21 mai 2014 par Luc Tessan
Le 25 mai prochain, les citoyens européens seront invités à voter pour élire les membres du futur Parlement européen. Cependant, malgré le fait que l’Union ait pris une place de plus en plus importante dans nos vies, seule une maigre portion de la population est au courant de la composition de ce Parlement et des enjeux qui entourent ces élections.
Récemment, alors qu’elle acquérait de nouvelles compétences, l’Europe a légèrement élargi les pouvoirs du Parlement européen. Cela s’exprime notamment par un rôle renforcé dans le choix du président de la Commission. En effet, alors qu’il était auparavant désigné par le seul Conseil Européen, le président de la Commission doit maintenant réunir une majorité au Parlement et « refléter le résultat des élections ». Cet élargissement du pouvoir parlementaire à la marge ne change évidemment pas grand chose au caractère anti-démocratique du fonctionnement des Institutions Européennes.
Bref, une des conséquences de ce changement est que les partis européens ont désigné leurs prétendants au poste de président de la Commission. Pour la première fois, l’Union fait campagne auprès des Européens et le futur président de la Commission essaie d’attirer leurs votes. Les candidats se déplacent à travers l’Europe et débattent pour convaincre les citoyens de leurs visions. Mais qui sont ces candidats à la présidence de la Commission et quelles sont leurs positions quant à la stratégie économique de l’Union Européenne et à la crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
? Voici des déclarations reprises des principaux débats de campagne à Maastricht (28 avril), Florence (7 mai) et Bruxelles (15 mai).
Les candidats et leurs prises de position
CANDIDATS | Partis européens | Partis membres | Soutiens |
---|---|---|---|
Jean Claude Junker | Parti Populaire Européen (PPE) | CDH, CD&V, UMP, UDI, CDU, CSU | Angela Merkel, Kris Peeters, Nicolas Sarkozy |
Guy Verhofstadt | Alliance des Libéraux et des Démocrates pour l’Europe (ALDE) | MR, OpenVLD, MODEM, FDP, Lib Dem | Didier Reynders, Nick Clegg, François Bayrou |
Martin Schultz | Parti Socialiste Européen (PSE) | Parti Socialiste Belge, Parti Socialiste Français, SPa , Labour, SPD | François Hollande, Elio Di Rupo, Matteo Renzi |
Ska Keller & José Bové | Parti Vert Européen (The Greens) | ECOLO, Groen, Europe Ecologie Les Verts, Bündnis 90/Die Grünen | Daniel Cohn-Bendit, Cécile Duflot, Isabelle Durant |
Aléxis Tsípras | Parti de la Gauche Européenne (EL) | Parti Communiste Belge, Parti de Gauche, Parti Communiste Français, Die Linke | Jean-Luc Mélenchon, Cayo Lara, Marisa Mattias |
Martin Shultz est le candidat socialiste à la présidence de la Commission. Concernant l’économie, sa priorité affichée lors des débats est la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. Pour ce qui est de la crise, il affirme que les spéculateurs ont une responsabilité dans celle-ci et qu’il est anormal que les contribuables payent pour leurs pertes alors qu’ils ne bénéficient pas de leurs gains. De ce fait, il se dit opposé à continuer de faire payer les citoyens pour les pertes des banques et soutient que l’austérité n’a fait qu’aggraver la situation de l’Europe. S’il s’oppose à l’austérité, il se déclare tout de même en faveur de la discipline budgétaire. Son groupe a d’ailleurs voté en masse le pacte budgétaire, le fameux TSCG
TSCG
Le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (ou « Pacte Budgétaire » européen) est un traité qui impose une discipline budgétaire toute particulière aux États membres de l’Union européenne qui l’ont signé (à l’exception de la Croatie, la République tchèque et le Royaume-Uni) et qui est entré en vigueur pour les pays qui l’avaient déjà ratifié au 01 janvier 2013.
Son article 3 concerne la fameuse « règle d’or » - que les États doivent introduire de manière contraignante et permanente dans leurs droits nationaux - imposant un déficit structurel de 0,5% (et non plus de 3%). De même, le pacte autorise un endettement public de maximum 60% du PIB qui doit être réduit d’1/20e par an le cas échéant.
Enfin, l’assistance financière prévue par le Mécanisme européen de stabilité (le MES) est conditionnée à la ratification de ce TSCG (rebaptisé « Tous Saignés Comme des Grecs » ou encore Traité de l’austérité).
, et s’est félicité de sa ratification. Selon lui, l’Europe doit porter une réelle stratégie de croissance couplée à de la discipline budgétaire pour sortir de la crise actuelle. Par ailleurs, Martin Shultz met également en exergue le rôle de la BCE
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
qui prête aux banques à des taux très faibles pour que cet argent soit utilisé pour spéculer ou pour prêter ensuite aux États. Il se déclare donc pour une réforme de la BCE. Pourtant, les socialistes ont participé à la trajectoire néolibérale de l’Union en votant la plupart du temps aux côtés des libéraux et des conservateurs. Concernant le traité transatlantique de libre-échange entre l’Union et les États-Unis (TAFTA/TTIP), sa position est assez ambiguë. Tout en émettant des réserves, il ne s’oppose pas à l’idée de développer ce « partenariat ».
