Une des conséquences, et non des moindres, de la crise économique qui balaye l’Europe depuis plusieurs années est la montée en puissance de sentiments et de partis xénophobes et/ou nationalistes situés toujours plus à droite de l’échiquier politique. De la France à la Hongrie, en passant par la Belgique, la Grèce ou la Scandinavie, la plupart des membres de l’Union européenne sont confrontés à une poussée plus ou moins forte de l’extrême droite. Cet état de fait regrettable n’est évidemment pas dû au hasard et puise pour l’essentiel ses sources dans les politiques économiques mises en place depuis trois décennies, accentuées suite à la crise de la dette européenne. Évidemment, le succès de la droite dure obéit à d’autres variables, tels que le charisme de ses leaders ou la présence ou non d’un fort sentiment national, mais il est impossible de comprendre ce phénomène sans prendre en compte la variable économique. Du point de vue historique comme géographique, cette situation n’est pas l’apanage de l’Europe, de nombreux exemples appuyant ce lien entre crise et rejet de l’autre.
Crise économique et violences de masse
Depuis quelques temps, de nombreux observateurs multiplient les références aux années trente pour expliquer les phénomènes de repli identitaire que connaît la société européenne. Bien que le monde actuel soit nettement différent de celui de l’entre-deux-guerres, la façon dont se sont déroulés certains évènements mérite que l’on s’y attarde afin d’apprendre de certaines erreurs. Comme aujourd’hui, cette décennie fut caractérisée par une crise économique mondiale majeure et l’on peut affirmer sans risque de se tromper que l’explosion du chômage en Allemagne fut sans doute le facteur le plus favorable au succès d’Hitler à partir de 1933. À cette époque, ce ne sont pas moins de 44% des travailleurs allemands qui sont sans emploi [1]. Cette manne de désespoir social constituera un des terreaux les plus fertiles aux thèses racistes et antisémites du mouvement national socialiste. C’est d’autant plus vrai que les politiques mises en œuvre par le parti nazi vont faire diminuer drastiquement les taux de chômage, bien évidemment au prix d’un effort de guerre qui se révélera désastreux dans les années suivantes. Bien sûr, d’autres facteurs encouragèrent l’ascension d’Hitler au pouvoir, notamment l’humiliation politique de l’Allemagne par le traité de Versailles [2] mais ce qui est fondamental ici, c’est le désespoir social dans lequel se trouvait une majorité de la population, lequel la rendra plus réceptive aux thèses nazies, avec les funestes conséquences que l’on connaît.
Autre lieu, autre époque : le Rwanda à la fin des années quatre-vingt. Comme l’Allemagne cinquante ans plus tôt, le pays se trouve dans une véritable débâcle économique, notamment en raison de l’effondrement des prix du café, produit cultivé par de nombreuses familles rwandaises depuis la colonisation. Les conséquences vont également être terribles. La plus grave étant de faciliter l’instrumentalisation d’une population appauvrie par les extrémistes hutus, ouvrant la porte au génocide de 1994. Comme dans tous les pays où il intervient, le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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va envenimer la situation en instaurant un plan d’ajustement structurel
Plan d'ajustement structurel
En réaction à la crise de la dette, les pays riches ont confié au FMI et à la Banque mondiale la mission d’imposer une discipline financière stricte aux pays surendettés. Les programmes d’ajustement structurel ont pour but premier, selon le discours officiel, de rétablir les équilibres financiers. Pour y parvenir, le FMI et la Banque mondiale imposent l’ouverture de l’économie afin d’y attirer les capitaux. Le but pour les États du Sud qui appliquent les PAS est d’exporter plus et de dépenser moins, via deux séries de mesures. Les mesures de choc sont des mesures à effet immédiat : suppression des subventions aux biens et services de première nécessité, réduction des budgets sociaux et de la masse salariale de la fonction publique, dévaluation de la monnaie, taux d’intérêt élevés. Les mesures structurelles sont des réformes à plus long terme de l’économie : spécialisation dans quelques produits d’exportation (au détriment des cultures vivrières), libéralisation de l’économie via l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux et la suppression du contrôle des changes, ouverture des marchés par la suppression des barrières douanières, privatisation des entreprises publiques, TVA généralisée et fiscalité préservant les revenus du capital. Les conséquences sont dramatiques pour les populations et les pays ayant appliqué ces programmes à la lettre connaissent à la fois des résultats économiques décevants et une misère galopante.
qui va mettre à terre une population précarisée. Gel des salaires, licenciements dans la fonction publique, dévaluation
Dévaluation
Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres.
