Série : Mouvements sociaux et politique de la dette
Première partie
23 octobre 2024 par Christoph Sorg
Après avoir mis à disposition du public l’intégralité de la thèse de doctorat de Christoph Sorgh (en anglais) [1], le CADTM est heureux d’en fournir des extraits décrivant l’action et l’orientation du CADTM. Le premier extrait, qui correspond aux pages 110 à 113 de la thèse de doctorat, traite de l’évolution du CADTM des années 1990 à 2016. Nous avons ajouté plusieurs liens hypertextes permettant d’accéder à de nombreux documents du CADTM référencés dans la bibliographie de la thèse de doctorat.
Extraits de : Social Movements and the Politics of Debt Transnational Resistance against Debt on Three Continents
Le CADTM a complètement développé son action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
en tant qu’organisation axée sur les relations de dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
Sud-Nord depuis le début des années 1990. Cependant, son discours en 2007 était différent (ainsi que son organisation, ses modes d’action et son cadrage général). Dans sa charte politique rédigée un an avant que la crise ne passe de la vie réelle des propriétaires américains pauvres à la conscience publique, le CADTM a noté que « deux grandes tendances opposées » ont émergé à l’échelle mondiale depuis sa fondation en 1990 : une « offensive néolibérale capitaliste » accrue, dont les principaux promoteurs sont le G7
G7
Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing.
, le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et l’OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
, tous au service des intérêts des multinationales et du capital financier international ; mais également un puissant contre-mouvement à cette tendance. [2]
La crise financière de l’Atlantique Nord a ensuite profondément modifié la structure, la perspective et même le nom du CADTM. Eric Toussaint, porte-parole du CADTM, se souvient dans un récent historique de la trajectoire du CADTM :
“Oui, la dette des pays du Nord n’était pas traitée comme une question clé en 1990, mais je la considérais comme telle. Quant à la situation actuelle, lorsque la crise bancaire qui a éclaté aux Etats-Unis en 2006-2007 a englouti l’Europe vers 2007-2008, et qu’un certain nombre de pays ont socialisé leurs pertes bancaires pour sauver les banques, la dette publique s’est envolée. J’ai tout de suite été convaincu, avec d’autres membres du CADTM, qu’il était temps de prendre en compte la nouvelle dimension de la dette publique nordique. Nous l’avons fait avant que d’autres ne s’en aperçoivent. Il faut se souvenir qu’en 2008-2009, la première réaction de José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, a été de proposer une politique qui ressemblait à un tournant néo-keynésien. En fait, elle n’a fait que fournir des amortisseurs sociaux temporaires car les gouvernements du Nord redoutaient que la remise en cause du système ne se transforme en quelque chose de colossal et de dynamique.” (Toussaint & Lemoine)
En effet, peu après l’effondrement bancaire de septembre 2008, Toussaint a soutenu que la crise actuelle était profonde et que la socialisation des pertes des banques privées entraînerait des griefs généralisés (Toussaint 2008 [3]). Concrètement, il a critiqué le fait que la politique de renflouement équivaut à transférer la facture de la « mauvaise conduite des capitalistes » à la majeure partie de la population, qui devra faire face à « moins de services publics, moins d’emplois, une nouvelle baisse du pouvoir d’achat, une contribution plus élevée des patients au coût des soins de santé, des parents au coût de l’éducation de leurs enfants, moins d’investissements publics ... et une augmentation des impôts indirects ». En outre, il a déclaré que « [a]vec l’aggravation de la crise, un profond sentiment de malaise se transformera en méfiance politique à l’égard des gouvernements qui ont mené de telles opérations » (Toussaint 2008).
Les analyses du CADTM intègrent la crise dans le corpus de connaissances qu’il a développé précédemment, qui souligne l’interconnexion des différentes formes de crise, le lien entre la dette du Sud et celle du Nord, et « la nécessité de construire des alternatives locales et globales »
Conséquence de la crise et de sa perception, les travaux et analyses liés à la crise ont constitué l’un des principaux piliers des activités du CADTM en 2008 et 2009 (CADTM 2008a ; 2009). En particulier, la crise a eu un impact sur les activités d’éducation du public du CADTM ainsi que sur sa production d’analyses (CADTM 2008a). Le CADTM a organisé un atelier de trois jours intitulé « Week-end Résistance 2008 : L’Agriculture en résistance » (CADTM 2008b), un tribunal populaire contre le G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. (CADTM 2008c), et a co-animé une série de six séminaires sous le titre « la finance et le citoyen ». En outre, le réseau a organisé des assemblées populaires, un « camp des alternatives », ainsi qu’une conférence sur les alternatives locales, et a produit des textes et des vidéos sur la crise (CADTM 2008a ; 2009 ; Millet & Toussaint 2010 [4]).
