16 avril 2020 par Eric Toussaint
Wikipedia - Niaid
La crise sanitaire est loin d’être résolue. Le système capitaliste et les politiques néolibérales ont joué un rôle fondamental à tous les stades. Il est utile de réaliser un premier bilan d’étape des derniers mois. Cette crise représente aussi l’occasion de prendre conscience de la nécessité de modifier radicalement la société dans son mode de vie, son mode de propriété, son mode de production et son rapport à la Nature. Seule l’auto-organisation et l’action populaire pourront permettre les changements nécessaires.
A l’origine de ce virus, une transformation effrénée des rapports entre l’espèce humaine et la Nature qui a renforcé à outrance l’exploitation de la Nature et l’exploitation des humains par la classe capitaliste
A l’origine de ce virus, une transformation effrénée des rapports entre l’espèce humaine et la Nature qui a renforcé à outrance l’exploitation de la Nature et l’exploitation des humains par la classe capitaliste. La crise sanitaire a un lien avec la crise écologique. La transmission du virus venant d’animaux sauvages vers l’espèce humaine est à remettre dans ce contexte. Les maladies provoquées au cours des 20 dernières années par plusieurs virus de ce type avaient déjà alerté de la gravité de la situation. Alors que des chercheurs du secteur public le leur demandaient, les gouvernements capitalistes ont refusé de réunir les moyens pour approfondir la recherche et de tenter de se doter d’un instrument efficace pour faire face à une nouvelle épidémie. Ils voulaient laisser à l’initiative privée le soin de trouver éventuellement des remèdes. Or l’industrie pharmaceutique est motivée par la recherche du profit et elle n’a pas été convaincue que ce serait rentable d’investir des dizaines ou des centaines de millions dans la recherche et la production d’un vaccin pour ce type de maladie. Le Big pharma, la grande industrie pharmaceutique, avait d’autres priorités.
Le virus s’est répandu d’un continent à l’autre suite à la circulation effrénée des personnes et des biens autour de la planète qui va de pair avec un développement totalement exagéré du transport aérien dans le cadre de la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
capitaliste. Les compagnies aériennes, jusqu’à la veille du confinement dans plusieurs pays et de la fermeture des frontières de beaucoup d’États, étaient lancées dans une concurrence exacerbée pour gagner des parts de marché et ouvrir de nouvelles routes.
On prend conscience que les systèmes de santé publique qui ont été mis à mal par 40 ans d’offensives néolibérales, ne sont pas à même de répondre comme il le faudrait à l’expansion du virus.
On prend conscience que si le virus peut s’attaquer à n’importe quel individu, l’appartenance de celui-ci aux classes populaires le rend beaucoup plus vulnérable que s’il appartient à la classe capitaliste. Les êtres humains sont affectés différemment selon leur appartenance à une classe sociale, selon leur sexe et orientation sexuelle, selon le pays de résidence, selon leur âge, selon leur caste (en Asie du Sud) et selon d’autres facteurs. Les différentes formes d’oppression et d’exploitation vont être exacerbées dans une série de cas.
Le 1 % le plus riche continue à tirer profit de la situation
La crise sanitaire aggrave d’une manière très importante et brutale la crise économique qui avait démarré bien avant https://www.cadtm.org/Non-le-coronavirus-n-est-pas-le-responsable-de-la-chute-des-cours-boursiers. La crise en cours est plus grave que toutes celles qui ont eu lieu au cours des 70 dernières années. Des centaines de millions de personnes perdent subitement leur gagne-pain et sont mis en chômage.
Malgré la chute des valeurs boursières et la mise à l’arrêt d’une grande partie de l’appareil de production au niveau international, le 1 % le plus riche continue à tirer profit de la situation https://www.cadtm.org/Pour-affronter-la-crise-capitaliste-multidimensionnelle-il-faut-exproprier-les
La crise économique internationale provoque une chute brutale des cours des matières premières ce qui affecte directement les pays qui sont restés dépendants de leur exportation pour se procurer des revenus nécessaires au financement/remboursement de leurs dettes. L’activité économique baisse brutalement et de manière très forte. Les pays du Sud sont victimes de la décision des grandes entreprises et des fonds d’investissement Fonds d’investissement Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise. du Nord de retirer leurs capitaux du pays pour les rapatrier vers leur maison-mère et les insérer dans un schéma d’optimisation fiscale.