de la monnaie nationale ou encore augmentation des impôts : autant de mesures qui vont faciliter l’embrigadement par les miliciens extrémistes de dizaines de milliers de personnes désemparées. Inutile de rappeler que nombre de ces personnes assassineront leurs voisins dès que l’ordre leur sera donné quatre ans plus tard [3]. Dans son volumineux rapport sur le génocide, l’Organisation de l’Unité Africaine déclarait que « la pauvreté accroissant les tensions sociales, les crises économiques augmentant l’instabilité, ces conditions rendent les peuples plus réceptifs aux messages démagogiques des semeurs de haine » [4]. On ne pourrait être plus clair. Bien entendu, loin de nous l’idée d’affirmer que toute crise économique débouche sur des crimes de masse. La plupart des crises qu’a connu le monde depuis les années quatre-vingt n’ont heureusement pas débouché sur des massacres de grande ampleur. Néanmoins, l’explosion du tissu social et la montée du chômage s’accompagnent souvent d’une poussée de violences vis-à-vis de populations minoritaires. La raison principale était probablement la disparition d’une certaine culture ouvrière, laissant la porte ouverte à des revendications plus confessionnelles, nationalistes, voire ethniques. Dans ce cas, le programme politique et économique importe moins que le sentiment d’appartenance, voire d’homogénéisation, plus rassurant pour des populations en manque de perspectives.
Extrême droite et repli identitaire : les enfants de la crise actuelle
Ici comme ailleurs, l’actualité nous le prouve hélas chaque jour. Le cas le plus emblématique à cet égard est la Grèce, laquelle a vu aux dernières élections un parti néo-nazi rafler plus de 12% des votes. Cela dans une ambiance toujours plus nauséabonde, dans laquelle de plus en plus de travailleurs immigrés sont victimes de violences physiques ou verbales de la part de Grecs. Ce n’est évidemment pas un hasard si c’est dans le pays le plus frappé par la crise qu’a émergé ce type de parti. La France est également révélatrice de cette tendance avec la montée du Front National, en particulier dans les régions les plus touchées par le chômage. De plus en plus de déclarations de Marine Le Pen, plus prudente que son père, pointent d’ailleurs en premier lieu la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
, le capitalisme ou encore le pouvoir des élites comme les maux qui rongent la société française [5]. On voit ici comment la crise économique peut discréditer des idées d’ouverture et au contraire pousser le commun des mortels dans un repli sur soi communautariste anachronique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Front National s’est inscrit comme le fer de lance dans la lutte contre les délocalisations. Ces dernières symbolisent en effet la mainmise du capital étranger sur les travailleurs autochtones et permettent de ce fait d’associer lutte ouvrière et repli national. Malheureusement, la détresse combinée à l’absence de conscience de classe pousse de nombreux travailleurs à embrasser ces thèses patriotiques.
Mais l’extrême droite ne s’accompagne pas toujours de revendications « socialistes ». Au contraire, ces dernières années ont vu apparaître des partis radicaux, très à droite du point de vue économique et dont le discours est essentiellement basé sur une dénonciation de la solidarité financière vis-à-vis de régions économiquement désemparées. La NVA en Flandre, la Ligue du Nord en Italie ou encore le parti des Vrais Finlandais en sont de bons exemples. Les succès électoraux de ces partis se basent uniquement sur la peur d’une dégradation du niveau de vie, ainsi que d’un sentiment de chacun pour soi rendu propice par la crise économique. Il est d’ailleurs navrant qu’en cas d’application des programmes de ces partis, c’est une bonne partie de leur électorat qui en pâtirait.
La question de l’islamisme à la lumière de la crise
Toute proportion gardée, cette explication est également valable, à certains égards, pour comprendre la montée en puissance d’un extrémisme islamique, aussi bien dans les sociétés occidentales que dans des pays musulmans. Dans les premières, le repli religieux se fait souvent dans les quartiers les plus défavorisés, au sein desquels le manque d’emplois et de perspectives économiques conduit de nombreux jeunes, souvent d’origine étrangères mais nés en Occident, à embrasser des idéologies religieuses sectaires [6]. Les groupuscules extrémistes, tels que Sharia4Belgium [7], prolifèrent sur un terrain composé de misère sociale, de taux de chômage dramatique et de ghettoïsation urbaine dans lequel l’appartenance religieuse est pour de nombreux jeunes l’unique facteur d’espoir [8].
