AVP Dette & Souveraineté alimentaire

Dette extérieure et droit à l’alimentation

3 janvier par Olivier De Schutter , Pablo Laixhay


Photo : sandeepachetan.com travel photography, Flickr, CC, https://www.flickr.com/photos/sandeepachetan/11381394614/

Chaque vendredi pendant plusieurs mois, nous publierons un article qui se trouve dans le nouvel AVP « Dette et souveraineté alimentaire ». Au programme ce vendredi, un article d’Olivier De Shutter, ancien Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation et actuel Rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains.

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  1. La crise de l’alimentation, de la terre et de l’eau à la lumière de l’extermination sioniste du peuple palestinien à Gaza
  2. UPOV, main basse sur les semences en Argentine
  3. Pas de transition agroécologique sans abolition de la dette des agriculteurices
  4. La crise alimentaire internationale et les propositions pour en sortir
  5. Éradiquer la faim en 2030 : une chimère ?
  6. Dette extérieure et droit à l’alimentation
  7. Solange Koné : « Il faut lier les cultures agricoles aux besoins de la population »
  8. Agricultrices et souveraineté alimentaire en Côte d’Ivoire
  9. Haïti : Dette et souveraineté alimentaire, l’impossible cohabitation
  10. Madagascar : La lutte pour la souveraineté foncière continue
  11. La nuit tombe sur la souveraineté alimentaire mexicaine
  12. Argentine : le gouvernement d’extrême droite de Javier Milei s’attaque à la souveraineté alimentaire
  13. Les défis de la souveraineté alimentaire en Inde
  14. La Tunisie face à l’impérialisme économique : analyse des enjeux autour de l’eau, l’alimentation et l’agriculture
  15. Liban : Une crise alimentaire sur fond de guerre et d’exploitation capitaliste
  16. Maroc : crise alimentaire et stress hydrique dans le contexte de la crise économique, de la dette et des pressions des institutions financières mondiales
  17. Morgan Ody : « À la Via Campesina, nous voulons des politiques de régulation des marchés qui soutiennent et protègent les productions locales »
  18. Sortir du libre-échange : vers un commerce international axé sur la souveraineté alimentaire
  19. La politique d’exportation dans l’agriculture égyptienne : repenser le dilemme
  20. Roxane Mitralias : « Le secteur agroalimentaire fait partie du noyau dur du capitalisme mondial »
  21. L’accès à la terre : le champ de bataille ?
  22. Belgique : La transition du système alimentaire – Bilan de 10 années de luttes
  23. La Tunisie face à l’impérialisme économique : une analyse des enjeux autour de l’eau, l’alimentation et l’agriculture

Passages traduits et réduits du texte « Sovereign Debt and Human Rights », dixième chapitre (p.186-209) de l’ouvrage collectif « Sovereign Debt and Human Rights » de Ilias Bantekas and Cephas Lumina, publié en 2019 aux éditions Oxford University Press. Se référer à la version originale pour accéder à l’ensemble du texte, des références bibliographiques et des annotations.

[…] Dans les années 1960 et 1970, afin d’améliorer leur balance commerciale Balance commerciale
Balance des biens et services
La balance commerciale d’un pays mesure la différence entre ses ventes de marchandises (exportations) et ses achats (importations). Le résultat est le solde commercial (déficitaire ou excédentaire).
et de s’offrir les technologies qui leur permettraient de s’industrialiser - ainsi que de nourrir les villes - de nombreux gouvernements d’Afrique subsaharienne ont favorisé une certaine classe d’agriculteurrices et des catégories de cultures : les bénéficiaires n’ont pas été les agriculteurrices les plus pauvres produisant de la nourriture pour leurs communautés locales, mais plutôt les grandes unités de production capables de nourrir les villes et, mieux encore, d’exporter sur les marchés mondiaux. Plus tard, lorsque la crise de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
a éclaté, au début des années 1980, et que l’ère des ajustements structurels a commencé, seules les agriculteurices les plus compétitifves ont réussi à survivre, dans le contexte d’une baisse structurelle des prix à la production. Les rares soutiens que l’État pouvait encore se permettre d’apporter sont allés à l’agriculture orientée vers l’exportation, car ce n’est qu’en exportant sur les marchés mondiaux que les États pouvaient espérer rassurer leurs créanciers et rembourser, du moins en partie, les dettes publiques qui avaient soudainement échappé à tout contrôle. Le résultat, cependant, a été une dépendance croissante de ces pays à l’égard des importations de denrées alimentaires pour répondre aux besoins locaux. Lorsque les prix des denrées alimentaires ont commencé à augmenter fortement, en 2006-2008, ces pays ont été pris au piège : en plus d’être pauvres et lourdement endettés, ils étaient devenus déficients sur le plan alimentaire. La situation devint insoutenable. Leur économie agricole fut transformée en une industrie extractive : leurs pratiques agronomiques exploitaient littéralement les sols pour en extraire les nutriments et cet extractivisme Extractivisme Modèle de développement basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique. comportait clairement un caractère post-colonial.