En conséquence, une nouvelle crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
des pays du Sud global et en particulier des pays exportateurs de matières premières a commencé et les mouvements sociaux du Sud appellent à la suspension et à l’annulation des dettes publiques https://www.cadtm.org/Amerique-latine-et-Caraibe-Appel-des-peuples-indigenes-des-afro-descendants-et et https://www.cadtm.org/Annulation-de-la-dette-publique-des-pays-africains-pour-leur-permettre-de-faire
Jusqu’à preuve du contraire, les classes dominantes et les gouvernements des pays affectés par la chute du prix des matières premières souhaitent éviter la suspension du paiement de la dette publique. Ils sollicitent l’annulation de la dette mais ne procèdent pas à la suspension unilatérale du paiement alors que les circonstances dramatiques justifient parfaitement le non paiement de la dette afin de trouver des ressources immédiates pour faire face à la crise sanitaire et à la crise économique. Les annonces d’annulation de dette de la part du président français Emmanuel Macron https://www.cadtm.org/L-annulation-massive-de-la-dette-africaine-annoncee-par-E-Macron-accouche-d-une, du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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https://www.facebook.com/watch/?v=221597712506426, de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, du G7
G7
Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing.
, du G20
G20
Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions.
et du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
sont de vastes arnaques. Il n’y a jusqu’ici aucune authentique annulation de dette car les créanciers veulent maintenir dans un lien de subordination les gouvernements des pays débiteurs.
Les arguments ne manquent pas pour suspendre le paiement de la dette
De même au Nord, aucun gouvernement ne met en pratique à ce stade la suspension de paiement alors que c’est le moyen le plus rapide et efficace de dégager des ressources financières afin de faire face aux dépenses urgentes nécessaires au combat contre le coronavirus [1]. Les mobilisations populaires doivent les y forcer.
Les arguments ne manquent pas pour suspendre le paiement de la dette : https://www.cadtm.org/Pour-combattre-le-Covid-19-Pourquoi-et-comment-suspendre-immediatement-le
Les classes dominantes comptent bien utiliser une nouvelle fois la stratégie du choc
Les gouvernements, les banques centrales des grandes puissances, le FMI et la Banque mondiale ont lancé un plan massif de création de nouvelles dettes publiques afin de sauver le système qui est en train de chavirer. Sous prétexte de venir en aide à l’économie et à l’emploi, les banques centrales et les gouvernements apportent des quantités énormes de financements aux grandes entreprises privées (tous secteurs confondus : finance, industrie, commerce…) et à leurs grands actionnaires. Ces financements génèrent immédiatement de nouvelles dettes publiques https://www.cadtm.org/Nous-ne-paierons-plus-leurs-crises.
Les plans de sauvetage mis en place par les grandes banques centrales et les gouvernements canalisent vers les grandes banques privées les nouveaux moyens financiers créés. Or les grandes banques privées ne sont pas intéressées à utiliser massivement cette manne financière pour relancer l’activité économique ou pour combattre la crise sanitaire et écologique. En réalité, les plans de sauvetage servent dans l’immédiat à protéger les intérêts des grands actionnaires des grandes entreprises. Ils n’empêcheront pas certaines bulles spéculatives d’éclater (notamment dans le secteur des titres de dettes privées, en particulier celles des entreprises privées) et ils en créeront d’autres.
Les classes dominantes comptent bien sur l’énorme augmentation des dettes publiques pour imposer dès que possible une nouvelle offensive contre les droits des travailleur·ses, contre les biens communs, contre les services publics… Elles comptent bien utiliser une nouvelle fois la stratégie du choc.
Dès maintenant, de nombreux gouvernements se font donner les pleins pouvoirs sur des matières qui vont bien au-delà de la crise sanitaire et leurs chefs de la sécurité rêvent d’étendre dans le temps les mesures de contrôle social.
La fermeture des frontières est une aubaine pour les gouvernements qui ont constamment restreint l’accueil des migrant·es et des réfugié·es.
Les classes dominantes et leur gouvernement veulent donner l’impression que tout change afin que tout reste en place au niveau du système capitaliste et patriarcal
Voilà leur plan pour le retour à la normalité.
Les classes dominantes et leur gouvernement veulent donner l’impression que tout change afin que tout reste en place au niveau du système capitaliste et patriarcal.
Et du côté de la riposte populaire ?
Une grande partie de la population, qui exprimait déjà très clairement de la sympathie pour les luttes des personnels de santé avant l’épidémie du coronavirus, est maintenant tout à fait consciente de l’importance de l’action menée par tous les personnels de santé et savent qu’ils ne sont pas réellement écoutés par les gouvernants.
