DSRP II au Togo : Un rêve de croissance accélérée et inclusive

20 septembre 2012 par Samir Abi




Dans le dernier fleuron des hôtels togolais se terminait hier l’atelier de validation du deuxième document stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP Document de stratégie de réduction de la pauvreté
DSRP
(En anglais, Poverty Reduction Strategy Paper - PRSP)
Mis en œuvre par la Banque mondiale et le FMI à partir de 1999, le DSRP, officiellement destiné à combattre la pauvreté, est en fait la poursuite et l’approfondissement de la politique d’ajustement structurel en cherchant à obtenir une légitimation de celle-ci par l’assentiment des gouvernements et des acteurs sociaux. Parfois appelés Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP).
À destination des pays retenus dans l’initiative PPTE, les DSRP poursuivent sous un autre nom l’application des Plans d’ajustement structurel.
II) du gouvernement togolais. Tout le gratin des autorités publiques et administratives avait été réuni pour l’occasion, et pour cause, ce document déterminera l’avenir de tout le pays pour la période 2013-2017. Exigence des bailleurs de fonds, notamment de la Banque Mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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, le DSRP est un des avatars prônés par les institutions financières internationales ces dernières années afin de revaloriser leur image ternie par les plans d’ajustement structurel. En effet, au début des années 2000, la Banque mondiale et le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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se rendent comptent que la priorité devait être la lutte contre la pauvreté en phase avec le Millenium Challenge pour l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Les institutions lancent alors la grande messe des Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté dans le cadre de l’initiative Pays Pauvre Très Endetté (PPTE PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
). Inutile de rappeler que cette initiative fera l’affaire de nombreux consultants souvent anciens fonctionnaires des institutions financières régionales ou internationales (IFI), reconvertis dans le « DSRP Business ». Au bout du compte et des années plus tard, le bilan reste le même : encore plus de libéralisme et point de réduction de la pauvreté.

Souscrivant à la demande des IFI dans le cadre de l’initiative PPTE, le gouvernement togolais lance la rédaction d’un premier Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté en février 2001. La situation socio-politique au Togo va freiner l’élaboration de ce premier document qui ne voit le jour qu’en avril 2009. La mise en œuvre des mesures contenues dans le document telles la libéralisation économique, les réformes fiscales, judiciaires, foncières, les privatisations des industries publiques, en somme « l’amélioration » du climat des affaires voulue par les IFI, va permettre au Togo, en décembre 2010, d’atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE, obtenant ainsi quelques effacements de sa dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
extérieure. À la fin de ce premier cycle, fin 2011, le processus de rédaction d’un second DSRP est entamé afin de donner un cadre de référence pour la politique gouvernementale togolaise de 2013 à 2017. L’ensemble des techniciens des ministères seront rassemblés autour de consultants étrangers pour ce travail. Pour se donner bonne conscience, une certaine société civile sera également conviée dans le processus et malgré cette précaution ce document reste toujours confiné dans les milieux élitistes de l’administration, loin de 99% des Togolais. Après quelques mois de travail, le document change de nom à la demande du gouvernement et devient la « Stratégie de Croissance Accélérée et de Promotion de l’Emploi (SCAPE) ». Le choix même de ce titre est révélateur, le voile est levé. La priorité majeure des prochaines politiques togolaises est la croissance. Et mieux encore, c’est le rêve d’une croissance à deux chiffres à la chinoise. Sous la pression des institutions financières et des autres bailleurs, le secteur privé sera consacré, dans le document, comme moteur de la croissance. On comprendra alors facilement les mesures qui seront prises afin de faciliter une plus grande libéralisation de l’économie pour assurer le bien-être du privé.

Mais alors, qu’en est- il de la pauvreté ?

Le débat naîtra au cours de l’atelier de validation, qui s’est terminé hier, grâce à différents acteurs de la société civile togolaise et du monde universitaire n’ayant pas pris part à l’élaboration du DSRP mais qui se sont présentés à cette ultime activité pour exprimer leurs points de vue. Les commissions puis la plénière finale verront surgir le débat de fond sur la croissance. Au regard des expériences dans de nombreux pays, les acteurs de la société civile vont interpeller les représentants du gouvernement togolais sur le fait que la croissance et la création d’emploi ne sont pas synonymes de lutte contre la pauvreté tant qu’on ne questionne pas la répartition de la richesse au niveau national. Pour évacuer les critiques, les consultants parleront alors d’une croissance inclusive prenant en compte l’augmentation, à la fois, des richesses économiques et des structures sociales.

À cela, les universitaires présents rappelleront que la question de la répartition des richesses est étroitement liée à la question de la rémunération des facteurs de production selon que l’on met plus l’accent sur le capital ou sur le travail. Pour preuve, ces dernières années, l’état togolais a eu recours à de nombreux investisseurs privés étrangers, libéralisant l’économie à tout vent, sur les conseils du FMI, afin de valoriser la croissance sans que cela n’influe sur la réduction de la pauvreté. 68% de la population togolaise vit toujours dans l’extrême pauvreté.

Le débat se poursuivra sur les contradictions relevées dans les politiques des organisations onusiennes. D’un côté, les Nations Unies font la promotion des OMD alors que de l’autre, les institutions de Bretton Woods imposent des politiques qui restreignent les marges de manœuvre de l’Etat et empêchent l’atteinte des OMD. Il est apparu au cours des débats que la question du financement de la croissance, et particulièrement le volet de l’endettement, ont été passés à la trappe du document de stratégie. Toujours dans la suite des débats, le rôle de la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. dans les états de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a également été montré du doigt. Lié à la France par des accords monétaires, le Togo, tout comme les autres pays de la zone de l’UEMOA, n’a guère de marge de manœuvre sur sa politique monétaire. Les contraintes liées à la politique de convergence commune au sein de l’Union et à la règle stricte concernant la limite d’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. imposée par la Banque de France empêchent de lancer de vraies politiques de financement public de l’économie. Cela n’est pas sans rappeler le débat actuel au sein de l’Union européenne face à la crise de la dette. Des voix se sont élevées lors des travaux en commissions pour rappeler les 8000 milliards de Francs CFA des états de l’UEMOA qui dorment à la Banque de France, alors que ces pays sont obligés, pour leurs investissements, d’avoir recours aux marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
contractant ainsi des prêts à des taux fluctuant fortement à la hausse. La passion et le déferlement des arguments lors du débat à la plénière finale n’ont malheureusement guère eu d’incidence sur le contenu du document final. Les seuls éléments nouveaux qui seront introduits grâce à l’interpellation de la société civile sont la prise en compte des transferts de fonds de la diaspora comme financement innovant pour la croissance et de la demande d’une meilleure protection des Togolais œuvrant dans le secteur informel.

Le SCAPE/ DSRP II du Togo a vu le jour.


Samir Abi

ATTAC-CADTM Togo

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