 Après la crise mondiale des prix alimentaires : réinvestir dans l’agriculture

Alors qu’en raison des politiques d’ajustement structurel, […] le soutien public à l’agriculture a considérablement diminué entre le milieu des années 1980 et la fin des années 1990, on espérait que l’investissement privé viendrait combler ce vide. Il n’en fut rien

[…] En 2008, la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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a indiqué que la part des ressources de l’aide publique au développement (APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. ) consacrée à l’agriculture était passée de 18 % en 1979 à 3,5 % en 2004 et qu’elle avait diminué en termes absolus, passant de 8 milliards de dollars (en dollars de 2004) en 1984 à 3,4 milliards de dollars en 2004.

Fig. 1. Baisse de l’aide publique au développement consacrée à l’agriculture (1970-2009)

Source : Fan et Breisinger : Fan et Breisinger, sur la base des statistiques 2011 de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, 2011 : Base de données en ligne du Comité d’aide au développement - Engagements bilatéraux officiels par secteur).

Alors qu’en raison des politiques d’ajustement structurel, […] le soutien public à l’agriculture a considérablement diminué entre le milieu des années 1980 et la fin des années 1990, on espérait que l’investissement privé viendrait combler ce vide. Il n’en fut rien. Le secteur privé n’était pas intéressé à entrer dans un secteur perçu comme étant en déclin. C’est cette tendance que [la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (NASAN) chercha] à inverser. […]

 Le secteur privé à la rescousse : la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition

La NASAN, parrainée par le G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. , […] [vise à] créer les cadres juridiques et politiques qui faciliteraient l’arrivée d’investisseurs privés dans les pays africains afin de stimuler davantage la production agricole. La Nouvelle alliance fut annoncée lors du sommet du G8 qui s’est tenu à Camp David les 18 et 19 mai 2012 [réunissant] les dirigeantes du Royaume-Uni, du Canada, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, du Japon et de la Russie, sous la présidence des États-Unis. […] [L’objectif de ce sommet était] « d’accélérer les flux de capitaux privés vers l’agriculture africaine, de mettre à l’échelle les nouvelles technologies et autres innovations susceptibles d’accroitre la productivité agricole durable et de réduire les risques supportés par les économies et les communautés vulnérables. »

[…] Les engagements des dix gouvernements participants [1] sont relativement uniformes d’un pays à l’autre. Ils comprennent la mise en place d’un environnement favorable aux entreprises par l’amélioration des infrastructures (irrigation des terres et routes rurales, infrastructures portuaires), des réformes fiscales et un meilleur accès au financement, ainsi que la suppression des obstacles fiscaux, règlementaires et administratifs à la commercialisation des produits et au commerce, une plus grande transparence et stabilité de la politique commerciale (pour faciliter l’exportation des produits agricoles) et une réforme règlementaire dans le domaine des semences pour renforcer les droits de propriété intellectuelle des obtenteurs et établir un catalogue des semences, là où il n’en existe pas encore ; l’amélioration de l’accès des agriculteurices aux intrants Intrants Éléments entrant dans la production d’un bien. En agriculture, les engrais, pesticides, herbicides sont des intrants destinés à améliorer la production. Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette, les meilleurs intrants sont réservés aux cultures d’exportation, au détriment des cultures vivrières essentielles pour les populations. (par la production, la distribution et l’utilisation de semences améliorées, d’engrais, de pesticides et d’outils agricoles, en veillant en particulier à ce que les agriculteurices en bénéficient) et la clarification des droits à la terre et à l’eau ; et enfin, l’adoption de politiques spécifiques basées sur la nutrition (telles que la bio-fortification, la fortification, les politiques nutritionnelles et le traitement de la malnutrition).

Mais c’est le volet secteur privé qui est à la fois le plus original et le plus significatif. Pour les dix pays concernés par la Nouvelle alliance, 180 entreprises se sont engagées dans leurs « lettres d’intention » à investir un total de 8 milliards de dollars dans l’agriculture. Une analyse des lettres d’intention montre que, si certaines entreprises basées en Afrique jouent un rôle important dans la NASAN, deux entreprises sont largement en tête : le semencier suisse Syngenta et l’entreprise norvégienne d’engrais Yara International (qui ont promis respectivement 500 millions USD et 1,5 milliard USD). Ce schéma explique que de nombreux observateurs considèrent le NASAN comme un cheval de Troie pour les firmes multinationales occidentales, désireuses d’élargir leurs marchés en participant à la relance de l’agriculture africaine - mais imposant au passage leur propre vision de la trajectoire à suivre et des choix agronomiques et économiques associés.