Maintenant, il sera extrêmement difficile à ces gouvernants de défendre l’idée qu’il ne faut pas investir massivement dans la santé publique. Les gens vont comprendre que leur survie est en jeu. Ils vont comprendre que, si on passe le cap de cette pandémie sans effets hyperdramatiques (ils sont déjà catastrophiques), il faut s’attendre à ce que ce type de maladie revienne.
Il faut donc un système de santé vraiment très solide. Au-delà, les gens peuvent constater les difficultés qu’implique certainement le confinement, cependant ils ne sont pas sourds : s’ils habitent à proximité de parcs, ils réentendent ce qu’ils n’entendaient pas depuis longtemps, à savoir des petits oiseaux qui chantent. Ils réentendent autour d’eux des bruits simples qu’on n’entendait plus, tellement ils étaient couverts par celui du fonctionnement irrationnel de notre système de consommation.
C’est maintenant qu’il faut agir. Il y a d’abord l’autodéfense par rapport au coronavirus. Bien sûr, il faut respecter des mesures de confinement vu qu’il n’y a pas de vaccin. Si on est travailleur/travailleuse dans des entreprises non essentielles, il faut en obtenir la fermeture et l’arrêt de l’activité. Parce qu’il n’est absolument pas normal que des patrons exigent des travailleurs de continuer à se rassembler sur un lieu de travail si leur activité n’est pas essentielle.
Pourquoi la Bourse doit-elle continuer de fonctionner ? Fermons la Bourse
Il faut obtenir la réquisition de structures qui permettent de fabriquer ce dont on a besoin : des respirateurs, du gel hydroalcoolique et des masques. Il faut réquisitionner des infrastructures privées, comme des hôtels, pour augmenter le nombre de lits disponibles, notamment pour toutes les personnes sans domicile fixe qu’il faut héberger dans de bonnes conditions et de toute urgence.
Et puis il faut se mobiliser pour dire : pourquoi la Bourse Bourse La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois). doit-elle continuer de fonctionner ? Fermons la Bourse. Ensuite, les banques, au lieu de les sauver une nouvelle fois comme elles ont été sauvées après 2008, il faut les socialiser. Les entreprises pharmaceutiques, le « Big Pharma », devraient être elles aussi socialisées. Les grandes entreprises comme Novartis, Sanofi, Roche, GlaxoSmithKline, Bayer et autres devraient être mises au service de l’intérêt général. On devrait donc réorganiser la recherche et les remèdes qu’elles produisent dans ces entreprises pharmaceutiques qui doivent devenir de propriété publique.
Socialiser les entreprises pharmaceutiques et relocaliser + recréer des circuits courts
Tout cela demande une bataille extrêmement forte pour des changements fondamentaux. C’est l’occasion de constater que, avec les mesures de confinement et de réduction de l’activité, il y a une baisse évidente de la pollution atmosphérique. Elle montre qu’il faut arrêter de fonctionner de manière frénétique comme on l’a fait jusqu’à présent, et que la question de la mobilité doit être totalement revue. Cela implique de devoir relocaliser et recréer des circuits courts. Certains le font déjà, des associations en font la promotion, mais il faut l’organiser à l’échelle de la société. Il faut réduire drastiquement les déplacements, ainsi que les distances entre producteurs et consommateurs.
Il ne faut pas oublier qu’il y a trois mois, l’urgence était climatique. C’est sorti complètement des esprits parce qu’il y a un matraquage total sur le coronavirus, et on ne parle pas des autres problèmes auxquels la planète est confrontée. Nous ne voulons pas revenir à la situation précédente, parce que c’est elle qui a produit les conditions de l’extension de la pandémie : les déplacements en avion complètement démentiels, qui font que, à partir d’un seul foyer dans une partie de la Chine, le coronavirus s’est répandu partout autour de la planète. Le tout à l’automobile produisant une raréfaction et une dégradation des transports publics. L’agrobusiness produisant de la mal bouffe en masse. Le sous-investissement dans la santé publique. Un changement fondamental s’impose.
Les nationalisations, telles que les rêvent certains membres du gouvernement et des patrons qui voient que leur entreprise va mal, consistent à racheter au prix fort leurs actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
. C’est-à-dire que l’État rachète aux grands actionnaires, peut-être même au-dessus de leur valeur actuelle, des actions qui se sont écrasées en Bourse. Et il met évidemment la facture de l’indemnisation des actionnaires à charge du Trésor public, donc sur le dos du peuple qui l’alimente par les impôts et les taxes.
