Crise à la frontière entre la Grèce et la Turquie : en finir avec l’Europe forteresse

6 mars 2020 par CADTM


Communiqué du CADTM international



Une fois de plus, la politique européenne de frontières assassine. Cela fait quelques jours que les tensions montent dans les différents points frontaliers entre la Grèce et la Turquie. Les tentatives de la part des personnes migrantes d’entrer sur le territoire grec se sont soldées par de lourdes interventions (y compris avec l’usage d’armes à feu) de la part des forces de sécurité grecques. Depuis le lundi 2 mars nous déplorons au moins deux morts : un enfant de 4 ans s’est noyé près de l’île de Kos alors que les garde-côtes grecs essayaient de faire couler un bateau de migrant-e-s qui fuyaient la Turquie ; Muhammad al-Arab, 22 ans, a été abattu par un tir à la frontière terrestre entre la Turquie et la Grèce et il y a de fortes présomptions pour considérer que le tir est venu de l’armée grecque ou d’un groupe para militaire grec qui ont été encouragés par la politique des autorités grecques et turques [1]. Si comme l’affirme les porte-paroles de l’armée grecque il s’agit qu’une provocation de l’armée turque cela n’enlève rien à la gravité des faits. Ce sont les politiques du gouvernement grec, du gouvernement turc et des autorités européennes qui en sont la cause. L’extrême violence de la police et de l’armée ordonnée par le gouvernement grec, ainsi que la suspension du droit d’asile dans ce pays ont rencontré un soutien sans faille de la part de l’Union Européenne. Ursula Von der Leyen remerciait ainsi la Grèce d’être le « bouclier » de l’Europe dans ces « temps difficiles » [2].

Ces derniers jours, nous avons aussi été témoins de multiples agressions visant des personnes migrantes sur l’île de Lesbos où se trouvent les immenses camps de réfugié-e-s de Moria et Kara Tepe. Des militants d’extrême droite ont agressé physiquement et verbalement des personnes, des véhicules et des espaces de solidarité avec les migrant.e.s présents sur l’île, et ont entrepris des tentatives pour empêcher la venue de nouveaux bateaux de Turquie. Il faut souligner que cette stratégie de harcèlement s’apparente fortement aux actions des forces de sécurité grecques et des agents de Frontex, qui ont pour unique objectif d’empêcher que des personnes fuyant la guerre ou des conditions de misère arrivent sur le sol européen, quel que soit le prix.

Sur toile de fond de cette « crise migratoire » qui en vérité est en réalité une crise de l’accueil et du respect des droits humains se trouve l’accord UE-Turquie signé en 2016. Cet accord de la honte comprend le paiement de 6 milliards d’euros à la Turquie par l’UE afin qu’Ankara bloque l’arrivée de migrantes et migrants sur le sol européen. Nous parlons d’accord de la honte non seulement car il empêche l’effectivité du droit d’asile, mais aussi car il met un prix sur ce droit. Un prix que la Turquie fait valoir aujourd’hui pour mettre la pression sur l’UE d’une part, mais aussi d’autre part pour continuer à bénéficier d’une liberté et d’une impunité totales lors de ses attaques militaires dans le nord de la Syrie.

La rhétorique des différents représentants de l’UE correspond parfaitement à une approche de la politique européenne de gestion des frontières qui est consubstantielle à l’agenda politique néolibéral. D’un côté, elle promeut des politiques d’ajustement structurel dans les pays du Sud, ce qui augmente leur dépendance vis-à-vis des pays du Nord. De l’autre, elle responsabilise et pointe du doigt ces mêmes pays pour la gestion des différentes crises qu’ils traversent (économiques et sociales), mais aussi les personnes migrantes accusées de provoquer et d’exacerber les crises des pays européens. Il s’en suit la criminalisation des personnes migrantes et la militarisation des frontières. L’agence Frontex, responsable de coordonner la « protection » des frontières européennes, a vu son budget flamber de 6 à 330 millions d’euros entre 2005 et 2019. Cette impressionnante augmentation montre bien la place que les politiques de contrôle des personnes migrantes occupent dans l’UE actuelle. Ceci se traduit tout d’abord par le renforcement des frontières physiques, par le biais de murs et barrières sur au moins 990 km, et la dotation de moyens de surveillance de haute technologie. Il s’agit de frontières véritablement militarisées, qui cherchent à « protéger » le sol européen à l’image d’une cité assiégée par des « barbares ».

Pour couronner cette politique raciste, elle passe des accords en vertu desquels ces pays du Sud s’engagent à exercer la fonction d’agent de frontières pour l’UE. Car, n’oublions pas que l’accord entre l’UE et la Turquie n’est pas le seul moyen que l’UE trouve pour externaliser ses frontières. Pour faire en sorte que les pays non européens acceptent de mettre en œuvre une politique restrictive des migrations, l’Union et ses États membres monnaient leur soi-disant « aide publique au développement » (APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. ). En échange de mesures permettant de limiter les départs en amont et d’augmenter les expulsions de l’UE des personnes migrantes jugées « indésirables » vers les pays dits « d’origine » (accords de réadmission), l’UE et ses membres donnent ou refusent l’accès aux divers fonds de l’APD.

La persécution et la criminalisation des personnes migrantes n’élimineront pas l’immigration clandestine. Bien au contraire, ces approches conduisent à l’exacerbation de l’immigration clandestine et les décès catastrophiques qui l’accompagnent. Les jeunes d’Afrique, de Moyen Orient et d’Asie, fuyant la mort, la pauvreté et la misère, continueront de prendre le risque de quitter leurs pays.

Le CADTM pense que toute politique qui se veut progressiste dans le contexte actuel devra impérativement s’opposer aux politiques de l’Europe forteresse et désobéir afin de respecter les droits humains. Son action devra s’inspirer de la Déclaration Universelle des Droits Humains et de la Convention de Genève en ce qui concerne le droit d’asile. Au niveau plus immédiat, il faudra :

Il faut faciliter les cadres juridiques et administratifs nécessaires pour assurer la circulation des personnes dans des conditions sûres, afin que nous puissions faire de la migration un choix, pas une nécessité qui peut trop fréquemment conduire à la mort. Par ailleurs, en ce qui concerne les pays européens, ils devront dépasser le cadre exclusif et colonialiste actuel de l’Union européenne. Il faudra nécessairement une politique de réparation vis-à-vis du pillage et de l’exploitation de richesses auxquelles les classes dominantes et les grandes entreprises des pays européens se sont livrés pendant des siècles.


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