De Sarkozy à Hollande, les indulgences françaises avec le paradis fiscal panaméen

5 septembre 2016 par Jérôme Duval


photo cc F. Ermert

En matière de délinquance financière et d’hypocrisie fiscale, les rapports des dirigeants français – présidents en tête – avec le petit État d’Amérique centrale sont jalonnés d’indulgences coupables.



Puisque le Panama revient sur le devant de l’actualité avec le scandale des « Panama Papers », rappelons que les politiciens et grandes instances internationales nous mentent régulièrement lorsqu’ils mettent en avant le combat contre ce fléau. En France par exemple, Nicolas Sarkozy se moquait de nous quand, fanfaronnant, il déclamait le 23 septembre 2009 sur TF1 et France 2, « Les paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
, le secret bancaire, c’est terminé ». Faut-il lui rappeler que l’évasion fiscale coûte de 60 à 80 milliards d’euros par an au budget de la France ; que la principale banque française, la BNP Paribas, détient pas moins de 170 filiales dans les paradis fiscaux (dont 29 filiales au Luxembourg, 10 à Hong-Kong, 7 en Suisse, 7 à Singapour et 7 aux Îles Caïmans) et que toutes les entreprises du CAC 40 fraudent allègrement le fisc en échappant à l’imposition via leurs filiales implantées dans ces territoires à faible fiscalité ?

Paradoxalement, après la décision prise par le G20 G20 Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions. de Londres de sanctionner les États non coopératifs en matière fiscale, cette même année 2009, au mois de mai, le Panama sort de la liste noire établie par l’OCDE OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.

Site : www.oecd.org
. Cette liste noire devient vierge dès 2009 : « Il n’y a plus actuellement aucune juridiction dans la liste des paradis fiscaux non coopératifs du Comité des affaires fiscales de l’OCDE » peut-on lire sur le site de l’OCDE. Le Panama figure simplement sur une liste grise [1] des États dont les engagements restent à être traduits dans les faits.

Sarkozy fait sortir Panama de la liste des paradis fiscaux

Mais, comme si cela ne suffisait pas pour le bon déroulement des affaires, Sarkozy a obtenu la sortie du Panama de cette liste grise. Tout d’abord en signant le 30 juin 2011, une convention fiscale entre la France et le Panama « en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu ». Actant cette décision, le pays est naturellement sorti de la liste noire française des paradis fiscaux [2] qui est mise à jour tous les ans au 1er janvier (Notons au passage, qu’en janvier 2014, Jersey et les Bermudes sortent de cette même liste noire, après avoir été inscrits pendant seulement six mois !). Pour le Panama, c’était la 12e convention obtenue avec un pays de l’OCDE, quota et condition nécessaire pour sortir de la liste grise établie par l’OCDE, sortie effective le 6 juillet 2011 [3] [4].

Pour la sénatrice UDI, Nathalie Goulet, qui avait été vice-présidente d’une commission d’enquête du Sénat sur le rôle des banques dans l’évasion fiscale, c’est très clair : « C’est Nicolas Sarkozy qui a fait enlever le Panama de la liste des paradis fiscaux ». Le 4 avril 2012, malgré l’opposition du Sénat, son ministre de l’Économie et des Finances François Baroin, et sa ministre du Budget, Valérie Pécresse, ratifient l’accord fiscal avec le Panama.

La décision de Sarkozy, qui a donc eu des répercussions importantes, aura sans doute été influencée par sa rencontre avec celui qui était son homologue panaméen, Ricardo Martinelli, de passage à Paris – où il a par ailleurs été reçu au siège du MEDEF – le 17 novembre 2011. Cette rencontre a permis d’aborder la question de la présence d’entreprises françaises dans d’importants appels d’offres pour de juteux contrats au Panama. « En réalité, cet accord a été acheté pour Bouygues et pour Alstom », s’indignait alors le député communiste Jean-Pierre Brard en plein hémicycle. Certes, GDF-Suez, Alcatel, Degrémont ou encore Alstom pour le métro de Panama city et la Compagnie du Rhône, pour l’élargissement du canal, étaient alléchées par d’éventuels contrats. À la même période, l’ex-dictateur panaméen et ancien informateur de la CIA, Manuel Noriega, condamné pour blanchiment d’argent, est extradé de France, où il était détenu, vers le Panama. « Coïncidence troublante », relèvera l’élu Jean-Pierre Dufau (PS) [5].

