Déclaration du comité exécutif régional de l’Assemblée des peuples de la Caraïbe sur la rançon imposée par la France au peuple haïtien

18 avril par Camille Chalmers , Assemblée des Peuples de la Caraïbe


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Le Comité Exécutif Régional de l’Assemblée des Peuples de la Caraïbe tient à exprimer son indignation à l’occasion du 200e anniversaire de la rançon imposée à Haïti à travers une ordonnance du Roi de France Charles X du 17 avril 1825, exigeant le paiement d’une somme exorbitante de 150 millions de francs or comme condition pour la reconnaissance de l’indépendance arrachée sur le champ de bataille 21 ans plus tôt.Le Comité Exécutif Régional de l’Assemblée des Peuples de la Caraïbe tient à exprimer son indignation à l’occasion du 200e anniversaire de la rançon imposée à Haïti à travers une ordonnance du Roi de France Charles X du 17 avril 1825, exigeant le paiement d’une somme exorbitante de 150 millions de francs or comme condition pour la reconnaissance de l’indépendance arrachée sur le champ de bataille 21 ans plus tôt.



À l’occasion de ce douloureux anniversaire, l’Assemblée des Peuples de la Caraïbe lance un vibrant appel à la mobilisation générale pour exiger à la France le remboursement intégral des sommes extorquées à la jeune république. Nous exigeons également le paiement de réparations appropriées pour les torts immenses et durables causés à Haïti par plus de 300 ans d’esclavage et par l’ordonnance odieuse du 17 avril 1825.

Depuis l’éclatante victoire des populations réduites à l’esclavage en Haïti et la proclamation d’une nouvelle République indépendante le 1er janvier 1804, l’empire français a tout fait pour asphyxier la jeune nation, la replacer sous le joug colonial et rétablir l’esclavage. L’ordonnance de 1825 n’est pas une simple arnaque, mais participe du combat des puissances capitalistes contre la liberté et les droits des peuples. La France des Bourbons, qui veut rétablir la monarchie, souhaite reconstituer un ordre colonial ébranlé et rétablir l’institution de l’esclavage, comme le démontrent les documents saisis par Henry Christophe quelques années auparavant dans la valise d’un des émissaires venus négocier une “indemnité” en faveur des colons esclavagistes.

L’ordonnance cherche, en plus de punir ceux et celles qui ont osé défier l’ordre colonial, à effacer la victoire de 1803 et réinsérer l’économie haïtienne dans le système mondial en assurant la continuité du pillage. Il est vital pour le système capitaliste mondial de démontrer que les peuples opprimés ne peuvent et ne doivent pas se révolter et que tout processus s’inspirant de la geste haïtienne ne peut conduire qu’à un douloureux échec.

Il est important de souligner que les coutumes de l’époque qui n’ont jamais cessé d’être appliquées pendant de longs siècles voulaient qu’à la fin d’une guerre, c’est le camp défait qui doit verser des indemnités au vainqueur. Nous avons gagné la guerre et nous avons dû payer aux vaincus. Les circonstances à travers lesquelles cette rançon a été imposée ne laissent aucun doute sur le caractère odieux de l’opération. La commission dirigée par le baron Mackau venue imposer cette rançon était accompagnée de plusieurs navires de guerre équipés de plus de 500 canons. Avec bien sûr, la menace de détruire la ville de Port-au-Prince en cas de refus de signer du Président Boyer. Il s’agit d’un cas emblématique de dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
telle que définie depuis la fin du XIXe siècle et formalisée par Alexander Sack en 1927.

Dans le texte de cette infâme ordonnance, le nom d’Haïti n’est jamais mentionné. On parle des habitants de la partie occidentale de l’ile de Saint-Domingue.
Il faut souligner plusieurs éléments :
a) l’importance centrale de la colonie de Saint-Domingue, qui générait 40% de la production mondiale de sucre de canne et représentait une source fabuleuse d’accumulation pour les capitalistes français ;
b) La radicalité de la révolution haïtienne, qui alliait indépendance, autodétermination des Peuples, révolution sociale, antiesclavagisme, internationalisme et panafricanisme révolutionnaire et qui a postulé une vraie mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
des droits humains en se basant sur le principe de l’égalité de tous les êtres humains (“tout moun se moun”).

En 1838, suite à de longues et difficiles négociations, le montant de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
est réduit à 90 millions de francs or. Mais ce nouvel accord renforce des conditions déjà imposées par l’ordonnance, qui structurent de nouveaux rapports de dépendance entre Haïti et la France. Dans cet accord Haïti est obligé de vendre son café à un prix réduit de 50% par rapport au prix pratiqué sur le marché mondial et doit accorder des préférences aux navires français arrivant aux ports d’Haïti, qui ne devront payer que 50% des droits de douane exigés par les douanes du pays.

