Gus Massiah explore ici les liens entre la solidarité internationale et l’écologie, à travers l’histoire de la convergence entre les mouvements écologiques et les mouvements de solidarité internationale, qu’il relie aux enjeux de la Conférence de Copenhague sur le changement climatique.
Le terme d’écologie a subi en un peu plus d’un siècle un glissement fondamental qui l’a conduit de la sphère biologique à la sphère politique [1]. Il apparaissait en 1866 [2] comme une manière de définir l’étude des milieux pour les organismes vivants. Il est aujourd’hui un outil de la pensée politique qui voudrait réintégrer la nature, son évolution et les usages que nous en faisons, dans la façon d’organiser les sociétés. La dimension écologique s’est affirmée comme un nouveau paradigme de la transformation des sociétés. Elle est confrontée à d’autres dimensions : la justice sociale ; les droits et les libertés ; la géopolitique et la solidarité internationale. L’articulation entre ces dimensions caractérise l’écologie et qualifie les réponses qui sont proposées en son nom. Nous explorerons ici le rapport entre l’écologie et la solidarité internationale. Pour le faire, nous ne partirons pas des catastrophes écologiques et des solidarités événementielles qui se sont créées à leur suite. Nous nous intéresserons plutôt à l’histoire de la convergence entre les mouvements écologiques et les mouvements de solidarité internationale qui pose cette question sur la durée. Sur ce point, les positions que les mouvements sociaux et citoyens prennent vis-à-vis de la Conférence de Copenhague sur le changement climatique en éclairent les enjeux. Afin de comprendre comment se sont formées les questions en débat, il faut voir qu’en 1992, déjà, la convergence entre les écologistes et les associations de solidarité internationale avait marqué la Conférence de Rio sur Environnement et Développement. A partir de cette évolution, nous pourrons revenir sur les questions posées aux mouvements sociaux et citoyens dans la période actuelle, par rapport à la crise de la phase néolibérale de la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
capitaliste. Les enjeux de la Conférence de Copenhague sur le changement climatique
La Conférence de Copenhague sur le changement climatique, en décembre 2009, aura une importance considérable. En effet, même si l’impératif écologique ne se limite pas à la question du changement climatique, les négociations qu’elle va susciter vont déterminer l’évolution de l’ensemble des enjeux écologiques. D’une part, la prise en compte du changement climatique a des conséquences sur toutes les autres questions environnementales. D’autre part, le changement climatique est porteur de la nécessaire refonte en profondeur du modèle de transformation sociale. Enfin, le changement climatique accentue la prise de conscience de l’urgence et ne permet pas des atermoiements sans fin sur les nécessaires réformes indispensables.
L’enjeu est mondial ; la négociation est internationale. Elle est d’abord entre les Etats. La dimension géopolitique est dominante dans le cours des négociations. La négociation oppose deux groupes de pays : le G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. qui regroupe les pays du Nord et le G77 G77 Le G77 est une émanation du Groupe des pays en voie de développement qui se sont réunis pour préparer la première Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) à Genève en 1964. Le Groupe offre un forum aux PED pour discuter des problèmes économiques et monétaires internationaux. En 2021, le G77 regroupait plus de 130 pays. qui représente les positions des pays du Sud. Dans ce duel, un petit groupe de pays émergents Pays émergents Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ». occupe une position pivot : essentiellement la Chine, l’Inde et le Brésil. Ce petit groupe est associé aux pays du G8 par le G20 G20 Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions. qui se présente comme un nouveau directoire de la mondialisation. Mais il est aussi en phase avec le G77 dont certains sont même formellement partie prenante.
Trois questions sont en débat [3] . Quel sera le niveau de la réduction des gaz à effet de serre et comment sera-t-il réparti ? Comment sera évalué le financement correspondant à cette réduction et comment sera réparti ce financement ? Quelles seront les modalités retenues pour le financement et quelles institutions seront responsables de la mise en œuvre ? Ces questions continueront à marquer l’espace du débat dans les années à venir.
Un accord partiel et partial favorisant les pays du Nord
Le champ de la négociation a été délimité dans la Conférence de Bangkok préparatoire à celle de Copenhague [4].Cette conférence a réuni en octobre 2009 les délégations officielles des Etats et a été l’occasion d’un forum des associations et des mouvements de la société civile. Le niveau de réduction sera loin des 40% préconisés pour 2020 par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), mais des efforts non négligeables pourraient être annoncés. Il ne s’agirait pas d’une réduction répartie dans un accord commun, mais d’une déclaration en commun des réductions annoncées par chaque pays. Ce qui permettrait de différencier ce nouvel accord du Protocole de Kyoto que les Etats-Unis n’envisagent pas de signer. La réduction serait financée à partir des niveaux d’émission. Les pays du Nord refuseraient toujours de lier le financement à leur responsabilité passée dans la détérioration des conditions climatiques. Les pays émergents pourraient accepter de contribuer plus fortement, à la mesure de leurs émissions en hausse. Près de la moitié du financement serait assurée par la taxation du carbone. Le G77 refuse, comme le propose le G8, de confier ce mécanisme à la Banque Mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et au FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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. Une institution des Nations Unies pourrait être créée pour le mettre en œuvre ; son instance de direction politique serait spécifique, mais elle pourrait prendre comme agents d’exécution les institutions de Bretton Woods.