Il n’est pas question pour nous d’indemniser les grandes entreprises appartenant à des grandes familles et à des grands fonds d’investissement privés, mais de les exproprier purement et simplement
De notre point de vue, nous voulons parler d’expropriation sans indemnisation des grands actionnaires, sans pour autant priver les petits actionnaires du remboursement de leurs actions. Ces petits actionnaires représentent un pourcentage très minoritaire des entreprises, parce qu’il n’y a pas de capitalisme populaire, ni en Europe, ni aux Amériques, ni en Asie ou en Afrique. L’écrasante majorité de la population ne possède pas d’actions. Les actions des grandes entreprises appartiennent à des grandes familles et à des grands fonds d’investissement privés. Ceux-là, il n’est pas question pour nous de les indemniser, mais de les exproprier purement et simplement.
Concernant le capitalisme populaire, il y a un mythe qui a été créé à ce sujet. En réalité, ce mythe a surtout été développé là où on a déjà privatisé une partie du système de retraites, comme c’est le cas aux États-Unis, aux Pays-Bas, au Chili… Aux États-Unis, une partie des travailleurs sont obligés de cotiser à un fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. privé qui investit leur épargne en Bourse. C’est ce qu’on appelle le Plan 401 (k) [2], qui a été créé sous Reagan. Ce système-là souffre énormément, puisque les Bourses se sont effondrées de 25 à 35 % tout autour de la planète.
L’urgence n’est pas de sauver les grands actionnaires des banques et des grandes entreprises privées : l’urgence est de répondre aux besoins de financement du secteur de la santé et aux besoins de protection de toute personne qui aujourd’hui ne dispose pas de logement, d’accès à l’eau, à l’électricité, à l’alimentation ou à des revenus permettant de se les procurer.
Pour répondre à ces besoins et libérer les fonds nécessaires, le CADTM exige un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
sur le paiement de la dette publique mais aussi un moratoire pour les dettes privées des couches populaires et la mise en place d’un impôt de crise sur les grandes entreprises et sur les 10 % des patrimoines les plus riches ainsi que sur les revenus du décile le plus riche.
La suspension immédiate du paiement des dettes publiques doit être combinée à un audit à participation citoyenne afin d’en identifier la partie illégitime et l’annuler.
Le moratoire sur les dettes privées des classes populaires concerne aussi bien au Sud la suspension des dettes liées au microcrédit ou à la consommation que d’autres dettes. Il en va de même au Nord où la suspension du paiement des dettes privées doit concerner toutes les formes de dettes : dettes hypothécaires, dettes étudiantes, dettes pour les soins de santé, dette de consommation, etc. Certaines de ces dettes devront être purement et simplement annulées et cela aux frais des prêteurs (principalement les banques) et pas aux dépens du trésor public.
Le CADTM se joint à tous celles et ceux qui exigent que les entreprises et/ou l’État prenne en charge les salaires des travailleur·ses en suspension d’activité, ainsi que ceux des personnes précaires, des intérimaires, des indépendants et des saisonniers, sans aucune récupération des heures chômées ni consommation des droits aux congés payés.
L’État doit assurer le versement des salaires en lieu et place des employeurs qui refuseraient de payer, et leur imposer des amendes en retour afin de récupérer les sommes dépensées.
Mise à l’arrêt complet de toutes les activités non essentielles
Un revenu décent doit également être versé aux chômeur·ses, aux stagiaires, aux étudiant·es jobistes et aux personnes sans droit aux allocations.
Dans l’urgence, ces mesures doivent être combinées à la mise à l’arrêt complet de toutes les activités non essentielles ; l’interdiction des licenciements et la réintégration des salarié·es licencié·es depuis le début de la crise ; la fourniture gratuite de moyens de protection à tous·tes les salarié·es encore en activité ; la garantie du droit de retrait en cas de non-respect des conditions de sécurité ; l’arrêt de toutes les expulsions de locataires ; la suspension des loyers, des crédits personnels, des factures d’eau et d’énergie pour tous ceux et celles qui ont subi une perte de revenus et dont le revenu est inférieur à un montant à déterminer ; la mise à disposition de logements corrects pour toutes les familles vivant dans des logements précaires ou sans abris ; la mise en place immédiate de mesures de protection pour les femmes victimes de violences conjugales, pour les enfants victimes de violence, impliquant des décisions rapides d’éloignement des conjoints violents ; l’arrêt des expulsions et la régularisation immédiate de tous·tes les sans-papiers et réfugié·es avec accès immédiat à tous les systèmes de protection sociale.
