Discussion entre Syriza, Podemos, le Bloco de Esquerda et le CADTM sur les stratégies pour faire face à la crise de la dette en Europe (Parlement européen – 20 janvier 2015)
25 janvier 2015 par CADTM Europe
Le mardi 20 janvier 2015, Syriza et Podemos (membres de la GUE) ont organisé une séance de réflexions et de débats au Parlement européen avec la participation du CADTM et du Bloco de Esquerda pour traiter des différentes stratégies envisagées pour faire face au piège de la dette publique en Europe. Cette séance, qui a duré 2h30 et était animée par Teresa Rodríguez, a été l’occasion d’une discussion agréable et à bâtons rompus entre les différentes formations politiques et le CADTM sur certains points de divergence et de convergence quant à la stratégie à mener face aux créanciers.
Eric Toussaint, porte parole du Comité pour l’Annulation de la Dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du Tiers Monde et docteur en sciences politiques, a présenté une introduction sur les expériences de restructuration, audit, suspension et annulation de dette des dernières décennies.
Sans revenir sur le détail de ces expériences, compilées dans une interview disponible [bleu]sur le site Internet du CADTM, l’exposé décrivait des exemples (1) de restructurations menées dans des conditions favorables aux pays débiteurs pour des raisons géopolitiques (Allemagne de l’Ouest en 1957, Pologne de Lech Walesa en 1991, Egypte de Mubarak en 1991 et Irak sous domination américaine en 2004) ; (2) d’une exception où la restructuration a profité par erreur à un gouvernement alternatif (Bolivie en 2005) ; (3) de suspensions unilatérales de paiement suivies de négociations (Argentine) ou non (Équateur). L’écrasante majorité des restructurations (il y en a eu 600 entre 1950 et 2010) a été défavorable aux économies et aux peuples des pays concernés. Eric Toussaint a montré que la restructuration constitue une expression et un mécanisme forgés par les créanciers. Le CADTM considère qu’il vaut mieux ne pas avancer la restructuration comme revendication et solution tant le terrain est miné par les créanciers qui l’ont clairement balisé en leur faveur.
Eric Toussaint a terminé ce retour historique particulièrement intéressant par le cas de la restructuration grecque opérée en 2012 dans l’intérêt des créanciers uniquement – et qui rappelle furieusement l’expérience des restructurations de la dette de pays du tiers monde. Il faut tirer les conclusions de ce cas récent pour un gouvernement grec dirigé par Syriza qui se profile.
Dans le contexte actuel, les créanciers publics – qui constituent maintenant dans le cas de la Grèce, mais aussi du Portugal et d’autres pays soumis aux mémorandums, les créanciers principaux – n’ont pas la volonté d’adopter une attitude un temps soit peu comparable au traitement de faveur accordé à l’Allemagne de l’Ouest d’après-guerre. « Plusieurs partis de la gauche radicale (dont Podemos, Syriza et le Bloco de Esquerda) proposent aujourd’hui des restructurations et disent « nous voulons négocier avec les créanciers ». Le débat ne porte pas tant sur l’attitude d’ouverture ou non à la négociation, que sur la question de savoir si une telle négociation peut aboutir à un résultat véritablement positif pour le pays et le peuple. Sans suspension de paiement, sans audit, sans d’autres actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
souveraines de désobéissance aux créanciers, on voit très mal comment une négociation peut donner un bon résultat. Et de toute façon, il faut être prêt à agir fortement si la négociation n’a pas lieu ou n’aboutit pas favorablement. ».
L’audit est à la fois un instrument de sensibilisation, de démonstration, et un exercice qui permet de fonder une décision souveraine d’un État
Après avoir souligné qu’il est important – comme le fait le document des amis portugais – d’inclure la question des banques, du contrôle des mouvements de capitaux et d’une réforme fiscale radicale lorsque l’on développe une stratégie face à la dette publique, il rappelait en conclusion l’importance de se saisir de l’arme que représente l’audit : « L’exemple de l’audit équatorien en 2007-2008 montre que c’est un outil important. C’est un acte souverain visant à analyser la dette qui est réclamée pour comprendre le processus d’endettement et en identifier des parties illégales/illégitimes/insoutenables/odieuses. C’est à la fois un instrument de sensibilisation, de démonstration, et un exercice qui permet de fonder une décision souveraine d’un État sur la base d’arguments de droit interne et international, ou sur la base de principes généraux de droit. »
Fransisco Louçã, ex-coordinateur du Bloco et docteur en économie, a exposé le plan de renégociation de la dette rédigé par lui et trois autres économistes portugais.