La Conférence de Copenhague se dirige donc vers un accord partiel qui n’est pas à la hauteur des enjeux en matière de réduction et qui, même avec quelques concessions aux pays du Sud, maintient la suprématie des pays du Nord dans la défense de leurs intérêts et dans le refus de reconnaître leurs responsabilités.
La mobilisation des mouvements sociaux et citoyens
Les mouvements sociaux et citoyens qui se sont organisés pour peser sur les négociations regroupent des mouvements des sociétés du Nord et du Sud, et notamment, des mouvements écologistes, des organisations de producteurs, des organisations syndicales de salariés et des organisations paysannes, des associations de solidarité internationale. Ils ont affirmé, à partir de la diversité de leurs orientations et de leurs appréciations, des positions en désaccord avec le compromis qui s’ébauche.
Ils s’inquiètent, tout d’abord, de ce que l’urgence de la situation passe après les intérêts des grandes puissances et que les réductions ne soient pas à la hauteur des nécessités. Ils insistent sur le fait que le seuil de deux degrés de baisse de température doit être considéré comme un impératif. Ils considèrent que les réductions doivent être réparties de manière impérative selon un même critère. Ils rappellent que le financement doit prendre en compte la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
écologique contractée par les pays industrialisés. Ils s’inquiètent de la réalité des financements pour la transformation sociale des pays pauvres, d’autant que plusieurs pays ont déjà affirmé qu’il n’y aurait pas d’additivité par rapport à l’Aide Publique au Développement. Ils contestent les modalités envisagées de la taxation carbone. Ils s’alarment des conséquences dramatiques pour les populations fragiles, et les régions pauvres, en termes de pauvreté, d’inégalités et de discriminations. Ils attirent l’attention sur les risques des migrations environnementales et sur le nécessaire respect des droits des migrants dans tous les pays.
Les enjeux de la Conférence de Copenhague ne se limitent pas à la Conférence des Etats. Elle concerne aussi les mouvements sociaux et citoyens qui doivent définir leurs objectifs et leurs stratégies pour la suite. De ce point de vue, nous proposons de mettre l’accent sur la convergence entre les mouvements écologistes et les mouvements de solidarité internationale qui constitue un des points d’appui essentiels de l’intervention des sociétés civiles dans ce processus. Pour cela, comme nous l’avons dit plus haut, il nous faut revenir sur l’histoire de cette convergence à partir de la Conférence de Rio en 1992. Nous développerons alors une analyse de la situation actuelle et des débats qui s’ouvrent sur les issues à la crise globale. Les suites de la Conférence de Rio, Environnement et Développement, en 1992
Pour explorer la relation entre écologie et solidarité internationale, nous partirons de la convergence entre le mouvement écologiste et le mouvement de solidarité internationale. Quand et comment cette convergence s’est-elle tissée ? De façon visible, elle s’affirme dans la préparation, le déroulement et les suites de la Conférence des Nations Unies, Environnement et Développement, à Rio en 1992. A partir de Rio, plusieurs avancées sont engagées ; elles sont toujours d’actualité. Nous retiendrons : la convergence des mouvements sociaux et citoyens et la culture de la diversité ; l’émergence d’un nouvel espace des négociations internationales en relation avec une opinion publique mondiale ; la floraison des propositions liées à l’accès aux droits pour tous et au droit international ainsi que le rôle de l’expertise citoyenne ; le débat fondamental sur la science, la nature et le développement.
Une pensée de l’écologie liée aux contradictions Nord-Sud.
Mais cette convergence n’a pas commencé en 1992 ; elle existe depuis longtemps et a marqué les débuts du mouvement écologiste. La conscience du caractère global de l’écologie, et sa proposition de « penser global et agir local », se sont traduites par une sensibilité au tiers-monde et une écoute du mouvement de solidarité internationale. Cette convergence a résisté à l’offensive idéologique du Club de Rome affirmant que la population du Sud, la « bombe P », était responsable de la dégradation de la planète. Elle a résisté aussi à la crise de la décolonisation liée à l’évolution d’une partie des régimes politiques issus du mouvement des libérations nationales qui ont combiné l’étatisme, le productivisme et la remise en cause des libertés. En France, en 1974, le premier candidat écologiste à une élection présidentielle, René Dumont, est emblématique de la liaison entre l’écologie émergente et l’impératif de la solidarité internationale.
Dans la préparation de Rio s’est affirmée la convergence des mouvements écologistes et de solidarité internationale. L’impératif écologique s’affirmait comme un enjeu global ; il se devait de prendre en compte la contradiction Nord –Sud. Cette convergence s’est élargie, en quatre ans, au fil des Conférences internationales des Nations Unies. Elle a impliqué plus directement les associations de défense des droits fondamentaux, à la Conférence de Vienne, en 1993. Elle a impliqué les associations citoyennes et familiales à la Conférence Internationale sur la Population et le Développement, au Caire, en 1994. Elle a impliqué plus directement les mouvements de solidarité, les organisations syndicales de salariés et les organisations paysannes, au Sommet Social, à Copenhague, en 1995. Elle a impliqué plus directement les associations de femmes à la Conférence de Pékin, en 1995. A la Conférence sur la Ville à Istanbul, en 1996, elle a impliqué les associations d’habitants et les mouvements sociaux urbains.