À plus long terme, d’autres mesures permettraient de répondre aux besoins de financement des États : le financement public par la banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. à taux zéro pour rompre avec le chantage des marchés ; la socialisation sous contrôle citoyen du secteur bancaire et des assurances https://www.cadtm.org/Comment-socialiser-le-secteur-bancaire ; une réforme radicale de la fiscalité sur les patrimoines et les revenus ; la répression et l’interdiction des réseaux d’évasion fiscale des grandes entreprises ; la taxation des transactions financières au-dessus d’un certain plafond ; l’annulation des dépenses militaires et la reconversion des travailleur·ses du secteur ; une taxe sur le kérosène et une limitation drastique des transports aériens ; la fermeture des centrales nucléaires ; l’expropriation et la mise sous contrôle citoyen des secteurs essentiels y compris celui de l’énergie.
Par ailleurs, cette crise a montré à quel point nos sociétés reposent sur le travail de soin aux autres, qui est, dans son écrasante majorité, exercé par des femmes. Il faut reconnaître cette réalité pourtant trop souvent ignorée et pousser pour qu’elle soit prise en charge par le secteur public (voir https://cadtm.org/Au-temps-du-coronavirus-pour-le-droit-a-des-services-d-education-de-sante-et-de).
La crise économique a précédé de près d’un an la crise sanitaire https://www.cadtm.org/Non-le-coronavirus-n-est-pas-le-responsable-de-la-chute-des-cours-boursiers mais celle-ci qui lui a donné une ampleur monumentale.
Cette crise représente l’occasion d’obtenir un vrai changement des règles du jeu pour modifier radicalement la société dans son mode de vie, son mode de propriété, son mode de production et son rapport à la Nature
La crise sanitaire a un lien avec la crise écologique (voir la première étape). La crise multidimensionnelle du système capitaliste est mise à profit par les gouvernements et les classes dominantes pour appliquer une stratégie du choc (augmentation radicale de la dette publique pour protéger les intérêts du système capitaliste et du 1 % le plus riche, augmentation du contrôle des populations, préparation de nouvelles attaques aux droits sociaux qui seront justifiées au nom du remboursement de la dette).
Cette crise représente aussi l’occasion d’obtenir un vrai changement des règles du jeu pour modifier radicalement la société dans son mode de vie, son mode de propriété, son mode de production et son rapport à la Nature, en donnant la priorité aux biens communs, à la souveraineté alimentaire et à la relocalisation de la production matérielle et des services, en adaptant une manière de travailler et de produire qui soit compatible avec la lutte contre la crise écologique.
Il nous faut planifier la décroissance tout en améliorant les conditions de vie, élargir la sphère des services publics, le contrôle citoyen et la démocratisation, pour rompre avec la société du 1 % des plus riches et réaliser une révolution écologiste, socialiste, autogestionnaire, féministe et antiraciste. Cette révolution aura lieu seulement si les victimes du système capitaliste et de la société patriarcale entrent en auto-activité et s’auto-organisent pour dégager le 1 % et son personnel politique des différents centres du pouvoir pour créer un véritable pouvoir démocratique.
Merci à Omar Aziki, Damien Millet, Brigitte Ponet et Claude Quémar pour leur relecture.
[1] D’autres mesures très faciles à prendre peuvent libérer des ressources financières : établir un impôt de crise sur les grosses fortunes et les très hauts revenus, prélever des amendes sur les entreprises responsables de la grande fraude fiscale, geler les dépenses militaires, mettre fin aux subsides aux banques et à des grandes entreprises…
[2] Aux États-Unis, des dizaines de millions de salariés dépendent pour leur retraite du plan 401K créé du temps de Ronald Reagan. Ils sont directement soumis aux aléas des cours boursiers. Dans le cas du scandale de la faillite d’Enron 2001, les dirigeants du fonds de pension avaient investi 62 % du capital en actions de l’entreprise. Le fonds a suivi dans sa chute le cours de l’action Enron. Voir Éric Toussaint, La Finance contre les Peuples, CADTM-Cetim-Syllepse, 2004, chapitre 5. À noter que les chutes des cours boursiers aux États-Unis en février-mars 2020 vont avoir un effet catastrophique sur les retraites qui dépendent de la capitalisation boursière (ce sera particulièrement grave dans les pays dont les gouvernements ont le plus attaqué les systèmes de retraite par répartition).
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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