Ce rapport permet d’impulser un débat politique sur base de propositions concrètes. Le document propose que la restructuration se fasse via un allongement de paiement du capital repoussée à 30 ans et une diminution radicale des taux d’intérêts à 1 %. Il propose également une politique discriminatoire en faveur des petits porteurs, des autres petits épargnants qui pourraient être touchés par la restructuration, ainsi qu’en faveur de la sécurité sociale et des pouvoirs publics locaux. Enfin, il plaide pour une réforme radicale du secteur bancaire (qui passerait intégralement dans le secteur public après avoir contraint les actionnaires à accuser des pertes).
« Le caractère solide et concret des propositions est très important pour le débat public. Nous pensons qu’il peut y avoir d’autres positions, et peut-être même meilleures, mais aucune n’a été présentée jusqu’à maintenant. »
Le programme de rachats de dettes annoncé par la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
ne suffira pas, au contraire.
Selon Fernando Louçã, le programme de rachats de dettes annoncé par la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. européenne ne suffira pas, au contraire. Il faudra nécessairement une annulation partielle de la dette via un processus de négociation et de restructuration. « Tout peut se passer, en bien ou en mal, cela dépendra de l’attitude d’un gouvernement de gauche qui pourra – et devra – prendre, de toute évidence, des mesures unilatérales. »
Ignacio Alvarez, membre de Podemos et professeur d’économie appliquée, tenait à préciser d’emblée que Podemos n’a pas encore de position aussi affirmée sur la dette que les autres intervenants. Cependant, Podemos a voté une résolution qui a permis d’ouvrir le débat.
Cette résolution part de deux constats : le programme économique de Podemos ne pourra pas être appliqué sans s’attaquer au problème de la dette (publique comme privée) et le cadre institutionnel dans lequel il s’inscrit (l’Union européenne et ses traités) est également très important à prendre en compte. « Les économies périphériques, si elles veulent vivre à l’intérieur de ce cadre, devraient produire les prochaines années des surplus primaires supérieurs de 3, 4, ou jusqu’à 7 %. Ce qui est invivable et impossible. »
Concernant l’audit citoyen et la restructuration, Ignacio Alvarez explique que pour Podemos « Ces deux choses doivent se coordonner mais pas s’exclure, la restructuration doit se faire même si l’audit n’a pas pu se terminer ou n’est pas arrivé à de telles conclusions. Nous voyons l’audit comme un instrument de sensibilisation et de politisation. C’est aussi, comme Eric l’a dit, un instrument qui doit aider à définir ce qui est illégitime. » Il précisait ensuite la forme que devrait prendre la restructuration : « elle doit permettre d’atteindre une réduction effective : des taux d’intérêts, du calendrier d’amortissement, du service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. les premières années comme le proposent nos amis portugais, et évidemment du stock. »
L’utilisation du terme de restructuration permet de s’adresser à une partie beaucoup plus large de la population.