Un nouvel espace public sur les questions mondiales.
Cette convergence est le fondement du mouvement altermondialiste et sera visible à partir de 1999 lors des manifestations de Seattle contre l’OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
. Elle formera la base des Forums sociaux mondiaux, qui réunissent des acteurs de la société civile mondiale, et de leurs déclinaisons régionales, thématiques, nationales et locales. Dans cette nouvelle configuration, sous différentes appellations, qui vont des associations aux sociétés civiles, émerge une nouvelle dynamique, celle des mouvements sociaux et citoyens. Dans ce mouvement, une nouvelle culture politique se fait jour à partir du refus de la fatalité et de la reconnaissance de la diversité. Cette diversité repose sur la complémentarité de toutes les formes de lutte porteuses d’émancipation, et sur la légitimité de toutes les luttes contre les discriminations et les oppressions. Elle prolonge les leçons des luttes des femmes dans le refus de la subordination de certaines luttes à la résolution des contradictions considérées comme principales.
A partir de Rio, les mouvements sociaux et citoyens vont investir un nouvel espace de négociation internationale qui se met en place. Cet espace est ouvert par une partie du système des Nations Unies qui ont été marginalisées par la création du G7 G7 Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing. comme directoire mondial, appuyé sur les institutions de Bretton Woods, le FMI, la Banque Mondiale et l’OMC. Cette marginalisation faisait partie de la reprise en main du système mondial par les pays qui se nomment eux-mêmes « les démocraties industrielles », mais qui ont du mal à cacher qu’il s’agit des pays dominants le monde, des plus riches, des plus armés et de surcroît, tous anciens colonisateurs. Les Conférences mondiales redonnent la parole à tous les pays et ouvrent la discussion à d’autres acteurs internationaux. Les mouvements sociaux et citoyens débordent vite les ONG internationales d’abord mises en avant. Les écologistes renforcent leurs alliances avec les mouvements de consommateurs. D’autres acteurs sont associés à cette dynamique. Les collectivités locales et territoriales s’affirment sur le plan international à partir d’Istanbul en 1996. Les acteurs économiques se différencient. Les mouvements de l’économie sociale et solidaire s’inscrivent plus fortement dans les mouvements associatifs.
Le modèle de la Conférence internationale qui se met en place comprend la négociation officielle entre les délégations officielles des Etats. Dans de nombreux pays, les délégations consultent les acteurs de leur société et certains des experts des associations participent aux délégations. La conférence parallèle des sociétés civiles, ouvertes à tous les vents permet de confronter les propositions et de définir des points de vue communs. Enfin, les contre-conférences, appuyées par des manifestations diverses font connaître leurs critiques et leurs interpellations qui sont parfois relayées par les médias. C’est à travers cette configuration que les mouvements sociaux et citoyens s’adressent à l’opinion publique mondiale pour peser sur les institutions internationales et sur l’opinion publique internationale pour s’appuyer sur les opinions publiques nationales par rapport à leurs Etats. Elles cherchent aussi à favoriser la construction d’une opinion publique mondiale dans laquelle les opinions des pays du Sud s’affirmerait et se dégagerait de celle des pays du Nord et de leurs relais.
Une pensée de l’écologie fondée sur l’accès aux droits pour tous.
Cet évolution renouvelle et enrichit l’espace des propositions. Elle permet de s’opposer au « There is no alternative » de Madame Thatcher et à l’évidence autoproclamée des solutions néolibérales. Les idées qui cheminent sont nourries d’autres approches qui se retrouvent au croisement de certaines instances des Nations Unies, pour qui la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme reste une référence majeure, et des mouvements sociaux et citoyens. Dans certains cas, des avancées sont possibles, comme lors de l’élaboration et de l’adoption du Protocole additionnel des Droits économiques sociaux et culturels, ainsi que les accords internationaux sur l’environnement et notamment le Protocole de Kyoto. Dans beaucoup de cas, la bataille est plus incertaine et les tentatives de récupération par le néolibéralisme sont dominantes. Le cœur de la bataille reste la conception du droit international toujours soumis à la volonté des pays dominants de le subordonner au dogme du libre échange et au droit des affaires. Sans oublier la distance considérable qui sépare les déclarations des mises en œuvre et le redoutable effet dévastateur du « deux poids, deux mesures » qui mine la confiance des peuples dans le droit international.
L’intervention directe des mouvements écologistes et de solidarité internationale au niveau du droit international va prendre toute son ampleur depuis 1984, avec la catastrophe de Bhopal. Après la plus importante catastrophe industrielle jamais survenue, la multinationale Union Carbide propriétaire de l’usine chimique qui a explosé se réfugie derrière l’indépendance juridique de sa filiale pour refuser sa responsabilité et toute indemnisation. Devant ce cynisme des pouvoirs économiques et politiques qui organisent la mondialisation, des associations indiennes et internationales organisent des campagnes de sensibilisation et de dénonciation. En 1992, le Tribunal Permanent des Peuples organise à Bhopal une session pour pallier au scandaleux vide juridique international. Il organise une série de sessions sur les questions d’environnement, notamment sur l’Amazonie brésilienne, à Paris en 1992, et sur les multinationales, notamment à Paris en 1999, sur la multinationale française Elf, devenue Total, et avec six sessions en Colombie de 2006 à 2008. En 2002 à Johannesburg, au Sommet mondial sur le Développement durable, Greenpeace a publié son « Corporate Crimes Report » contenant les « Principes de Bhopal » pour exiger un accord international sur la responsabilité civile des entreprises.
