payer les intérêts que pour l’ensemble des mesures sociales.

Veronica Carrillo Ortega a expliqué que les femmes jouent un rôle majeur dans l’agriculture mais qu’elles n’ont pas accès à la terre. Cette question est fondamentale car les aides à la production vont aux producteurs qui peuvent démontrer qu’ils ont des titres de propriété. Or, ce sont uniquement des hommes qui ont les titres de propriété.

Sur le terrain des luttes, l’Initiative pour la suspension de la dette au Mexique fait pression sur le gouvernement mexicain pour suspendre le paiement de la dette. En 1995, l’État a emprunté énormément pour sauver les banques. La somme empruntée a déjà été remboursée près de 4 fois, mais l’État continue de payer. Cette dette doit être répudiée. Le gouvernement reconnait cette dette comme odieuse mais continue malgré tout à la payer.

D’autres situations nationales ont été abordées :

  • L’Argentine de Javier Milei, qui détruit littéralement l’État. Les coupes budgétaires touchent tous les secteurs, particulièrement ceux de l’éducation. L’inflation a explosé depuis l’arrivée du libertarien au pouvoir.
  • La Colombie de gouvernement Petro, qui fait des déclarations radicales, mais qui privilégie des « solutions » qui sont parfaitement compatibles avec les mécanismes de marché, telles que les échanges « dette nature ».
Pour en savoir plus : Anguille au vert aux Galapagos
  • Porto Rico, État des États-Unis, qui va tenir ses élections en même temps que les États-Unis. Cependant, les citoyennes de Porto Rico sont des citoyennes de seconde zone puisqu’ils ne peuvent pas voter pour les élections présidentielles étasuniennes. Cet État enfermé dans des mécanismes coloniaux croule sous l’endettement. Sa population subit de nombreuses coupures d’électricité. Ces deux enjeux seront centraux dans les élections qui auront lieu en novembre.

En conclusion, nous vivons actuellement dans une partie de l’Amérique latine (Brésil, Chili, Mexique, Colombie, Honduras…) une deuxième vague de gouvernement progressiste bien moins radicale que la première, marquée par les gouvernements d’Hugo Chavez, d’Evo Morales ou de Rafael Correa entre 2000 et 2011.


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Omar Aziki

est membre du secrétariat national d’ATTAC CADTM Maroc et du secrétariat international partagé du CADTM.

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Broulaye Bagayoko

membre de la Coalition des Alternatives Africaines Dette et Développement (CAD-Mali) et Secrétaire Permanent du CADTM Afrique (Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes) Tél : 65 88 11 53/74 90 73 95 e-mail : secretariatcadtmafrique chez gmail.com

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Veronica Carrillo Ortega

Promotora Nacional por la Suspensión del Pago de la Deuda Pública (México)

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