En empêchant les pays pauvres de financer leur développement, et donc en les rendant dépendants de l’arrivée d’investissements privés, l’étau de la dette sur les pays pauvres peut impliquer que leurs ressources seront exploitées non pas pour servir les besoins et les priorités locales, mais ceux des intérêts privés impliqués, ou des États dans lesquels ils sont domiciliés

[…] La question de savoir comment les ressources naturelles doivent être exploitées, par qui et au profit de quels intérêts, est au cœur du droit international depuis qu’il est né des tentatives de justifier ou de règlementer la conquête coloniale. L’occupation par des puissances coloniales ou la conclusion de traités inégaux, n’ont toutefois pas été les seuls outils permettant de garantir que les pays riches en ressources, mais pauvres en liquidités Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
, puissent être exploités au service des intérêts des pays plus avancés (à l’origine : européens). Si les investissements privés ont toujours joué un rôle clé à cet égard, […] la dette extérieure [est également un outil de spoliation par excellence]. En empêchant les pays pauvres de financer leur développement, et donc en les rendant dépendants de l’arrivée d’investissements privés, l’étau de la dette sur les pays pauvres peut impliquer que leurs ressources seront exploitées non pas pour servir les besoins et les priorités locales, mais ceux des intérêts privés impliqués, ou des États dans lesquels ils sont domiciliés.

 Investissements privés et accaparement des ressources : la montée des « accaparements de terres » (land grabs)

Mieux peut-être que les considérations théoriques, le phénomène mondial de « l’accaparement des terres », dénoncé depuis la crise mondiale des prix des denrées alimentaires par toute une série d’organisations non gouvernementales, illustre ce risque. Ces dernières années ont été marquées par une augmentation significative des acquisitions ou des locations de terres agricoles à grande échelle. Les pays en développement, où la gouvernance est faible et où les gouvernements n’ont pas à rendre de comptes, sont particulièrement visés. Entre 2000 et 2015, plus de 1073 transactions foncières à grande échelle (définies comme une superficie d’au moins 200 hectares) ont été conclues, couvrant au total près de 40 millions d’hectares : c’est plus de six fois la taille du Sri Lanka (6,5 millions d’hectares), nettement plus que la masse continentale totale du Royaume-Uni (28 millions d’hectares) et plus de deux fois la totalité des terres arables de la France (18 millions d’hectares). La grande majorité de ces transactions ont concerné l’Afrique (457 transactions documentées) et, au sein de l’Afrique, l’Afrique de l’Est et l’Afrique de l’Ouest (229 et 137 transactions respectivement). L’Asie du Sud-Est (316 transactions) et, dans une certaine mesure, l’Amérique latine (167 transactions) sont également concernées par cette vague d’investissements fonciers. […] Les investisseurs sont soit les élites locales, soit, de plus en plus, des fonds d’investissement Fonds d’investissement Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise. étrangers ou des sociétés agro-industrielles. Il s’agit également des gouvernements des pays riches en liquidités, mais pauvres en ressources, qui cherchent à externaliser la production alimentaire afin de garantir un approvisionnement stable et fiable à leur population.

La récente vague d’acquisitions ou de locations à grande échelle de terres agricoles n’est certes pas totalement sans précédent. Mais la vitesse à laquelle le phénomène s’est développé récemment et son ampleur globale le sont. […] Un marché mondial des droits sur la terre et l’eau se met ainsi rapidement en place. Le poids de la dette extérieure fait qu’il est difficile pour les pays cibles de résister à la pression de céder des terres à des investisseurs étrangers, dans l’espoir à la fois de réaliser un gain à court terme et d’attirer des investisseurs qui pourraient développer les infrastructures locales - routes, installations de stockage, systèmes d’irrigation - et relier la production agricole locale aux marchés mondiaux. […]

 Canaliser les investissements du secteur privé pour répondre aux besoins de développement

S’il existe un moyen de mobiliser des ressources supplémentaires pour le développement, c’est d’augmenter les impôts dus par les sociétés étrangères opérant dans le pays

Bien qu’elle ne concerne que dix pays d’Afrique subsaharienne, la NASAN - et les risques accrus d’accaparement des terres qu’elle entraine - illustre une question plus large, à savoir dans quelle mesure les États peuvent effectivement veiller à ce que les flux d’investissements privés contribuent au développement humain et à la sécurité alimentaire locale, et soient alignés sur les priorités nationales.