Dans cette évolution, les mouvements sociaux et citoyens mettent en avant une expertise citoyenne qui se dégage de l’expertise dominante des grands Etats et de celle des forces économiques dominantes. Cette expertise citoyenne s’affirme à travers la convergence des mouvements qui prend des formes actives dans les plateformes de mobilisation et les campagnes mondiales. A Rio, il est apparu clairement que l’expertise citoyenne n’était pas une spécialité des associations du Nord. Sur les questions écologiques, les associations du Sud, notamment indiennes et brésiliennes ont apporté les références principales qui se sont imposées dans l’espace de la conférence et qui continuent à alimenter le débat mondial [5]. On a retrouvé ce changement qualitatif dans plusieurs autres questions, comme sur la dette sous ses différentes déclinaisons, financières, sociales et écologiques.
C’est aussi à Rio que s’est noué le débat fondamental sur l’évolution de la pensée scientifique. Au début de la Conférence, des scientifiques de renom ont publié un « Appel de Heidelberg », dans lequel ils déclaraient « nous nous inquiétons … de l’émergence d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique et industriel et nuit au développement économique et social… dans la mesure où l’humanité a toujours progressé en mettant la nature à son service et non l’inverse ». De nombreux scientifiques, liés aux mouvements sociaux et citoyens, ont réagi avec vigueur, notamment dans « l’Appel à la raison pour une solidarité planétaire » lancé par Global Chance, contre cette conception datée du progrès conçu comme l’alliance entre la science et l’industrie, et portée par les « comportements d’impérialisme scientifique qui prétendent sauver l’humanité par les seules science et industrie ». [6]
La conférence de Rio a donc rendu visible une convergence en gestation depuis quelques décennies. Elle a permis de dégager une orientation commune qui lierait l’écologie aux droits et à l’émancipation d’une pensée néolibérale de l’écosystème. La crise globale actuelle en révèle l’urgence et la nécessité. Quelle place tient la crise écologique au sein de la crise globale ? C’est ce que nous voulons discuter à présent avant d’engager une réflexion sur la manière dont les débats écologiques s’inscrivent dans les issues stratégiques à la crise globale.
L’écologie dans la crise globale
La crise globale est une crise structurelle de la mondialisation capitaliste dans sa phase néolibérale. Elle se déploie dans quatre dimensions : économique et sociale ; écologique ; géopolitique ; politique et idéologique. La séquence actuelle, constituée par une cascade de crises sociale, financière, monétaire, immobilière, énergétique, alimentaire, économique en est une déclinaison en situation. Plusieurs questions déterminent l’évolution de la situation à l’échelle mondiale et marquent les différents niveaux de la transformation sociale (mondiale, par grandes régions, nationale et locale) [7]. Parmi ces questions, soulignons la crise du néolibéralisme et la crise géopolitique avec la fin de l’hégémonie des Etats-Unis.
Le rôle central de la dimension écologique dans la crise globale
L’élément le plus déterminant est la crise écologique mondiale qui est devenue patente. Il s’agit autant de l’aggravation de la crise écologique que de la prise de conscience de cette dimension et des dangers pour l’écosystème planétaire. L’écologie fonctionne comme un paradigme nouveau qui introduit de nouveaux aiguillages dans la manière de penser le monde. Ainsi, chacune des dimensions de la crise doit être appréciée dans son rapport à l’écologie. L’écologie interdit d’envisager une issue à la crise économique et sociale qui reprendrait le modèle dominant de la croissance et du productivisme. L’écologie redessine les équilibres géopolitiques déjà confrontés au rééquilibrage économique introduit par les pays émergents ; elle définit les nouveaux enjeux mondiaux dans la crise climatique et l’accès aux ressources naturelles. On retrouve directement à ce niveau les questions mises à jour par la Conférence de Copenhague : comment réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Quelles conséquences sur le niveau et la nature de la croissance ? Comment répartir les réductions entre les pays ? Comment financer cette réduction ?
La réciproque est aussi vraie. La compréhension de l’écologie dans le contexte actuel ne peut être envisagée en dehors des autres dimensions de la crise. C’est ce qui caractérise la différence entre les réponses écologiques. Ainsi, la relation avec la dimension économique et sociale de la crise induit la nécessité de prendre en compte les inégalités écologiques et les inégalités sociales ; de lier écologie et social. Il faut reconnaître que la crise écologique est une crise sociale. Une transformation écologique des sociétés est inenvisageable sans une forte redistribution sociale et il est illusoire de penser que la transition pourrait être payée par les pauvres et avec leur accord. Ainsi, la relation avec la crise politique et écologique induit la nécessité de prendre en compte les insécurités croissantes, les dérives autoritaires, la remise en cause des droits fondamentaux et des droits environnementaux ; de lier écologie et libertés. Ainsi, la relation avec la crise géopolitique induit la nécessité de prendre en compte les risques de conflits et de guerres et les inégalités entre les pays ; de lier écologie et solidarité internationale.
Les premières caractérisations, et différenciations, des réponses et des politiques écologiques se définissent dans la manière de lier écologie et social, écologie et libertés, écologie et solidarité internationale.
