Au Nord comme au Sud, la mise en place de ces mégaprojets entraîne – presque systématiquement – des conséquences écologiques [1] catastrophiques, ce qui souligne leur caractère arriéré et teinté de folie au vu des enjeux climatiques et environnementaux actuels.
L’expression « éléphant blanc » désigne un mégaprojet, souvent d’infrastructure, qui amène plus de coûts que de bénéfices à la collectivité. Pour la petite histoire, la métaphore de l’éléphant blanc provient de la tradition des princes indiens qui s’offraient ce cadeau somptueux. Cadeau empoisonné, puisqu’il entraînait de nombreux coûts et qu’il était proscrit de le faire travailler. Ce terme est généralement utilisé pour désigner des mégaprojets développés dans les pays du Sud.
L’expression « grands projets nuisibles et imposés », qui fait suite à l’expression plus connue de « grands projets inutiles et imposés », désigne également des mégaprojets qui parfois n’ont même pas été terminés ou se sont avérés par la suite inutiles et coûteux. « Inutiles »... vraiment ? Ces projets servent en fait des intérêts bien particuliers, ceux des firmes grassement payées pour leur construction et / ou par l’usage qui en sera fait. Ils sont donc bien utiles pour une poignée de privilégiéEs, même s’ils sont nuisibles pour la majorité de la population et l’environnement. Cette expression est généralement utilisée pour désigner des mégaprojets développés dans les pays du Nord.
Le cas d’Assouan en Égypte montre bien les désastres écologiques provoqués par les grands barrages. Inondations, inégalité d’accès à l’eau, élévation du niveau de la nappe phréatique, salinisation et érosion des sols, évaporation de l’eau (douze milliards de mètres cubes, soit 14 % du débit du Nil), destruction des fertilisants naturels et recours aux engrais chimiques, apparition d’espèces invasives et de nouvelles maladies. Et c’est sans parler de la catastrophe humanitaire qu’ont vécu les Nubiens dont les terres ont été noyées et qui ont été forcés à un exil catastrophique [2].
Ces mégaprojets onéreux se multiplient dans les pays qui connaissent une crise financière et économique.
Plus proches de nous dans le temps et l’espace, les projets d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et de la LGV (TAV) Lyon-Turin en Italie entraîneraient également des destructions à grande échelle (voir encadré). Dans le premier cas, il est facile de penser à l’impact climatique qu’auraient les activités de ce nouvel aéroport. Mais c’est également la destruction de 2000 hectares d’une zone bocagère à la biodiversité et à la participation au cycle de l’eau exceptionnelles, et de terres cultivables – à l’heure où l’insécurité alimentaire en Europe atteint des sommets – qui mobilise les foules. Et le fait que le projet soit certifié « Haute Qualité Environnementale » n’y changera rien...
C’est souvent cette attaque contre les écosystèmes (au sens large, dans lequel vit la population) que ces projets impliquent qui provoque l’indignation et la résistance des habitants et des mouvements sociaux. Peut-être plus que leur impact financier, et pourtant…
Dette financière
Paradoxe (apparent du moins) : ces mégaprojets onéreux se multiplient dans les pays qui connaissent une crise financière et économique. Ces situations constituent en fait une occasion pour les multinationales de développer encore plus de tels projets. Il a fallu attendre 2010 et les plans d’ajustement structurel, incluant la destruction des codes environnementaux et du travail, pour voir apparaître en Grèce des projets tels que les grands complexes touristiques (aéroport d’Elliniko), le « Programme Soleil » (centrales solaires industrielles), les parcs éoliens d’EDF en Crète, les centrales hydroélectriques, la mine d’or dans la forêt de Skouries, etc [3].
Au-delà de tous les coûts environnementaux et sociaux (impayables) qu’ils provoquent, ces mégaprojets grèvent les finances publiques et coûtent toujours beaucoup plus cher que prévu (et ce, bien sûr sans compter les coûts de la répression utilisée pour tenter de les imposer).
