Carte blanche
28 novembre 2014 par Renaud Vivien
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Les pays les plus touchés par les ravages du virus Ebola font face à des crises sanitaires majeures. Celles-ci sont la conséquence directe des mesures structurelles orchestrées depuis plus de trente ans par le FMI et la Banque mondiale. L’annulation des dettes des pays du Sud doit être une priorité.
Le club des pays les plus riches du monde, le G20 G20 Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions. , s’est engagé à « éradiquer l’épidémie d’Ebola et à couvrir ses conséquences économiques et humanitaires à moyen terme ». Plus de 5.600 personnes en sont déjà mortes en Afrique de l’Ouest.
Comment les gouvernements du G20 comptent-ils « éradiquer » Ebola ? Quelle somme vont-ils réellement débloquer ? Rien de concret n’est indiqué sauf qu’ils « saluent l’initiative du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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de débloquer 300 millions de dollars supplémentaires pour endiguer Ebola (…) à travers des prêts préférentiels, réductions de dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et des dons » pour les trois pays les plus touchés : la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone.
Ce plan du FMI vise en réalité moins les intérêts des populations que ceux des créanciers et ce, pour trois raisons.
Premièrement, l’« aide » promise de 300 millions de dollars ne restera pas longtemps dans ces pays puisqu’une partie retournera directement dans la poche des créanciers via le remboursement du service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. . Rien que pour 2014 et 2015, ces trois pays doivent rembourser 230 millions de dollars à leurs bailleurs de fonds (dont les pays du G20 et le FMI). Autrement dit, les créanciers donnent d’une main ce qu’ils reprennent de l’autre.
Deuxièmement, comme l’indique le communiqué du G20, l’« aide » du FMI est composée en partie de prêts qui vont automatiquement alourdir le poids de la dette de ces trois pays. Les dépenses sociales continueront à être sacrifiées vu que la priorité des gouvernements, au Sud comme au Nord, est le remboursement de la dette, quel que soit son caractère illégitime.
Ce n’est certainement pas l’allégement de la dette annoncé par le FMI qui va remettre en cause cette logique. En effet, les réductions de dettes, lorsqu’elles sont décidées par les créanciers, visent à éviter les défauts de paiement. En effaçant une partie de cette dette, leur objectif est de la rendre « soutenable » donc remboursable même si cette dette est odieuse, illégale ou illégitime.
De plus, cette définition de la « soutenabilité » repose sur des critères économiques qui ne prennent absolument pas en compte les besoins fondamentaux des populations. Pour preuve : les Philippines auraient une dette « soutenable » selon l’appréciation rendue par le FMI et la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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après le typhon de novembre 2013 qui a pourtant entraîné 10.000 décès et 4 millions de personnes déplacées. Malgré ce désastre humanitaire, le pays est donc sommé de rembourser sa dette car celle-ci resterait « soutenable ». Résultat : depuis ce typhon, les Philippines ont reçu 850 millions de dollars d’« aide » (essentiellement des prêts) alors que dans le même temps le pays a payé 6 milliards de dollars à ses créanciers. Le service annuel de cette dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
largement héritée de la dictature de Marcos est plus élevé que les budgets de la Santé et de l’Education.
Troisièmement, les pays touchés par Ebola et les autres catastrophes humanitaires comme celles que connaissent les Philippines ou encore Haïti (suite au séisme de 2010) restent soumis aux politiques d’ajustement structurel (appelées dans les pays du Nord « mesures d’austérité ou de rigueur ») dictées par leurs créanciers. À titre d’exemple, le dernier rapport du FMI sur la Guinée publié le 21 novembre souligne que « les réformes structurelles demeurent une priorité du gouvernement et une condition sine qua non pour une plus forte croissance, la réduction de la pauvreté, et pour que la Guinée bénéficie de ses ressources naturelles (…) Les mesures structurelles clés visent à renforcer la gestion des finances publiques, reformer la fonction publique, améliorer le climat d’affaire. »
Ces mesures structurelles orchestrées depuis plus de trente ans par le FMI et la Banque mondiale sont pourtant largement responsables de la crise humanitaire dans ces pays.
Tirer des leçons des échecs passés
Dans les pays touchés par Ebola, la dégradation des systèmes de santé est la conséquence directe des plans d’ajustement structurel qui se sont traduits par des coupes drastiques dans les budgets sociaux, le gel des salaires et les licenciements dans la fonction publique dans le but de rembourser la dette. Si les services de santé et d’assainissement (infrastructures d’égouts, de traitement des eaux, etc.) de ces pays n’avaient pas été entièrement démantelés par ces politiques, le risque épidémique aurait été bien plus faible ou plus facilement contrôlable.
Visiblement, les gouvernements des pays les puis puissants qui se réunissent en club (G20, Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
) ou au sein des institutions qu’ils dominent (FMI, Banque mondiale) ne veulent pas tirer les leçons des échecs passés et prendre leurs responsabilités en stoppant ces politiques anti-sociales et en annulant totalement les dettes des pays du Sud.
Ces dettes ont déjà été intégralement remboursées. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les pays dits « en développement » sont les véritables créanciers puisque le transfert net
Transfert net
On appellera transfert net sur la dette la différence entre les nouveaux prêts contractés par un pays ou une région et son service de la dette (remboursements annuels au titre de la dette - intérêts plus principal).
Le transfert financier net est positif quand le pays ou le continent concerné reçoit plus (en prêts) que ce qu’il rembourse. Il est négatif si les sommes remboursées sont supérieures aux sommes prêtées au pays ou au continent concerné.
sur leur dette extérieure est largement négatif. Cela signifie qu’ils ont payé à leurs créanciers plus qu’ils n’ont reçu. Selon le dernier rapport du CADTM « Les chiffres de la dette », ils ont payé à leurs créanciers 251 milliards de dollars de trop sur la période 1985-2012 !
Annuler leur dette ne relèverait donc pas de la générosité mais constituerait un acte de justice qui ne pénaliserait pas les populations des pays du Nord. Concernant la Belgique, le montant total de ses créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). envers les pays du Sud ne s’élève qu’à 2 milliards d’euros. C’est cinq fois moins que ce qui a été injecté dans Dexia depuis 2008.
L’État pourrait compenser cette annulation en réduisant radicalement certaines de ses dépenses illégitimes, à commencer par le paiement du service de la dette qui représente 20 % du budget annuel de l’État fédéral. La Belgique pourrait également conditionner sa contribution financière apportée à la Banque mondiale au respect des droits humains. La Banque mondiale est, en effet, la principale bénéficiaire de l’« aide au développement » alors même que le représentant de la Belgique à la Banque mondiale ne rend aucun compte devant le Parlement, tout comme le représentant au FMI.
Carte blanche publiée le 28 novebre 2014 sur le site du Soir http://jn.lesoir.be/?_ga=1.257424713.393674693.1417190950#/article/190671
membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.
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