Dans chacune des crises particulières qui marquent les déclinaisons de la crise globale, les implications de l’écologie sont considérables. Ainsi des crises financières, boursières, économiques, de l’emploi, énergétique, climatique, immobilières, etc. La liaison entre ces crises a déjà ses répercussions. L’approfondissement des inégalités et des discriminations, dans chaque société et entre les pays, atteint un niveau critique et se répercute sur l’intensification des conflits et des guerres et sur la crise des valeurs. Les institutions responsables de la régulation du système international ont perdu leur légitimité. Une des tâches des mouvements écologistes, en liaison avec les autres mouvements, et particulièrement avec le mouvement de solidarité internationale, consiste à identifier pour chacune de ces crises particulières le rôle de l’écologie dans sa genèse et son approfondissement, et d’analyser les conséquences de chacune de ces crises sur les réponses écologiques à la crise globale.
La prise de conscience de la crise climatique.
La crise climatique occupe aujourd’hui une place particulière, tant par ses conséquences et son urgence que par l’importance de la prise de conscience des enjeux. Cette prise de conscience a dépassé les instances et les milieux avisés pour gagner l’opinion publique et peser sur les gouvernements. Elle accroît la tendance de certaines associations à privilégier les actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
de lobbying, d’expertise, de plaidoyer et d’influence sur les gouvernements. Cette action ne manque pas d’intérêt et peut donner des résultats à court ou moyen terme. Mais elle a aussi ses dangers. Le lobbying et l’influence jouent dans les deux sens et peuvent renforcer, au nom du réalisme, la tendance aux compromis majeurs. La confiance dans la volonté des gouvernements à changer les choses, parfois contre leurs intérêts a des limites. Dans la durée, seule la mobilisation et la détermination des mouvements, leur capacité à lier les propositions aux résistances, peut conduire à modifier durablement les politiques.
La crise climatique n’est pas la seule dimension de la crise écologique, même si elle est aujourd’hui première. Les autres questions conservent leur importance et leur urgence. Elles ouvrent des champs de réflexions et nécessitent des décisions. Il en est ainsi de l’eau, de l’air, des sols, de l’énergie, des ressources naturelles, des matières premières, de la biodiversité, du nucléaire, des déchets, des pollutions urbaines, des risques industriels, etc. Chacune de ces questions est liée à la crise climatique, et la crise climatique modifie les réponses à y apporter. A l’inverse, les propositions spécifiques ne sont pas complètement déterminées et subordonnées aux réponses à la crise climatique. L’articulation des réponses de chaque dimension spécifique avec la crise climatique permet de compléter et d’enrichir la stratégie proposée pour en faire une réponse écologique globale.
L’écologie confrontée aux dangers et aux opportunités de la crise.
L’urgence est de faire face aux dangers de la crise. Le premier danger concerne la pauvreté. Les sorties de crise habituelle consistent à faire payer la crise aux pauvres, et d’abord aux discriminés et aux colonisés. Le deuxième danger concerne la restriction des libertés et de la démocratie. Des politiques de sortie de crise fondées sur des orientations antisociales s’appuient en général sur les mesures de répression, de criminalisation des mouvements sociaux, de pénalisation de la solidarité. Cette évolution peut aller dans certaines régions vers des régimes autoritaires et répressifs. Le troisième danger cible des pays qui seront marginalisés et ruinés. Les risques de guerre sont aussi une issue classique des grandes crises. Les formes de guerre ont changé avec la militarisation des sociétés, l’apartheid global, la guerre des forts contre les faibles, la banalisation de la torture. Chacun de ces dangers a ses conséquences sur les questions écologiques et correspond à des politiques écologistes spécifiques. Ainsi, les inégalités permettent de maintenir un niveau de consommation pour les plus riches. De même que la déstabilisation garantit aux pays riches l’accès aux ressources naturelles. La restriction des libertés peut prendre pour prétexte l’urgence écologique.
La perspective est d’approfondir les opportunités ouvertes par la crise. Elles peuvent être identifiées à partir de l’analyse des impasses de la période néolibérale, des échecs du soviétisme, des limites du keynésianisme des « trente glorieuses », de la crise de la décolonisation. Retenons six opportunités ouvertes par la crise. D’abord, la défaite idéologique du néolibéralisme favorise la montée en puissance de la régulation publique. Ensuite, la redistribution des richesses et le retour du marché intérieur redonnent une possibilité de stabilisation et de garantie des revenus et de la protection sociale, de redéploiement des services publics. De même, l’urgence écologique nécessite une mutation du mode de développement social. Dans le même sens, la crise du modèle politique de représentation renforce la nécessité de la démocratie sociale et de la démocratie participative et une nouvelle réflexion sur les pouvoirs. De plus, le rééquilibrage ente le Nord et le Sud ouvre une nouvelle phase de la décolonisation et une nouvelle géopolitique du monde. Il s’accompagne d’une nouvelle urbanisation et des migrations qui sont les nouvelles formes du peuplement de la planète. Enfin un système de régulation mondiale permettant de penser et de réguler la transformation sociale à l’échelle de la planète et ouvrant la perspective d’une citoyenneté mondiale. Le mouvement altermondialiste est porteur de ces opportunités.