Les analyses du CADTM inscrivent la crise dans le corpus de connaissances qu’il a développé précédemment, qui souligne l’interconnexion des différentes formes de crise, le lien entre la dette du Sud et celle du Nord, et « la nécessité de construire des alternatives locales et globales » (CADTM 2009, 8). Ils ont également souligné que « de plus en plus, les populations du Sud ne sont pas les seules à subir les conséquences de l’échec de ce système » et que les crises de la dette du Nord entraîneront des plans d’austérité (CADTM 2009, 8). Dans son rapport annuel 2008, il distingue plusieurs crises interconnectées : financière, économique, alimentaire, climato-écologique, migratoire et de gouvernance (CADTM 2008a, 43 ss). Le rapport identifie :
| Pour en savoir plus sur l’histoire du CADTM : Généalogie du CADTM et des luttes contre les dettes illégitimes |
Conformément à l’évolution de ses analyses et de ses pratiques, le CADTM a, au cours des années suivantes, modifié de manière significative sa structure et, finalement, son nom. D’une part, il a continué à décentraliser ses activités pour lutter contre les asymétries Nord-Sud et, d’autre part, il a élargi son intervention dans les luttes anti-austérité du Nord.
Jusqu’à l’assemblée mondiale dans la ville marocaine de Bouznika en 2013, le CADTM Belgique gérait seul le secrétariat international, mais a ensuite successivement transféré les responsabilités à Attac/CADTM Maroc afin de partager à terme le secrétariat (CADTM International 2013). L’idée avait déjà été discutée depuis l’assemblée mondiale de 2010 en Belgique (CADTM ; Toussaint 2013). La mise en œuvre effective a été successivement entravée par la répression des autorités marocaines (CADTM interview 2), mais la décision a été évaluée positivement et confirmée lors de l’assemblée mondiale suivante dans la banlieue de Tunis à Borj Credia en 2016, où l’événement a eu lieu puisque les autorités marocaines ont refusé de délivrer une autorisation pour l’événement (ATTAC/CADTM Maroc 2016). Lors de cette même assemblée, le réseau a également décidé de changer son nom en « Comité pour l’abolition des dettes illégitimes », tout en conservant l’acronyme de sa marque. Cette décision a été justifiée par la reconfiguration des relations Nord-Sud dans le cadre de la récente crise :
Le changement de nom du réseau CADTM se justifie par l’évolution de son travail dans les pays industrialisés du Nord. Le CADTM a été fondé en 1990 en pleine crise de la dette du Sud pour demander l’annulation de la dette des pays dits du Tiers-Monde, mais au fil du temps le terme « Tiers-Monde » est de moins en moins utilisé. Avec la crise financière de 2008 et ses répercussions, le champ d’action du CADTM s’est progressivement étendu à la dette publique des pays industrialisés du Nord, sans pour autant renoncer à exiger l’annulation de la dette des pays dits du « Tiers-Monde ». Le CADTM a montré comment l’ensemble du « système de la dette » assujettit les populations du Sud autant que celles du Nord de la planète. Pour faire face à ce « système de la dette », le CADTM a développé un nouveau volet d’action et de réflexion sur la question des dettes privées illégitimes, telles que celles liées au micro-crédit dont les femmes sont les premières victimes, les dettes paysannes, les dettes étudiantes, les familles expulsées par les banques, etc. Le concept de « dette illégitime » peut englober à la fois la dette publique et la dette privée au Sud et au Nord. Enfin, le terme d’abolition est plus fort que celui d’annulation dans le sens où il exige la disparition même du concept de dette illégitime. (CADTM International 2016).
Traduction par Emmanuelle Carton
[1] Sorg, Christoph, Social Movements and the Politics of Debt : Transnational Resistance against Debt on Three Continents. Amsterdam : Amsterdam University Press 2022
doi : 10.5117/9789463720854_ch01 La publication de ce travail a été soutenue par le Fonds de publication en libre accès de la Humboldt-Universität zu Berlin. Christoph Sorg. Institut des sciences sociales.
[2] Cette charte a été modifiée en 2021 par l’Assemblée mondiale du CADTM, voir la version actualisée de la charte politique du CADTM https://www.cadtm.org/Charte-politique-du-reseau-CADTM-International , CADTM, 26 Novembre 2021.
[3] Éric Toussaint, 3845 , 2008
[4] Millet, D., & Toussaint, E. (2010). La crise, quelles crises ? [Grande bibliothèque
d’Aden]. Éditions Aden. https://www.cadtm.org/La-crise-quelles-crises + https://www.monde-diplomatique.fr/2010/05/CALAME/19092
est chercheur en sciences sociales à l’université Humboldt de Berlin. Dans le cadre de son doctorat, il a étudié la résistance à la dette, en combinant l’économie politique et la recherche sur les mouvements sociaux. Depuis, il se concentre moins sur les répertoires d’action des mouvements sociaux que sur leurs utopies. Il étudie en particulier les théories du capitalisme et du post-capitalisme et le nouveau débat sur la planification économique à l’heure de la numérisation et de la crise climatique. Dans le cadre d’un projet DFG sur ce thème, il théorise les possibilités de planification économique dans les économies de marché.
https://christophsorg.wordpress.com/about/
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