18 mai 2014 par Loïc Sauvage
La Belgique approche à grands pas des élections et les partis ont pour la plupart rendu leurs copies. Il faut dire que le rendez-vous est d’importance ! Vu le regroupement des scrutins, le 25 mai prochain verra se renouveler le pouvoir fédéral, mais également les niveaux européen, régional et communautaire. Cette campagne déterminera donc, à presque tous les niveaux de pouvoirs, la gouvernance des cinq prochaines années (la législature fédérale étant passée de 4 à 5 ans).
Nous nous sommes penchés sur les programmes électoraux des principaux partis francophones à représentation parlementaire auxquels nous avons ajouté la liste PTB-GO (PTB + LCR, PC et indépendants) et celle présentée par Vega. Nous avons cherché les différentes propositions relevant de la thématique de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et de thèmes économiques complémentaires.
Mais où donc se cache la dette ?
Le premier constat qui s’impose est que la dette est relativement peu traitée par les programmes officiels des partis, le plus souvent on en parlera sans la citer. On cherchera plutôt à « limiter le déficit public », à « équilibrer les comptes » ou à « relancer l’économie et l’emploi » pour « diminuer les charges sociales de l’Etat ». Ce faisant, la plupart des forces politiques limitent le débat public au choix des palliatifs sans questionner la maladie en elle-même et sa légitimité. On ne parle pas de la dette mais de comment la payer. Le constat n’est pas neuf et est à l’origine de la plateforme d’Audit Citoyen de la Dette en Belgique (ACiDe), qui compte maintenant une dizaine de groupes locaux et une trentaine d’organisations membres. La démarche de cette plateforme est justement de remettre la dette, sa gestion et les processus d’endettement au centre du débat. Ces sujets sont encore très peu repris par les programmes politiques qui se limitent dans l’ensemble à des propositions palliatives concernant la crise.
On l’aura compris, cette campagne ne sera pas celle de la remise en cause du système actuel de la dette.
On l’aura compris, cette campagne ne sera pas celle de la remise en cause du système actuel de la dette. Cependant, certaines propositions semblent entrouvrir la voie d’une remise en question. Pour commencer, certains s’aventurent à proposer un audit de la dette publique, mais sans que cette proposition ne semble particulièrement prioritaire. On remarquera également la remise en cause de certaines pratiques comme la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
sur les titres publics et la « faible » participation du capital au financement de l’Etat. Plus significatif peut-être, certains partis de gouvernement en appellent également à l’abolition de la Troïka (Commission européenne, Banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
européenne, FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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). Par ailleurs, on sent dans les partis de gauche une remise en cause implicite du système actuel de la dette à travers certaines propositions appelant à faire primer les droits sociaux, à rejeter l’austérité ou à mettre en place un « conseil de sécurité des droits sociaux » dans le cadre de l’ONU.
Malgré ces petites ouvertures, ce sont des propositions « palliatives » qui sont les plus fréquentes et auront le plus de chances de se retrouver dans un accord de gouvernement. On remarquera particulièrement que certaines d’entre elles reçoivent un large soutien et dépassent le clivage gauche-droite belge. Parmi celles-ci, nous pouvons citer la mise en place d’Eurobonds, la taxe sur les transactions financières ou la convergence fiscale européenne. Ces propositions ont également la caractéristique d’être dépendantes d’accords européens, très difficiles à obtenir. À titre d’exemple, l’accord européen obtenu ce 6 mai sur la taxe sur les transactions financières ne concerne que onze pays et ne s’appliquera que sur les transactions d’actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
et de quelques autres dérivés
Dérivés
Dérivé
Dérivé de crédit : Produit financier dont le sous-jacent est une créance* ou un titre représentatif d’une créance (obligation). Le but du dérivé de crédit est de transférer les risques relatifs au crédit, sans transférer l’actif lui-même, dans un but de couverture. Une des formes les plus courantes de dérivé de crédit est le Credit Default Swap.
. On est donc très loin du projet de départ d’une taxe élargie sur les transactions financières.
Quid de la dette du tiers monde ?
