Début octobre 2011, les administrateurs du groupe La Poste [1] ont eu la surprise de se voir convoqués pour un Conseil d’administration extraordinaire avec, à l’ordre du jour, la reprise de Dexia Municipal Agency (DMA), la partie financement des collectivités locales et acteurs publics du groupe Dexia. Le gouvernement français imposait la reprise de l’entité DMA par une société financière de droit privé détenue par la Banque postale, la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) et Dexia (Etat Belge). Le Conseil, composé en majorité de personnalités qualifiées et de dirigeants tous nommés par le gouvernement, adopta la formule le 5 octobre 2011. Quinze jours plus tard, le Parlement validait aussi l’opération dans le projet de loi de finance 2012 en y apportant une garantie de l’Etat français à hauteur de 32,85 milliards d’euros, sans oublier 6,65 milliards pour la partie DMA. L’affaire fut rondement menée malgré l’opacité extrême du dossier relevée par les parlementaires français qui votaient sans connaître la dimension exacte du risque financier de DMA. On avait bien compris qu’il s’agissait à tout prix de participer à l’enraiement d’une faillite « systémique » susceptible d’impacter l’espace européen, depuis les collectivités jusqu’aux fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. des travailleurs belges.
Emprunts « toxiques » : dilution ou pollution ?
Ce n’est que trois mois plus tard que le dossier, resté figé en l’état, revenait devant le CA de La Poste avec des modifications. Dans cette nouvelle configuration, l’État français est rentré dans la danse sous la forme d’une participation dans une « Holding publique » co-détenue avec la Banque postale et la CDC. Le montage relève de l’usine à gaz, avec une ségrégation des clientèles entre les « bons clients » solvables et les « moutons noirs », collectivités locales et acteurs publics insolvables ou en passe de le devenir, principalement en fonction de la variabilité des taux négociés à l’origine. Ces créances
Créances
Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
composent les actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
« toxiques » de DMA, évalués à environ 10 milliards d’euros répartis dans 1056 collectivités, en mauvaise posture et obligées de restructurer leurs dettes actuelles avant de pouvoir ré-emprunter. Les « bons emprunteurs » seraient orientés vers l’établissement de Crédit « La banque postale développement local », les autres seraient orientés vers ceux qui les ont déjà fourvoyés une fois, une entité « Dexia Crédit Local Résiduel ». Au passage, la CDC apporte 12,5 milliards d’euros pour pallier en urgence aux besoins de liquidité
Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
de DMA (cf p.155 du rapport de la commission spéciale du Parlement belge).
On le voit, l’idée maîtresse du plan reste la même, transférer un établissement financier privé en faillite dans la sphère publique afin d’y mener le processus de dilution des actifs toxiques. Car la ségrégation des clientèles, de façade dans le haut du schéma, devient toute relative puisque les actifs à risque côtoient les créances saines et les nouveaux crédits dans le bilan unique de ce montage.
Démocratie et contrôle : on prend les mêmes et on recommence
Au delà de la méthode très discutable pour des établissements du secteur public, mais courante dans les milieux d’affaires qui voit un petit groupe de « sachants » imposer leur projet à ses décideurs, le fond de la manœuvre est préoccupant. Tout d’abord dans la conduite du projet qui reste entre les mains de ceux qui ont validé la stratégie désastreuse de Dexia depuis des années. L’Agence des participations de l’Etat et la CDC siègent au Conseil d’administration de Dexia depuis sa création et c’est l’Etat français qui créa le modèle Dexia en démantelant la CAECL (Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales) dont le CA était composé pour moitié d’élus, ce qui était un vrai plus par rapport aux technocrates aux commandes actuellement. Autre préoccupation, le recours massif à l’argent public, qu’il s’agisse des 12,5 milliards d’euros de liquidités apportées par la CDC (dont on ne sait pas s’il s’agit d’emprunt ou de recours à des livrets d’épargne) ou de l’énorme garantie de 32,85 milliards d’euros apportée par l’Etat, il s’agit bien de contribution publique. Si elle est activée, l’affaire du Crédit Lyonnais passera au rang de petite carambouille. Se pose enfin la question essentielle : cette opération est-t-elle légitime ? Les Etats sont directement responsables des errements de Dexia : défaut de contrôle, irresponsabilité chronique, dissimulation de la situation réelle, la liste est longue. Alors qui doit payer pour Dexia ? Pas les peuples.
Nicolas Galepides, Secrétaire fédéral SUD PTT
[1] Groupe La Poste : 21 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 450 millions d’euros de bénéfice en 2011. La Banque postale, qui en est une filiale à 100%, avait un PNB (Produit Net Bancaire) en 2011 de 5,2 milliards d’euros et un encours (épargne et dépôts à vue) de 290 milliards d’euros.