Comment est-on arrivé au chiffre initial de 150 millions de francs or ? On a calculé la valeur des plantations perdues par les colons esclavagistes à la suite de la révolution haïtienne et la valeur des exportations de denrées. Dans ce calcul, on inclut la valeur marchande des esclavagisés. L’esclavage avait été aboli à Saint-Domingue en 1793 et en France en 1794. L’ordonnance de Charles X réaffirme que les hommes ne sont que des objets destinés à fournir des profits aux propriétaires de capitaux. L’un des messages les plus puissants de la révolution haïtienne, c’est de proclamer qu’aucun être humain ne peut être traité comme une marchandise et l’égalité radicale de tous les êtres humains (“Tout moun se moun”). La révolution haïtienne est une avancée décisive vers la démarchandisation indispensable à la mise en place de sociétés libérées de toute forme d’oppression.

La loi Taubira de mai 2001, votée par le Parlement français, reconnait que l’esclavage est un crime contre l’humanité. Nous souhaitons que le combat pour la restitution intégrale des sommes colossales volées au Peuple haïtien s’articule aux justes revendications de la CARICOM. Celles-ci réclament des réparations pour le crime de l’esclavage commis pendant plusieurs siècles par les puissances européennes. Dans les débats animés qui ont suivi l’acceptation par le Gouvernement et le Sénat haïtiens, un écrivain haïtien suggérait que la France devrait tôt ou tard payer les salaires non versés aux africaines réduites en esclavage sur notre sol pendant plus de 300 ans et qui ont généré un impressionnant volume de profits pour les classes dominantes européennes.

Le paiement de la rançon a eu des conséquences dévastatrices sur la société haïtienne. Pour citer un exemple, selon les archives des Institutions bancaires françaises, le service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. versé par l’État haïtien en mai 1841 a été acheminé dans des caisses pesant 1968 kilogrammes et contenant 85961 pièces d’or. Le service de cette ignominie a généré une extraordinaire hémorragie de ressources financières qui a conditionné les finances haïtiennes pendant 127 années. Soulignons que les 150 millions de francs or réclamés en 1825 représentaient 10 fois les recettes fiscales annuelles de l’État et 300% du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
annuel haïtien. Pour acquitter les versements annuels dès 1828, l’État haïtien a dû emprunter à des banques françaises qui ont appliqué des taux usuraires et des pratiques déloyales. Le fait de consacrer l’essentiel des recettes fiscales (parfois plus de 70%) au paiement du service de cette rançon a bloqué le processus de construction nationale et paralysé les investissements publics dans les infrastructures de base, les services essentiels d’éducation et de santé publique. Face au manque de liquidités Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
pour honorer le service annuel de la rançon, l’État haïtien a dû vendre un volume important de bois précieux sur le marché international, accélérant le processus de déforestation déjà entamé à l’époque de la colonisation française. Des milliers de tonnes d’acajou, de gaïac, de campêche ont été abattus, ce qui a déstabilisé nos écosystèmes agricoles et a entrainé une diminution de la productivité de l’économie paysanne.

Le montant des valeurs que la France doit rembourser immédiatement doit faire l’objet d’études approfondies. Le Président Jean Bertrand Aristide parlait de 21,7 milliards de dollars US, l’économiste Thomas Piketty évoque un remboursement incontournable de 28 milliards de dollars US et d’autres études évaluent ce remboursement à au moins 115 milliards de dollars US en comptabilisant ce que de nombreux historiens appelant la double dette. Ces sommes ne représentent qu’une faible portion des torts immenses causés à la jeune république. Le montant de la restitution des sommes volées par la France doit être fixé par le Peuple haïtien, en particulier la paysannerie, qui a souffert très douloureusement des ravages provoqués par cette domination néocoloniale. Le Peuple haïtien doit être le principal acteur des processus de reconstruction. Il devra fixer le montant de la restitution et définir un processus pour des réparations appropriées. Il ne saurait accepter des mécanismes de remboursements qui, tout comme l’ordonnance de Charles X, remettent en question ou violent sa souveraineté et sa dignité.

Le combat que nous menons aujourd’hui avec le Peuple haïtien pour exiger justice, restitution et réparation revêt une dimension symbolique importante et est au cœur des combats contre le néocolonialisme, l’impérialisme et tous les mécanismes de la domination capitaliste qui réduisent nos Peuples à la faim, la misère, la surexploitation et le désespoir.

Nous demandons aux Peuples du monde du monde d’exiger à la France le paiement intégral des sommes volées en Haïti. Ce paiement ne saurait être inférieur aux 115 milliards de dollars qui ne peuvent compenser qu’une partie des dégâts et préjudices causés par cette rançon criminelle. Nous demandons également aux Peuples du monde entier de se soulever contre la domination capitaliste en s’associant aux valeurs cardinales de justice, de solidarité et de dignité portées par la grande la révolution haïtienne de 1804.

Non à l’esclavage de la dette ! Non à la marchandisation des êtres humains !
Vive la solidarité révolutionnaire des Peuples !
La France doit rembourser immédiatement les sommes extorquées au Peuple haïtien !
Haïti doit enfin sortir de plus de 200 ans de solitude imposée par les puissances impérialistes !
Justice, Restitution, Réparation !


Camille Chalmers

Économiste, professeur, représentant de la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), membre du réseau CADTM-AYNA y CADTM Internacional.

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