[…] L’impact des investissements directs étrangers (IDE Investissements directs à l’étranger
IDE
Les investissements étrangers peuvent s’effectuer sous forme d’investissements directs ou sous forme d’investissements de portefeuille. Même s’il est parfois difficile de faire la distinction pour des raisons comptables, juridiques ou statistiques, on considère qu’un investissement étranger est un investissement direct si l’investisseur étranger possède 10 % ou plus des actions ordinaires ou de droits de vote dans une entreprise.
) sur la croissance dépend dans une large mesure des conditions locales, qui peuvent ou non permettre à un pays de bénéficier d’une croissance durable grâce à leur arrivée. En outre, certaines des stratégies actuellement utilisées pour attirer les IDE sont autodestructrices. Il est amplement démontré, par exemple, que les « exonérations fiscales » ou même, plus généralement, les protections juridiques accordées aux investisseurs, n’ont que peu ou pas d’impact sur la capacité du pays à attirer les investissements, mais peuvent réduire de manière significative la marge de manœuvre politique nationale. Les principaux déterminants de l’IDE sont des facteurs économiques tels que la taille du marché et l’ouverture commerciale, mesurée par les exportations et les importations par rapport au PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
total. Pour d’autres variables, la littérature est moins consensuelle.

Plus le fardeau de la dette est élevé, moins l’État est en mesure de réaliser les investissements nécessaires pour améliorer la sécurité alimentaire locale, et plus ses choix de développement dépendent des priorités que se fixent les investisseurs privés

[…] En d’autres termes, si les pays lourdement endettés peuvent être tentés d’attirer à tout prix les investissements privés pour financer leur développement, une telle stratégie peut en fin de compte s’avérer problématique et réduire, plutôt que renforcer, leur capacité à réaliser les droits humains. En effet, s’il existe un moyen de mobiliser des ressources supplémentaires pour le développement, c’est d’augmenter les impôts dus par les sociétés étrangères opérant dans le pays, ou de combler les lacunes, telles que les mécanismes de transfert de prix, qui permettent à ces sociétés d’échapper à la fiscalité locale, si ce n’est totalement, du moins dans une très large mesure. Toutefois, les États (en particulier les pays les moins avancés (PMA Pays moins avancés
PMA
Notion définie par l’ONU en fonction des critères suivants : faible revenu par habitant, faiblesse des ressources humaines et économie peu diversifiée. En 2020, la liste comprenait 47 pays, les derniers pays admis étant le Timor oriental et le Soudan du Sud. Elle n’en comptait que 26 il y a 40 ans.
)) sont parfois réticents à recourir à cette stratégie, car ils craignent que les investisseurs ne soient pas attirés par le pays s’ils imposent des exigences trop élevées.

[…] [Ainsi,] pour la réalisation du droit à l’alimentation, l’allègement de la dette extérieure est essentiel pour deux raisons. Premièrement, les stratégies nationales pour la réalisation du droit à l’alimentation, telles que recommandées par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, peuvent être couteuses à mettre en œuvre. […] La priorité accordée au service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. extérieure, dans la mesure où elle réduit la capacité de l’État à investir dans de tels programmes, pourrait considérablement aggraver la sécurité alimentaire et affecter la jouissance du droit à l’alimentation. Deuxièmement, la dette extérieure rend les pays fortement endettés très dépendants de l’arrivée de capitaux étrangers pour financer leurs politiques de développement, en particulier à un moment où, en raison de la « fatigue de l’aide » ou de la crise économique, qui touchent les donateurs traditionnels, les niveaux d’aide publique au développement ont tendance à diminuer. La conséquence est que les investissements doivent servir les priorités des investisseurs privés plutôt que les besoins de développement des pays concernés. Cela influencera le choix des produits à cultiver, des infrastructures à construire ou à entretenir, des marchés et des chaînes de valeur à développer. Les deux voies par lesquelles le niveau de la dette extérieure entrave la réalisation du droit à l’alimentation sont bien sûr liées : plus le fardeau de la dette est élevé, moins l’État est en mesure de réaliser les investissements nécessaires pour améliorer la sécurité alimentaire locale, et plus ses choix de développement dépendent des priorités que se fixent les investisseurs privés.


Notes

[1Il s’agit du Burkina Faso, du Bénin, de la Côte d’Ivoire, de l’Éthiopie, du Ghana, du Malawi, du Mozambique, du Nigeria, du Sénégal et de la Tanzanie.

Olivier De Schutter

Juriste belge et professeur de droit international, ancien Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, actuel Rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains

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