Dans les pays à majorité musulmane, on constate depuis plusieurs années une recrudescence de mouvements sectaires prônant une vision très rigoriste de la religion. De nouveau, ces mouvements doivent une bonne partie de leur succès aux difficultés économiques que connaissent des millions de personnes. Dans son célèbre livre « Les identités meurtrières », Amin Maalouf pointe « l’incapacité à résoudre les problèmes liés au sous-développement » comme une des raisons qui ont conduit une partie significative de la population à prêter oreille aux discours du radicalisme religieux [9]. Si cette explication n’est pas la seule (les agressions impérialistes nourrissent également l’extrémisme le plus obscur, décrédibilisant les idées de démocratie et de droits humains au nom desquelles les guerres sont menées), elle est tout de même fondamentale. Et la capacité des forces réactionnaires à canaliser les mécontentements, notamment en mettant en œuvre des politiques sociales alternatives [10], explique pour beaucoup la montée en puissance de cette extrême droite religieuse. Le plus regrettable est que ces extrémistes nourrissent une méfiance grandissante chez de nombreux occidentaux [11], alimentant des positions politiques de rejet. L’islamophobie rampante aux quatre coins de l’Europe le confirme [12] et encourage à son tour une radicalisation de nombreux Musulmans. On le voit, les extrémismes (politiques ou religieux) se renforcent l’un l’autre à coup de déclarations provocatrices et d’amalgames à tout va, le tout dans un contexte de frustrations et de désespoir social toujours plus réel. Nous sommes ainsi face à ce qu’André Réa appelle une « culturisation des problèmes sociaux », c’est-à-dire une situation dans laquelle les différences culturelles prennent une importance disproportionnée par rapport aux différences d’ordre économique, pourtant plus fondamentales.
Un altermondialisme réactionnaire ?
Un autre facteur qui explique ces phénomènes inquiétants est la priorité accordée au libre-échange et à la mise en concurrence des différents pays. Cela décrédibilise complètement l’idée même de mondialisation ainsi que les valeurs que cette dernière devrait véhiculer, tels que l’universalisme ou le mélange des cultures. En effet, pour des millions de gens, la seule expression visible au quotidien de la globalisation
Globalisation
(voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)
Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
est l’exploitation économique et son corolaire qu’est la misère sociale. De ce fait, il n’est guère surprenant de voir un rejet de plus en plus préoccupant de ces valeurs de tolérance universelle. Cela fait apparaître ce qu’on pourrait appeler un altermondialisme réactionnaire, qui pourrait inclure la plupart des mouvances extrémistes mentionnées dans ce texte. Georges Corm va dans ce sens quand il écrit que « le retour à des identités primaires que les grandes vagues successives de modernisation avaient fait reculer, reviennent en grâce avec la mondialisation, l’homogénéisation des modes de vie et de consommation, ou encore les bouleversements sociaux provoqués par le néolibéralisme, dont sont victimes de larges couches de population dans le monde » [13].
La situation européenne, où la poussée réactionnaire semble la plus forte, obéit à la même logique. Pour le commun des Grecs, des Hongrois ou des Espagnols, les seuls effets tangibles du pouvoir européen sont malheureusement les plans d’austérité drastique. Ceci explique l’explosion des sentiments anti-européens. La situation atteint un tel paradoxe que dans les années à venir, il ne serait guère surprenant qu’une majorité du parlement européen soit composé de formations eurosceptiques. Les contradictions de la construction européenne et la propagande officielle et médiatique conduisent à une situation où d’un côté, les populations de la périphérie européenne dénoncent, à juste titre, la politique d’appauvrissement massif organisée par la Troïka et de l’autre, les pays du Centre s’insurgent contre les transferts financiers à destination des pays en difficultés. Outre le côté inexact de cet argument (l’ensemble des plans d’aides à destination de ces pays ne sert en réalité qu’à rembourser ses dettes auprès des grands créanciers), il détourne les préoccupations de tout un chacun des vrais responsables de la crise et favorise l’adoption de mesures d’exception, au nom de la souveraineté nationale (l’exemple de la Hongrie en est une parfaite illustration).
Pour cette raison, l’idée même d’Europe est dans une situation plus qu’ambigüe. D’un côté, les politiques économiques européennes doivent à tout prix être combattues mais de l’autre, la construction d’un projet commun, loin des frontières, doit être approfondie de façon à gommer autant que se peut la montée des nationalismes /régionalismes toujours plus virulents. Pour ce faire, il est indispensable de mettre en œuvre de véritables politiques de sortie de crise à l’échelle européenne : harmonisation fiscale et salariale (vers le haut, cela va de soi), taxe sur les transactions financières, fin de l’indépendance de la banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
, instauration d’un impôt sur la fortune, remise en causes des traités européens, augmentation de l’usage du référendum… En d’autres termes, atteindre une Europe démocratique et sociale non plus basée sur la concurrence mais sur la solidarité.
Sans quoi c’est le projet européen dans son ensemble qui va s’effriter [14] .
Où est passée la Gauche ?