Les coûts pour la collectivité, et les bénéfices pour les multinationales, voilà pourquoi des projets nuisibles sont imposés un peu partout sur le globe.
Un des projets les plus tristement célèbres est celui des barrages INGA, lancés par l’ex-colonisateur belge, repris par le dictateur Mobutu et financés par la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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. Les coûts des travaux ont été largement sous-estimés et ont plus que doublé. La moitié de l’augmentation de la dette de la RDC entre 1970 et 1982 lui est attribuable. Au final, INGA ne fournit que 11 % de la population en électricité et a surtout été utilisé pour l’extraction de minerais au Katanga, à 1 900 kilomètres de distance.
Aux Philippines, la centrale nucléaire de Bataan, construite sous le règne de Marcos, a coûté 2,3 Mds $. En 1986, le stock de la dette Stock de la dette Montant total des dettes. publique était principalement dû à ce projet (dont le paiement n’a pris fin qu’en 2007...).
Concernant la LGV (TAV) Lyon-Turin, les coûts annoncés de 26 Mds € (à se partager entre l’Italie et la France) seraient sous-estimés de 400 % selon l’association Habitat. Le coût de la seule partie française serait supérieur à 11 Mds €, soit l’équivalent du « trou » annuel de la sécurité sociale [4].
Au-delà du coût financier direct pour la collectivité - la plupart du temps, l’Etat doit emprunter pour financer ces projets - il ne faut pas oublier toutes les garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). folles que celui-ci accorde bien souvent aux promoteurs, dans le cadre de partenariats public-privé ou non. Dans le cas particulièrement polémique de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l’Etat français prévoit de subsidier littéralement cette mascarade en avançant l’argent et en assumant les risques. Il prévoit la participation des collectivités locales pour un minimum de 360 millions d’euros, certainement plusieurs milliards d’euros de l’Etat, il assure la marge bénéficiaire de Vinci (c’est-à-dire qu’il assure ses risques d’investissements en garantissant un plafond de profit minimal pour Vinci même si les activités liées à l’aéroport ne lui amènent pas ce profit) et même une possible indemnisation en cas d’annulation du projet de 11 milliards d’euros par an jusqu’en 2065. Tout cela n’est pas sans rappeler la logique derrière les sauvetages bancaires ou des mécanismes tels que l’ISDS prévu dans le traité transatlantique en cours de négociation et l’indemnisation pour perte de « bénéfices escomptés »). En Russie, pour un chantier évalué à 1,8 milliard d’euros (l’autoroute Khimki), le groupe Vinci prévoyait une rente annuelle de 700 millions d’euros [5]. Les coûts pour la collectivité, et les bénéfices pour les multinationales, voilà pourquoi des projets nuisibles sont imposés un peu partout sur le globe.
Tout ceci avec la complicité active des États qui s’empresseront d’utiliser le gonflement de la dette publique comme argument pour imposer une austérité et des réformes drastiques à la population. La même excuse est utilisée par ces États pour brader les biens communs et faciliter la privatisation de tout ce qui peut rapporter à la classe capitaliste. Comme cette forêt remplie d’or au Nord de la Grèce vendue à la société canadienne Eldorado Gold. Vendue, ou plutôt donnée, pour 1€ symbolique. Ce qui prouve que le but de la privatisation n’est pas de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État mais de faire des cadeaux aux petits amis [6]. Les pays de la « périphérie » sont évidemment les plus touchés, et spécifiquement les plus endettés. Vinci est là pour en profiter, il a racheté 10 aéroports portugais depuis le début de la crise, rien de moins.
Nous ne paierons pas pour leur folie
Ces folies ne sont donc pas inutiles pour tout le monde. Et si parfois ces projets ne sont que le fruit de mégalomanies, ils sont souvent présentés comme répondant à l’intérêt général. Pourtant, ils se moquent généralement de l’opinion publique. Le prétendu « développement » et la « croissance », au Sud comme au Nord, nous sont resservis sans cesse, ainsi que le respect de « l’État de droit » et de la « démocratie ». Mais cette fable convainc de moins en moins...