Selon lui, l’utilisation du terme de restructuration permet de s’adresser à une partie beaucoup plus large de la population. « Ce qui compte ce ne sont pas les termes que nous utilisons mais ce que nous mettons derrière. Je suis totalement d’accord qu’il faut poser des actes souverains. Le débat sur la dette n’avancera d’ailleurs pas s’il n’y en a pas de la part des pays endettés, qui doivent tenter de mettre en place des solutions collectives. Mais nous ne pouvons pas nous financer du jour ou lendemain, nous n’avons pas de possibilités monétaires via notre banque centrale, il faudra donc le prendre en compte. Il faut penser ce qui se passera le lendemain de nos actes unilatéraux. »
Georgios Katrougalos, député européen de Syriza et professeur en droit constitutionnel, rappelait qu’il n’y a pas encore quelque-chose de prévu dans le droit international pour traiter les questions de restructurations. Pour le moment, il existe deux groupes informels : le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
(créanciers publics) et le Club de Londres
Club de Londres
Homologue du Club de Paris, ce Club réunit les banques privées qui détiennent des créances sur les PED. Créé en 1976 suite à une demande en provenance de l’ex-Zaïre, le Club de Londres est un groupe informel, sans statut et légitimité, se réunissant pour entreprendre des opérations de restructuration de dettes souveraines de pays en difficulté de paiement. Sous l’effet de la crise de la dette du Tiers-Monde, il gagne en importance dans le dernier quart du XXe siècle.
Face à l’évolution du profil d’endettement des pays en développement dès les années 2000, délaissant le recours aux banques privées au profit des marchés financiers, le Club de Londres serait actuellement inactif. Son rôle est aujourd’hui assumé de fait par l’IIF (Institute of International Finance, https://www.iif.com/ ), association de 500 établissements financiers (banques, gestionnaires d’actifs, compagnies d’assurance, fonds souverains et des fonds spéculatifs) régulièrement invitée à participer aux réunions du Club de Paris.
(créanciers privés). Ils utilisent leur pouvoir pour imposer des conditions particulières aux restructurations afin qu’elles servent leurs intérêts et non ceux des populations débitrices.
« Depuis la restructuration de 2012, 90 % de notre dette n’est plus dans les mains de créanciers privés (des banques allemandes et françaises en grande partie), mais d’États, de la BCE et du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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. C’est un autre exemple de socialisation des pertes des banques. Du coup, il faudra peut-être une négociation. » Sans oublier que la dette grecque relève maintenant du droit britannique et non du droit grec.
Il est impossible de payer la dette. Mais la raison principale pour y désobéir est politique, pas technique.
Il affirmait que la position de Syriza est qu’il est impossible de payer la dette. Mais la raison principale pour y désobéir est politique, pas technique. La dette est un outil de domination qui n’est plus un problème de la Grèce ou des pays périphériques, mais un problème de l’Union européenne. « Il est impératif d’avoir une solution à travers une conférence internationale, comme ce fut le cas pour l’Allemagne. Notre proposition inclut la nécessité d’un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
et une clause de croissance minimale en-dessous de laquelle le service de la dette serait suspendu. »
En conclusion, Eric Toussaint expliquait qu’il existe un règlement de l’Union européenne, daté du 21 mai 2013, dont l’article 7§9 préconise de faire un audit complet dans les pays qui ont nécessité un plan d’ajustement macroéconomique [1]. Que Syriza le prenne au mot et s’en saisisse pour identifier les responsabilités dans l’endettement de la Grèce et la dette que le peuple n’a pas à payer.
Capsule vidéo de Vasileios Katsardis
[1] « Un État membre faisant l’objet d’un programme d’ajustement macroéconomique réalise un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d’évaluer les raisons qui ont entraîné l’accumulation de niveaux d’endettement excessifs ainsi que de déceler toute éventuelle irrégularité. » Règlement (UE) n ° 472/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière http://eur-lex.europa.eu/legal-cont...
Le CADTM Europe (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes) est présent en Grèce, en France, en Belgique, en Espagne, en Suisse, en Italie, en Pologne. et au Luxembourg Au niveau mondial, le réseau CADTM est implanté dans plus d’une trentaine de pays.
Appel
Pourquoi annuler les créances détenues par la Banque centrale européenne sur les pays de la zone euro ?7 décembre 2021, par Eric Toussaint , Sonia Mitralias , CADTM Europe , Paul Murphy , Miguel Urbán Crespo , Andrej Hunko , Cristina Quintavalla , Manon Aubry , Leïla Chaibi
18 novembre 2021, par CADTM Europe
Communiqué de presse
Nous ne paierons plus leurs crises !16 avril 2020, par CADTM Europe
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