Parlant des années trente, Eric Hobsbawn résume parfaitement la situation : « le renforcement de l’extrême droite profita, tout au moins dans les pires années du marasme, des revers spectaculaires de la Gauche révolutionnaire », en particulier son attitude suicidaire, sous estimant le danger du national socialisme et se focalisant sur sa lutte contre les sociaux-démocrates [15]. Aujourd’hui encore, la Gauche a une responsabilité importante dans la détérioration de la situation. Si les exemples passés en revue ci-avant démontrent une chose, c’est bien qu’il ne faut pas sous-estimer les conséquences négatives du désespoir populaire et sa tentation à désigner des boucs émissaires. Sur cette base, ils nous mettent également en garde contre l’incapacité des forces politiques de gauche à prendre en charge cette masse de désespérés. Plutôt que d’orienter son combat contre les classes exploiteuses et la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
illégitime, elle perd trop souvent son temps, son énergie et surtout sa crédibilité dans des luttes intestines et sectaires. Au contraire, la priorité doit être d’informer les victimes de la crise sur les véritables causes de cette dernière, sur les mécanismes de l’endettement, du capitalisme, et surtout sur la pertinence de l’analyse sous l’angle des classes sociales plutôt que sur les différences religieuses, nationales ou « raciales ». Si les syndicats et (certains) partis ont un rôle à jouer, il est primordial que tout un chacun (des mouvements sociaux aux indignés en passant par les individus) continue dans cette tâche, de façon à donner lieu à des mobilisations importantes surpassant les clivages identitaires et dont le seul but sera de construire une autre société. N’oublions pas que les oligarques au pouvoir n’ont pour la plupart que faire des différences culturelles et nationales. Ils sont cependant bien conscients du fait que les divisions entre les peuples ont l’avantage de détourner ces derniers des bonnes questions.
[1] HOBSWAWN, Eric, L’âge des extrêmes, Éditions Complexe, Paris, 2003, p132.
[2] Le parallèle peut évidemment être fait ici avec la Grèce, « sacrifiée » sur l’autel des créanciers européens.
[3] Pour plus d’infos sur les liens entre le génocide et la crise économique, voir DUTERME, Renaud, Rwanda : une Histoire volée, Tribord/CADTM, Mons, à paraître en août 2013, http://livre.fnac.com/a6103644/Renaud-Duterme-Rwanda-une-histoire-volee.
[4] OUA (Organisation de l’Unité Africaine), Rapport sur le génocide au Rwanda, mai 200, p45.
[5] Bien que derrière cette rhétorique critique, apparaît rapidement des positions plus que douteuses sur l’immigration, l’islam ou la nation française.
[6] On constate également dans plusieurs pays occidentaux une recrudescence de mouvements chrétiens évangéliques. De nouveau, ces idées trouvent un écho le plus souvent auprès d’un public fragilisé.
[7] Antenne belge d’une organisation salafiste radicale dont l’objectif avoué est d’imposer la loi islamique comme fondement de l’État.
[8] Ces facteurs expliquent également les émeutes urbaines ponctuelles. Les dernières en date, à Stockholm, le démontrent. Malheureusement, le plus souvent, ces violences spontanées restent « récréatives » et ne débouchent pas sur une prise de conscience politique.
[9] MAALOUF, Amin, Les Identités meurtrières, Éditions Grasset, Paris, 1998, p96.
[10] VANDERMOTTEN, Christian, Territorialités et politique, Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, 2005, p342.
[11] Il faut également souligner les responsabilités de nombreux médias dans l’intégration de cette méfiance, en atteste l’obsession de nombreux journalistes sur les questions liées à l’islam.
[12] Dernier exemple en date : suite au meurtre barbare d’un militaire britannique par un fanatique islamiste, les actes de violences envers la communauté musulmane (incendies de mosquées, violences physiques, arrachage de voile, insultes…) se sont multipliés dans tout le Royaume-Uni.
[13] CORM Georges, Pour une analyse profane des conflits, Le Monde Diplomatique, février 2013.
[14] Pour celles et ceux qui en doutent, il suffit de voir la méfiance réciproque entre les peuples du Sud et l’Allemagne. Il ne serait guère surprenant qu’en cas de poursuite des politiques d’austérité, cela se traduise par des violences populaires.
[15] HOBSBAWN Eric, op. cit., p147.
est enseignant, actif au sein du CADTM Belgique, il est l’auteur de Rwanda, une histoire volée , éditions Tribord, 2013, co-auteur avec Éric De Ruest de La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, 2014, auteur de De quoi l’effondrement est-il le nom ?, éditions Utopia, 2016 et auteur de Petit manuel pour une géographie de combat, éditions La Découverte, 2020.
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