Les opportunités n’offrent pas de solution toute faite ; elles ouvrent la possibilité d’avenirs différents. La dimension écologique est au cœur de ces opportunités. Elle sert à qualifier la cohérence des sorties possibles ; elle y trouve aussi son sens. Elle s’inscrit dans les horizons à venir et modifie leur perception. A court terme, il s’agit de répondre aux dangers ; l’urgence climatique oblige à penser les dangers par rapport au long terme. A moyen terme, les politiques économiques et sociales ne peuvent être réservées aux questions économiques. A long terme, la définition des alternatives trouve avec l’impératif écologique de nouvelles perspectives. Les variables écologiques, la consommation durable, le capitalisme vert, les industries vertes, l’investissement vert, l’emploi vert ne sont pas seulement des conséquences des choix politiques, ils sont aussi à la source de certains de ces choix. Pour autant, aucune de ces variables ne conduit à des orientations complètement définies, elles deviennent aussi des variables d’ajustement et de décision dans la définition des différentes issues possibles à la crise.
L’écologie dans les issues stratégiques à la crise
Les issues à la crise ne sont pas prédéterminées. Le débat sur les orientations stratégiques s’organise autour de trois pôles. Ces trois pôles que nous proposons de retenir sont celui d’un Green New-Deal, celui du mouvement syndical international et celui du mouvement altermondialiste. [8]
Nous laissons de côté les propositions du G20 surtout préoccupées par des considérations tactiques et attentistes Elles ne critiquent d’aucune manière les politiques économiques imposées, fièrement revendiquées et toujours marquées du sceau du néolibéralisme. Or, il ne fait aucun doute que les discours sur la sortie imminente de crise seront bientôt infirmés. La reprise boursière cache mal la crise économique et le chômage. Le temps des crises structurelles est long. On peut se rappeler qu’en 1929, après la crise ouverte et la Grande dépression de 1930, c’est en 1933 que le programme du New-Deal a été défini et adopté. Et qu’il a fallu attendre 1945 pour qu’il soit appliqué, après une guerre mondiale.
Le Green New-Deal, une refondation du système international.
Le pôle d’un Green New Deal
New Deal
Nom donné aux mesures prises aux États-Unis par Roosevelt à partir de son élection en 1933 à la présidence pour faire face à la crise économique déclenchée en 1929.
Rappelons que dans le cadre du New Deal aux États-Unis et des politiques keynésiennes qui ont été étendues à l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale sous la pression d’importantes mobilisations populaires, les droits sociaux ont été nettement améliorés, une protection sociale importante a été mise en place, les banques d’affaires ont été séparées des banques de dépôts, le taux d’imposition des revenus les plus élevés a atteint 80 % aux États-Unis. On pourrait ajouter que les inégalités dans la répartition des revenus et du patrimoine ont été réduites. À cette époque, le Grand Capital avait été contraint de faire des concessions aux classes populaires qui s’étaient fortement mobilisées. Le gouvernement du président Roosevelt, qui voulait réformer le capitalisme pour le sauver et le consolider, avait dû affronter la Cour suprême qui avait essayé de faire abroger plusieurs de ses décisions. Roosevelt, pressé par la radicalisation à gauche des classes populaires, avait réussi à contrecarrer les décisions de la Cour suprême et avait imposé des mesures fortes, y compris en permettant aux syndicats de se renforcer dans les usines et aux travailleurs de recourir aux grèves pour obtenir des concessions des patrons.
est organisé autour des instances les plus ouvertes des Nations unies. Les recommandations de la Commission Stiglitz s’y inscrivent (« Recommandations de la Commission d’experts au président de l’Assemblée générale des Nations unies sur la réforme du système monétaire et financier international » -19 mars 2009- ) et sont confortées par deux rapports du système des Nations unies : celui de l’OIT
OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
qui propose un plan mondial pour l’emploi (« Tendances mondiales de l’emploi » (janvier 2009) ) et celui de la CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
qui propose une réforme du commerce mondial et des politiques de développement (« The global economic crisis : Systemic Failures and Multilateral Remedies » -19 mars 2009- ).
Ces trois documents sont porteurs d’un programme réformateur de l’économie mondiale. Leur approche, qualifiée de Green New Deal, préconise une régulation publique qui s’inspire de l’esprit originel de Bretton Woods et qui reprend à son compte quelques-uns des paradigmes keynésiens adaptés à une économie ouverte plutôt qu’à une régulation nationale, et à la prise de conscience des limites écologiques. Le rapport de l’OIT met l’accent sur la lutte contre le chômage, dont il prévoit une explosion. Il préconise l’extension des systèmes d’assurance et d’indemnisation des chômeurs, la promotion du travail décent pour lutter contre la précarité, des investissements publics dans les infrastructures et le logement ainsi que dans les emplois verts (voir son rapport « Emplois verts : Pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone » -septembre 2008 ).
Le mouvement syndical international, la situation des producteurs salariés et paysans.
Le mouvement syndical insiste sur la nécessité d’en finir avec le modèle néolibéral. Il considère qu’une réponse radicale par les gouvernements est nécessaire. Ses recommandations sont énoncées dans la « Déclaration syndicale internationale pour le Sommet de Londres » (26 mars 2009) , laquelle complète une réflexion engagée depuis plusieurs mois par le TUAC sur la réglementation financière (voir notamment « Retour à la réglementation suite à la crise financière mondiale. Document d’orientation » -novembre 2008- ).