« Nous n’avons rien à négocier avec ceux qui nous construisent ce monde de merde » - Camille, zadiste
Les résistances face à ces méga-projets ont toujours existé mais, nous sommes aujourd’hui dans une autre échelle, autant du côté des projets que des résistances. Et une coordination de ces luttes devient nécessaire. Un des espaces où cette coordination s’organise en Europe est le Forum annuel contre les grands projets inutiles et imposés. Mais c’est bien sûr dans la lutte elle-même, sur le terrain, que les meilleures coordinations et renforcements mutuels se sont développés et se développent encore aujourd’hui.
Soulignons d’ailleurs qu’un nombre non négligeable de tous ces méga-projets ont été annulés, sabotés, suspendus ou abandonnés. Au-delà de la résistance, il faut poser la question de la lutte pour le contrôle des investissements faits avec l’argent de la collectivité et de l’audit des dettes liées à ces mégaprojets. Que leur folie soit illégale ou illégitime, nous n’allons pas payer pour elle. Il faut les faire revenir sur terre.
Les éléphants blancs
Éléphant blanc
éléphants blancs
L’expression « éléphant blanc » désigne un mégaprojet, souvent d’infrastructure, qui amène plus de coûts que de bénéfices à la collectivité.
Pour la petite histoire, la métaphore de l’éléphant blanc provient de la tradition des princes indiens qui s’offraient ce cadeau somptueux. Cadeau empoisonné, puisqu’il entraînait de nombreux coûts et qu’il était proscrit de le faire travailler. Ce terme est généralement utilisé pour désigner des mégaprojets développés dans les pays du Sud.
et autres GPNIs
GPNI
GPNIS
L’expression « grands projets nuisibles et imposés », qui fait suite à l’expression plus connue de « grands projets inutiles et imposés », désigne également des mégaprojets qui parfois n’ont même pas été terminés ou se sont avérés par la suite inutiles et coûteux. « Inutiles »... vraiment ? Ces projets servent en fait des intérêts bien particuliers, ceux des firmes grassement payées pour leur construction et / ou par l’usage qui en sera fait. Ils sont donc bien utiles pour une poignée de privilégiéEs, même s’ils sont nuisibles pour la majorité de la population et l’environnement. Cette expression est généralement utilisée pour désigner des mégaprojets développés dans les pays du Nord.
doivent continuer à avoir la vie dure. Comme dirait Camille [7] : « Nous n’avons rien à négocier avec ceux qui nous construisent ce monde de merde ». Toutes ces luttes amènent précisément à d’autres possibles, à d’autres projets situés aux antipodes de l’accumulation d’une dette écologique
Dette écologique
La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.
La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :
La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.
La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.
Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.
L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.
Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
et financière illégitimes. Ces luttes de territoires, qui concernent des infrastructures, s’attaquent au cœur même du pouvoir et de la démocratie.