Hollande décore l’ex-président du Panama de la Légion d’honneur

Tout comme Noriega, qui reçut la Légion d’honneur des mains de François Mitterrand en 1987, le multimillionnaire et ancien président du Panama de 2009 à 2014, Ricardo Martinelli, a été décoré le 14 juillet 2013 par François Hollande qui l’a élevé au rang de Grand-Croix de la Légion d’honneur [6]. Actuellement visé par une douzaine d’enquêtes pour détournement de fonds, crimes financiers, distribution de pots-de-vin et poursuivi pour avoir fait surveiller illégalement plus de 150 opposants en utilisant des fonds publics, Martinelli, en cavale, est visé par un mandat d’arrêt.

Ironie de l’histoire, le Panama parviendra à sortir de la liste grise du Groupe d’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
financière internationale (GAFI), institution qui dit lutter contre le blanchiment, le 18 février 2016, 2 mois avant que n’éclate l’affaire dite des Panama papers. Sur le site de l’ambassade du Panama en France, on peut voir le GAFI féliciter le Panama et le ministre panaméen de l’Économie et des Finances, Dulcidio De La Guardia, déclarer : « C’est un triomphe de tous les panaméens d’un pays qui a travaillé ensemble, secteur public et privé, et réussit les consensus nécessaires pour sauvegarder les meilleurs intérêts de notre Nation. Cela a permis l’adoption et l’application d’une nouvelle réglementation qui positionne le Panama à l’avant-garde en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux » [7].

Il faudra attendre le 8 avril 2016, sous la pression du scandale des « Panama Papers », pour que le ministre des Finances, Michel Sapin, et le secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert, annoncent avoir réintégré par décret le Panama dans la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC) en matière fiscale [8]. La multiplicité de ces listes est totalement incohérente et celles-ci, parfois attachées au folklore lointain, oublient trop souvent certains paradis fiscaux du Nord comme le Delaware aux États-Unis, la City de Londres, la Suisse, le Luxembourg ou la Belgique par exemple. Qu’on ne se méprenne pas, Nicolas Sarkozy, tout comme François Hollande, sont bien les amis de la – grande – finance.


Notes

[1Voir sur le site de l’OCDE : juridictions qui ont pris un engagement à améliorer la transparence et à mettre en place des échanges effectifs de renseignements en matière fiscale.

[2En réponse aux critique émises à propos des listes de l’OCDE et parce qu’il fallait agir, la France a émis sa propre liste de paradis fiscaux. Et chaque pays ou presque a dressé sa propre liste. À noter qu’aucun pays européen n’inclut dans ses listes le Luxembourg ou l’État du Delaware aux États-Unis, paradis fiscaux pourtant reconnus. [[Lire Sébastian Seibt, « Le Panama sur la liste noire des paradis fiscaux : une mesure avant tout symbolique », France 24, 7 avril 2016.

[3Pour sortir de la liste noire des États non-coopératifs en matière fiscale, en conformité avec les standards internationaux de transparence établis par l’OCDE, il faut établir au moins 12 conventions fiscales avec des pays membres de l’OCDE. La France de Sarkozy, en validant son accord fiscal avec le Panama, devient alors le 12e pays à remplir cette condition pour le Panama et déclenche sa sortie de la liste grise de l’OCDE au sein de laquelle le pays figurait depuis 2009. Voir : Emmanuel Lévy et Thomas Vampouille, « Quand Sarkozy sortait le Panama de la liste noire des paradis fiscaux », Marianne, 4 avril 2016.

[4« En coordination avec le sommet du G20, l’OCDE a publié le 2 avril 2009 une nouvelle liste de paradis fiscaux partagés en trois listes : gris clair, gris foncé et noir selon le degré d’absence de coopération. Sont répertoriés, sur une « liste noire », des États ou territoires qui ne se sont pas engagés à respecter les standards internationaux. Deux listes « grises » désignent des États ou territoires qui se sont engagés à respecter les standards internationaux mais ont à ce jour signé moins des douze accords requis. » (Paradis fiscaux, Wikipedia).

[5« En 2011, la sortie du Panama des paradis fiscaux s’est faite dans la précipitation », Tristan Quinault Maupoil, Le Figaro, 6 avril 2016.

[7Voir sur le site de l’ambassade du Panama en France, « Panama réussit à sortir de la liste grise du Gafi »,18 février 2016.

Jérôme Duval

est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, (Icaria editorial, 2016) et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint qui a reçu le Prix du livre politique à Liège en 2011.

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