Le mouvement syndical inscrit ses revendications de court et moyen terme dans une perspective explicite de développement durable. Il s’agit de travailler non seulement à enrayer la crise au plus vite, mais aussi à organiser une économie mondiale « verdie », plus juste et plus soutenable pour les générations futures. Il préconise un plan international de relance et de croissance durable coordonné, qui recoupe, en les précisant, une partie des propositions du plan de l’OIT et articule très court et moyen termes : investissements massifs pour l’emploi dans le développement d’infrastructures stimulant la croissance de la demande et la productivité de moyen terme ainsi que dans le soutien aux bas revenus, politiques actives du marché du travail, développement des filets de sécurité sociale, investissement dans une « économie verte » visant une croissance à faible émission de carbone, développement de l’accès aux ressources et renforcement des marges de manœuvre politiques permettant aux économies émergentes et en développement de poursuivre des stratégies anti-cycliques.
Le mouvement paysan inscrit aussi ses revendications dans le court et moyen terme. A titre d’illustration, dans sa « Déclaration de Maputo » [9], le mouvement paysan international Via Campesina affirme la convergence de plusieurs crises : alimentaire, climatique, énergétique et financière, qui trouvent leurs origine commune dans la dérégulation économique. Il prône la souveraineté alimentaire comme l’une des réponses essentielles à ces quatre crises. Basée notamment sur la promotion de circuits locaux de production et de consommation (qui permet de lutter contre l’émission des gaz à effets de serre générée par le transport des aliments sur grande distance et l’agriculture industrialisée), et la lutte pour la terre, la souveraineté alimentaire se fonde sur « le changement de modèle productif vers une production agro-écologique et durable, sans pesticides et sans OGM
OGM
Organisme génétiquement modifié
Organisme vivant (végétal ou animal) sur lequel on a procédé à une manipulation génétique afin de modifier ses qualités, en général afin de le rendre résistant à un herbicide ou un pesticide. En 2000, les OGM couvraient plus de 40 millions d’hectares, concernant pour les trois-quarts le soja et le maïs. Les principaux pays producteurs étaient les USA, l’Argentine et le Canada. Les plantes génétiquement modifiées sont en général produites intensivement pour l’alimentation du bétail des pays riches. Leur existence pose trois problèmes.
Problème sanitaire. Outre la présence de nouveaux gènes dont les effets ne sont pas toujours connus, la résistance à un herbicide implique que le producteur va multiplier son utilisation. Les produits OGM (notamment le soja américain) se retrouvent gorgés d’herbicide dont dont on ignore les effets sur la santé humaine. De plus, pour incorporer le gène nouveau, on l’associe à un gène de résistance à un antibiotique, on bombarde des cellules saines et on cultive le tout dans une solution en présence de cet antibiotique pour ne conserver que les cellules effectivement modifiées.
Problème juridique. Les OGM sont développés à l’initiative des seules transnationales de l’agrochimie comme Monsanto, pour toucher les royalties sur les brevets associés. Elles procèdent par coups de boutoir pour enfoncer une législation lacunaire devant ces objets nouveaux. Les agriculteurs deviennent alors dépendants de ces firmes. Les États se défendent comme ils peuvent, bien souvent complices, et ils sont fort démunis quand on découvre une présence malencontreuse d’OGM dans des semences que l’on croyait saines : destruction de colza transgénique dans le nord de la France en mai 2000 (Advanta Seeds), non destruction de maïs transgénique sur 2600 ha en Lot et Garonne en juin 2000 (Golden Harvest), retrait de la distribution de galettes de maïs Taco Bell aux USA en octobre 2000 (Aventis). En outre, lors du vote par le parlement européen de la recommandation du 12/4/2000, l’amendement définissant la responsabilité des producteurs a été rejeté.
Problème alimentaire. Les OGM sont inutiles au Nord où il y a surproduction et où il faudrait bien mieux promouvoir une agriculture paysanne et saine, inutiles au Sud qui ne pourra pas se payer ces semences chères et les pesticides qui vont avec, ou alors cela déséquilibrera toute la production traditionnelle. Il est clair selon la FAO que la faim dans le monde ne résulte pas d’une production insuffisante.
et fondée sur les connaissances paysannes et indigènes. Comme principe général, la souveraineté alimentaire se construit à partir de nos expériences concrètes au plan local, c’est-à-dire du local au national ». Ces revendications paysannes réinterrogent utilement le lien entre les différentes crises actuelles, entre agriculture et industrie, salariat industriel et petites producteurs, ancrage d’alternatives locales et exigences mondiales. On retrouve là un point de la réflexion du syndicalisme international par rapport aux enjeux climatiques et écologiques. Les positions du mouvement syndical de salariés et des mouvements paysans ouvrent les perspectives d’une alliance fondamentale, celle des producteurs.
Le pôle altermondialiste, des pistes alternatives au système dominant.
Il regroupe ceux qui considèrent que la régulation n’est pas une réponse suffisante à la crise. Il est formé par ceux qui estiment qu’une réponse radicale à la crise nécessite une rupture avec le système dominant, le capitalisme, et qui inscrivent leur action dans la durée, ce qui influe sur les actions à court terme à mener d’urgence. Comme les deux autres pôles du débat, il ne s’agit pas d’un bloc homogène mais d’une situation dans le débat stratégique qui recouvre des positions et des appréciations différentes sur les opportunités et sur les alliances.