Liste (minuscule) d’éléphants blancs et autres GPNIS :
Le barrage de Belo Monte au Brésil : déplacement de populations / destruction de la nature et des écosystèmes
Les parcs éoliens industriels de Tehuantepec au Mexique : accaparement de terres
La centrale nucléaire de Bataan aux Philippines : n’a jamais produit d’électricité
La ville fantôme de Kangbashi en Mongolie : construite pour ... booster la croissance
Les barrages INGA I, II et III en RDC : fonctionnent à 20 % de leur capacité alors qu’ils étaient censés fournir de l’électricité à tout le pays
Le monument de la renaissance africaine au Sénégal : gouffre financier
La cathédrale de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire : plus grand édifice religieux du monde
Les centraux téléphoniques en Ouganda : alors qu’il n’y avait pas de réseau électrique pour les faire fonctionner
Le barrage d’Assouan en Egypte : désastre écologique
La ligne ferroviaire TGV Tanger-Casablanca au Maroc : ligne de luxe pour une poignée de privilégiés : remplir les carnets de commande d’Alstom
L’autoroute de Khimki en Russie : destruction du poumon vert de Moscou (1000ha de forêts à haut taux de biodiversité)
Coupe d’Europe de 2012 en Pologne : a coûté 20 fois plus que le service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
du pays
La centrale nucléaire de Zwentendorf en Autriche : n’a jamais été utilisée
Les JO de 1976 à Montréal au Canada : ont terminé d’être remboursés en... 2006
Les JO de 2004 en Grèce : ont coûté autour de 20 milliards d’euros
au lieu des 1,3 Mds € prévus initialement
Les aéroports fantômes de Ciudad Real et de Castellon (Valence) en Espagne : corruption
La ligne ferroviaire LGV Lyon-Turin en Italie : détruirait l’équivalent de 12 pyramides de Khéops pour creuser, à travers uranium et amiante, un tunnel de 52 km sous les Alpes
La gare de Stuttgart 21 en Allemagne : ampleur disproportionnée
L’aéroport du grand Ouest de Notre-Dame des Landes en France : projet totalement irrationnel qui patine depuis 1974 (et c’est tant mieux)
La ferme des milles vaches en France : destruction de la paysannerie et maltraitance animale
La mégaprison de Haren en Belgique : bétonnage de terres cultivables pour enfermer plus
Liste (non-exhaustive) de multinationales profitant de ces mégaprojets
Alcatel (centrales téléphoniques d’Ouganda)
Alstom (TGV Tanger-Casablanca, LGV Lyon-Turin)
Bouygues (bâtiments somptuaires à Yamoussoukro)
BHP Billiton (barrages INGA)
Deutsche Bank (Desertec)
EDF (parcs éoliens de Tehuantepec au Mexique et de Crète en Grèce)
Eskom (barrages INGA)
Vinci (autoroute de Khimki, aéroport de NDDL, LGV Lyon-Turin, spatioport de Kourou)
Westinghouse Electric Company (centrale nucléaire de Bataan)
Calatrava (architecte des JO de 2004 en Grèce, du TAV en Italie, de la Cité des Arts et des Sciences de Valence en Espagne, de la gare des Guillemins à Liège en Belgique, etc.)
Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète
[1] Au sens large, catastrophes humaines comprises.
[2] Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Haut_barrage_d’Assouan
[3] Voir : « Austérité et destruction de la nature : l’exemple grec » de Roxanne Mitralias, avril 2013.
[4] Voir : « Lyon-Turin : comment Hollande s’apprête à gaspiller 11 milliards d’euros » de Sophie Chapelle, janvier 2013.
[5] Voir : « Ces projets coûteux et polémiques qui bétonnent la France et l’Europe » de Rachel Knaebel, juillet 2012.
[6] Les cas de corruption sont d’ailleurs légion dans le développement d’éléphants blancs et autres GPNIs. Pour ne citer qu’un exemple : concernant le projet de Bataan, l’entrepreneur britannique Westinghouse a admis avoir payé 17 mds $ de commissions à un ami de Marcos. Voir : « Manuel pour des audits de la dette du tiers monde », page 15.
[7] Camille est un nom générique que tous les zadistes se donnent
30 septembre 2020, par Jérémie Cravatte , Chiara Filoni , Anouk Renaud , Noëmie Cravatte , Camille Bruneau , Mats Lucia Bayer
2 mai 2020, par Jérémie Cravatte
17 avril 2020, par Jérémie Cravatte
23 mars 2020, par Jérémie Cravatte
6 janvier 2020, par Jérémie Cravatte
26 juillet 2019, par Jérémie Cravatte
4 juin 2019, par Jérémie Cravatte , Gilles Grégoire , Louis Luxen
14 juin 2018, par Jérémie Cravatte
2 mars 2018, par Olivier Bonfond , Jérémie Cravatte
27 janvier 2018, par Jérémie Cravatte , Maxime Paquay