Soit. Le bilan n’est pas réjouissant pour les propositions concernant les dettes publiques belges et européennes. Mais qu’en est-il des positions des partis sur les dettes des Pays dits en Développement (PED) ? Sur cette dimension, on retrouve des propositions claires et volontaristes dans certains programmes. Ces propositions appellent notamment à un audit des créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). belges vis-à-vis des PED mais également à l’annulation des dettes odieuses bilatérales et multilatérales [1]. On remarquera également un quasi-consensus concernant le besoin d’améliorer la cohérence des politiques belges et européennes vis-à-vis des PED. Bien que ce quasi-consensus ne soit qu’une déclaration d’intention floue et générale dans la plupart des cas, elle reconnait les effets pervers de certaines politiques européennes sur l’endettement des PED.
Rappelons que beaucoup de ces propositions étaient déjà présentes dans les programmes de 2010...
Rappelons que beaucoup de ces propositions étaient déjà présentes dans les programmes de 2010... Néanmoins, certaines évolutions peuvent être observées. Par exemple, le Parti Socialiste a étendu le champ des dettes concernées par ses propositions d’annulations. Dans le programme de 2014, la reformulation de la proposition étend le champ des annulations proposées aux dettes illégitimes et à toutes les dettes des Pays les Moins Avancés (PMA
Pays moins avancés
PMA
Notion définie par l’ONU en fonction des critères suivants : faible revenu par habitant, faiblesse des ressources humaines et économie peu diversifiée. En 2020, la liste comprenait 47 pays, les derniers pays admis étant le Timor oriental et le Soudan du Sud. Elle n’en comptait que 26 il y a 40 ans.
) et des Pays Pauvres Très Endettés
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(PPTE). Bien entendu, ces propositions restent l’exception plutôt que la règle et elles ne représenteront certainement pas des priorités pour les partis qui les soutiennent. Cependant, la reconnaissance officielle du concept de dette illégitime par un parti de gouvernement est notable en elle-même.
Qu’en conclure ?
Il semble se détacher de ces constats que le thème de la dette publique en Belgique est relativement peu traité par les programmes des partis et que ceux-ci se limitent généralement à proposer d’en gérer les effets plutôt que le fonctionnement même. Là où quelques petites propositions plus volontaristes émergent, elles semblent assez peu structurées et restent souvent trop clivantes pour un gouvernement de coalition élargie dans le rapport de force actuel. Les propositions les plus concrètes semblent être les propositions « d’adaptation », qui sont probablement le résultat d’un consensus préexistant dans le gouvernement actuel et dont l’application est rendue difficile par la nécessité d’un accord européen. De son côté, le thème de la dette des PED évolue doucement, mais n’est repris que par un nombre limité de partis et ne représente, a priori, pas une priorité forte.
La plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique « ACiDe » a encore de beaux jours devant elle, avec un gros travail à accomplir pour que cette question soit mise à l’agenda avec sérieux. Heureusement, ses travaux et activités ont déjà commencé à éveiller l’attention de nombreux citoyens sur les débats de fond entourant la dette, son système de gestion et sa légitimité. Vous pourrez retrouver son mémorandum, avec ses premiers constats et revendications, sur son site Internet.
Ci-joint une compilation des principales propositions des partis autour de la dette et un tableau comparatif de la présence ou non de certaines propositions dans leurs programmes respectifs. Il est à noter que l’absence de proposition ne signifie pas toujours que le parti est opposé à la mesure, mais cela signifie à minima que celle-ci n’est pas une priorité.
Loïc Sauvage, politologue, est stagiaire au CADTM
[1] A ce propos, il est important de rappeler que le Sénat belge a adopté une résolution le 29 mars 2007 qui demandait au gouvernement d’instaurer un moratoire avec gel des intérêts sur le remboursement du service de la dette bilatérale à l’égard des pays dits en développement, et d’organiser un audit de leurs dettes pour identifier leurs parts odieuses et ensuite les annuler. Plus récemment, dans son accord de 2011, le gouvernement s’était engagé à réaliser « l’audit des dettes et à annuler en priorité les dettes contractées au détriment des populations ». Rq : le montant total des créances de la Belgique sur les PED s’élève à environ 2 milliards d’euros, soit près de 5 fois moins que ce qui a été injecté dans la seule banque Dexia depuis 2008 (ou +- 0,5 % du PIB).