Il est porté par les mouvements sociaux et citoyens, associations, syndicats et réseaux dont plus de 300 ont signé au Forum Social Mondial des propositions que l’on trouvera dans la Déclaration de Bélem du 1er février 2009 « Pour un nouveau système économique et social. Mettons la finance à sa place ! » , déclaration que plusieurs ATTAC du monde ont approfondie dans le « Document de référence. Pour un nouveau modèle économique et social. Mettons la finance à sa place » (26 mars 2009) . Il est aussi porté par plusieurs mouvements qui ont rédigé, également à Belem, le 1er février 2009, des déclarations sur plusieurs questions, notamment la déclaration de l’Assemblée des mouvements sociaux, la déclaration des peuples indigènes, la déclaration des femmes, la déclaration pour les droits des migrants .
Les propositions discutées à Bélem esquissent des alternatives qui doivent être avancées dès maintenant. Celles de la première déclaration concernent le rôle prédominant à attribuer aux Nations unies dans la réglementation du système international, la socialisation du système bancaire, le contrôle strict des mouvements de capitaux, l’évolution des formes de propriété, la nécessité de lier les revenus au travail. Elles rejoignent la commission Stiglitz et le pôle syndical international sur la création de monnaie de réserve régionale. Mais elles dessinent une perspective de démocratisation radicale de l’économie. Elles restent pour autant évasives sur les formes de l’implication citoyenne et civile dans la régulation et sur les implications radicales d’une prise en compte des contraintes écologiques. Mais elles se prolongent dans les discussions actuelles qui explorent une démarche radicalement alternative, celle de « la prospérité sans la croissance » (Sustainable Development Commission UK, « Prosperity without growth ? The transition to a sustainable economy » -30 mars 2009- ). Le caractère institutionnel de cette dernière réflexion, très avancée dans la mise en discussion du rapport entre croissance, développement et contraintes écologiques, en renforce considérablement la légitimité, dans la mesure où elle démontre la progression des propositions défendues par les sociétés civiles et les mouvements sociaux, écologistes et citoyens. Elle ouvre la réflexion sur le concept de prospérité, met en cause le consumérisme et insiste sur la nécessaire prise en compte des limites écologiques en amont des choix de politiques économiques.
La Conférence de Copenhague soulève des questions déterminantes. Au-delà, l’enjeu de l’issue de la crise, pour le 21e siècle, c’est la définition d’un nouveau projet d’émancipation. Après le projet national et la souveraineté populaire des Lumières, après le projet de libération sociale du communisme, il faut définir un projet qui associe la libération sociale et la question écologique, à une pensée des libertés et à l’impératif de la paix. Le mouvement altermondialiste se présente comme un prolongement et un renouvellement des trois mouvements historiques précédents : le mouvement de la décolonisation ; le mouvement des luttes ouvrières et sociales ; le mouvement des luttes pour la démocratie et les libertés à partir des années 1960-70. La prise en charge du paradigme écologique introduit là une rupture par rapport aux séquences précédentes ; il contraint à innover. Il ne s’agit pas de remplacer un modèle unique par un autre modèle unique. Il s’agit de changer les comportements individuels et collectifs. La solidarité, dans ses différentes conceptions, est le fondement des valeurs de référence : solidarité écologique, solidarité sociale, solidarité politique, solidarité internationale.
Source : Cetri
[1] Merci à Julien Lusson et Elise Massiah pour leur relecture et leurs corrections.
[2] « Le terme d’écologie (du grec oikos, demeure, et logos, science) a été proposé par E. Haeckel en 1866 pour désigner la science qui étudie les rapports entre les organismes et le milieu où ils vivent. » (cf Encyclopædia Universalis 2006)
[3] Pierre Radanne, Présentation des négociations internationales en vue du prochain accord climatique de Copenhague. IEPF (Institut de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie), 26 septembre 2009 –
[4] Maxime Combes, Bangkok, premier état des négociations, 7 octobre 2009, notes Attac et Aitec
[5] Agarwal, A. and S. Narain. 1992. Towards a Greener World : Should Global Environmental Management be Built on Legal Convention or Human Rights ? New Delhi : Centre for Science and Environment. Arruda Marcos. 2008. Echanger nos visions d’une économie responsable, plurielle et solidaire (Instituto de Políticas Alternativas para o Cone Sul)
[6] Archimède et Léonard, Les Cahiers de l’Aitec, n°10, hiver 93-94. Vous avez dit progrès ? Science, progrès et développement - AITEC - CONSCIENCE - GLOBAL CHANCE - SNCS
[7] Gustave Massiah. Les dangers et les opportunités de la crise. Avril 2009
[8] Julien Lusson et Gustave Massiah. Les issues stratégiques de la crise. Mai 2009
[9] Cette déclaration est complétée par une « Lettre de Maputo. Agriculture paysanne et souveraineté alimentaire face à la crise mondiale »
est une des personnalités centrales du mouvement altermondialiste. Ingénieur et économiste, né en 1938 au Caire, a présidé le CRID (Centre de recherche et d’information pour le développement), galaxie d’associations d’aide au développement et de soutien aux luttes des pays du Sud, et a été vice-président d’Attac-France de 2003 à 2006.
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