De son côté, Jean-Claude Junker, représentant la famille politique sortante et ayant été président de l’Eurogroupe, semble s’inscrire dans la continuité de son prédécesseur et tente plus souvent de justifier ce qui a été fait plutôt que de proposer des alternatives. Quelques petites sorties sont pourtant notables comme son soutien à l’idée d’un salaire minimum européen pour lutter contre le dumping social ou l’affirmation que les banques « doivent changer d’attitude ». Cependant, face à l’opposition à l’austérité affichée par les autres candidats, il se contente de déclarer « ne pas être un fan de l’austérité » et préférer la « rigueur fiscale ». De la même manière, alors que les autres candidats remettent tous en question le fonctionnement et les décisions de la Troïka, celui-ci évite de se prononcer.
À l’opposé du candidat conservateur, Guy Verhofstadt a lui été omniprésent et prolixe lors des débats. Sa position sur la crise est très claire : ne faisons pas de nouvelles dettes ! En effet, il soutient qu’il est nécessaire de sortir du cycle dette-austérité-dette en suivant une nouvelle stratégie économique de croissance. Fermement opposé à l’austérité (du moins dans le discours) et au financement par l’endettement, il propose une stratégie de croissance utilisant mieux la taille de l’Union pour peser sur l’économie mondiale face aux géants américains, chinois et autre. Il souligne également les économies d’échelles qu’il serait possible d’effectuer en rationalisant les stratégies économiques au niveau européen. Concernant la Troïka, il appelle à la limiter à un rôle technique, le pouvoir de décision devant revenir entièrement aux parlements. Par ailleurs, il soutient un élargissement des possibilités de prêts de la BCE pour lui permettre de mieux participer à l’économie réelle. Enfin, il soutient fermement le traité transatlantique de libre-échange en le décrivant comme une opportunité pour booster la croissance européenne.
our leurs parts, les candidats écologistes, Ska Keller et José Bové, se sont eux montrés très évasifs sur les questions économiques. Leurs principales prises de position concernent l’opposition à l’austérité, l’opposition à la Troïka et la nécessité de développer une économie verte. Cependant, on notera le réquisitoire de Ska Keller contre le système actuel de la dette (bien qu’elle n’utilise pas ces termes). Elle affirme notamment que la plus importante dette actuelle en Grèce et ailleurs est la dette sociale constituée du dysfonctionnement des systèmes éducatifs et des systèmes sociaux. Elle appelle donc à investir dans le futur contre cette dette sociale. Par ailleurs, les écologistes se démarquent par leurs oppositions au traité transatlantique de libre-échange (TAFTA/TTIP) là où les conservateurs, les libéraux et les socialistes soutiennent le projet. Cela n’a pas empêché le groupe des verts (avec des exceptions) de voter en faveur du TSCG.
Le dernier candidat, Aléxis Tsípras, représente la gauche radicale européenne. Il n’a participé qu’au débat de Bruxelles et s’est exprimé en Grec. Sans surprises, il s’est déclaré farouchement opposé aux politiques d’austérité et a accusé les partis au pouvoir d’avoir utilisé la Grèce comme cobaye des politiques d’austérité les plus dures. Il a souligné que l’Europe devait s’intéresser plus au chômage et à la croissance plutôt qu’aux déficits si elle voulait faire diminuer l’euroscepticisme. Selon lui, ce sont les politiques des partis au pouvoir qui ont poussé l’Europe dans la crise. Après avoir appelé l’Europe à bannir la Troïka, il s’est prononcé pour une solution globale et soutenable à la dette qui doit, selon lui, inclure l’assainissement des banques. Il est également opposé au traité transatlantique.
Qu’en conclure ?
Ce qui précède illustre bien entendu les discours de ces candidats, et non ce que leurs groupes politiques respectifs ont réalisé ou vont réaliser. Alors que sur de nombreux sujets, les candidats à la présidence de la Commission ont souvent des vues assez proches, il existe des différences notables sur les questions économiques. D’abord, les débats montrent assez clairement une opposition entre le candidat conservateur et les autres. Alors que le premier est l’héritier des pratiques antérieures et semble vouloir marcher dans les pas de son prédécesseur, les autres candidats critiquent ouvertement la gestion de la crise par la Commission et déclarent rejeter l’austérité (pour une question d’illégitimité et/ou d’inefficacité). Cependant, si les déclarations des ‘non conservateurs’ vont dans le même sens sur l’austérité, elles divergent sur la question de la discipline budgétaire. Là où le candidat libéral et le candidat socialiste rejettent l’austérité, mais appellent à la discipline budgétaire couplée à une stratégie de croissance, les écologistes mettent l’accent sur la nécessité d’investir pour diminuer la dette sociale. De la même manière, Aléxis Tsípras évite la question budgétaire et appelle plutôt à investir activement dans la lutte contre le chômage et l’injustice sociale. Ensuite, on retrouve également des différences notables sur la question du traité transatlantique de libre-échange. Alors que les socialistes, conservateurs et libéraux soutiennent ce traité, les verts et la gauche radicale y sont opposés. Ce sujet a cependant été assez peu abordé lors des débats et les réponses des candidats sont restées relativement vagues.
En conclusion, si les déclarations des candidats en campagne n’ont rien de révolutionnaire, certaines remettent en cause les modes de fonctionnement actuels de la Troïka et de l’Union sur les questions relatives à la gestion de la crise de la dette. Bien que le futur président ne changera pas le fonctionnement de l’Union, celui-ci possède un certain pouvoir avec le monopole de l’initiative législative qu’il pourra utiliser à bon ou mauvais escient.