Elon Musk réitère son soutien à l’extrême droite allemande pour construire un monde à sa botte

15 janvier par Romaric Godin


Photo : Heisenberg Media, Wikimedia Commons, CC, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Elon_Musk_-_The_Summit_2013.jpg

Le milliardaire états-unien a publié une tribune dans l’hebdomadaire « Welt am Sonntag » pour soutenir ouvertement l’AfD. Une ingérence dénoncée par la classe politique allemande qui met au jour la stratégie de la future administration Trump vis-à-vis de ses « alliés ».



Le milliardaire états-unien Elon Musk, futur membre de l’administration du président élu Donald Trump, a fait une entrée fracassante dans la campagne électorale allemande en vue du renouvellement du Bundestag le 23 février 2025. Dimanche 29 décembre, il a signé dans le journal dominical conservateur Welt am Sonntag une tribune en faveur du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD).

Dans ce texte, Elon Musk explique que l’Allemagne est « au bord de l’effondrement économique et culturel » et que, pour lui, l’AfD est « la dernière étincelle d’espoir » du pays. Ce soutien se déploie autour de cinq grands thèmes : « renaissance économique », « immigration et identité nationale », « énergie et indépendance », « réalisme politique » et « innovation et futur  ».

Dans chacun des thèmes, Elon Musk confirme que l’AfD répond à son propre agenda, celui d’une fusion entre le libertarianisme et l’extrême droite qui veut se présenter comme une alternative au néolibéralisme. Ainsi, sur les sujets économiques et d’innovation, le milliardaire d’origine sud-africaine estime que l’AfD est alignée sur l’idée d’une déconstruction de l’État.

« L’AfD a compris que la liberté économique n’est pas seulement souhaitable, mais aussi qu’elle est nécessaire », affirme-t-il. C’est, pour lui, un parti qui « ne parle pas seulement de la croissance », mais aussi « crée un environnement pour la produire en permettant aux entreprises de se développer sans intervention forte de l’État ».

Sur le plan culturel, Elon Musk mêle un discours nationaliste-identitaire qui critique la politique migratoire d’Angela Merkel (« il ne s’agit pas de xénophobie, mais de savoir si l’Allemagne ne va pas perdre son identité ») avec un discours anti-establishment (« les partis traditionnels ont échoué en Allemagne  »), s’appuyant notamment sur un rejet de la sortie du nucléaire (et, en creux, des politiques environnementales) et sur « l’endoctrinement » éducatif (et, en creux, la pseudo-emprise du « wokisme »).

Toutes ces méthodes, déjà éprouvées lors de la campagne de Donald Trump, s’accompagnent d’une banalisation des positions de l’AfD et de leur « centralité » dans le débat actuel. Elon Musk martèle que la présentation comme « extrémiste » de l’AfD est une tromperie de l’establishment et de ceux qui veulent conserver le statu quo. Avec un argument supposé être massue : « Alice Weidel, la présidente du parti, est en couple avec une personne de même sexe originaire du Sri Lanka. Est-ce que cela ressemble à Hitler ? Je vous en prie ! »

Rappelons cependant que l’AfD est un parti qui travaillait il y a peu à un plan de « remigration » de millions de citoyens et qui a présenté en Thuringe une tête de liste, Björn Höcke, condamné en 2023 pour avoir utilisé des slogans nazis.

 Les réactions de la classe politique allemande

Cette tribune intervient après plusieurs posts récents d’Elon Musk sur sa propre plateforme X, qui affirmaient déjà son soutien pour l’AfD. Les membres de ce parti se sont évidemment félicités de l’initiative. Maximilian Krah, ancienne tête de liste de l’AfD aux élections européennes connu pour ses propos révisionnistes sur les nazis, a parlé de « game changer » (élément capable de changer la donne), tandis qu’Alice Weidel reprenait sur les réseaux sociaux de larges extraits de la tribune.

L’AfD vise la deuxième place lors du scrutin du 23 février, derrière l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et son alliée bavaroise la CSU, mais devant le Parti social-démocrate (SPD) du chancelier sortant Olaf Scholz.

Le reste des partis allemands ont, eux, fortement contesté cette tribune. À droite, le candidat de la CDU/CSU à la chancellerie, Friedrich Merz, a jugé l’intervention d’Elon Musk « intrusive et prétentieuse ». « Je ne me souviens pas dans l’histoire des démocraties occidentales d’un cas similaire d’immixtion dans la campagne d’un pays ami », a-t-il ajouté. Le même ton était de rigueur au SPD où le coprésident du parti, Lars Klingbeil, a comparé Elon Musk à Vladimir Poutine. « Les deux veulent influencer nos élections et soutiennent l’AfD, l’ennemie de la démocratie  », complète-t-il, ajoutant que « la démocratie est massivement menacée de l’extérieur ».

Remous à la rédaction de « Die Welt »

La tribune d’Elon Musk a été publiée dans Welt am Sonntag avec, en face, un article signé par Jan Philipp Burgard, qui devient le 1er janvier le directeur de la rédaction du quotidien conservateur. Ce texte tente de montrer en quoi Elon Musk se trompe dans sa défense de l’AfD. Les deux contenus sont publiés sous un seul titre : « Pourquoi Elon Musk soutient l’AfD et pourquoi il se trompe ».

La décision de publier la tribune du milliardaire états-unien n’a cependant pas fait l’objet d’une décision collective de la rédaction. Dès dimanche, la responsable des pages opinion de Die Welt, Eva Marie Kogel, a ainsi annoncé sa démission sur X, tandis que le comité de rédaction a protesté contre cette publication qui, pour lui, est « de la propagande électorale déguisée ».

Le secrétaire général du SPD Matthias Miersch a aussi critiqué Die Welt et son propriétaire, le groupe Axel-Springer, pour cette publication qu’il a perçue comme « honteuse et dangereuse ». Cela montre bien « l’ampleur de la pénétration des réseaux d’extrême droite », a-t-il conclu dans un entretien au quotidien financier Handelsblatt.

La direction du quotidien défend, de son côté, la publication, en indiquant qu’il s’agit d’un texte « très instructif » et que « la démocratie et le journalisme vivent de la liberté d’expression ». Elle considère que Die Welt « se développera de façon encore plus déterminante comme forum pour de tels débats ».

Pour autant, les critiques ne sont pas tout à fait les mêmes à droite et à gauche. Friedrich Merz a, ainsi, tenté d’expliquer qu’Elon Musk se trompe et que l’AfD n’est pas la bonne solution pour l’Allemagne. Sous-entendu, il n’a pas choisi le bon cheval. Aussi a-t-il rappelé au milliardaire états-unien que l’AfD s’était opposée à la construction de son site automobile Tesla dans le Brandebourg. Cette même démarche est celle de la contre-tribune publiée par Die Welt face à celle de Musk (lire l’encadré).

C’était aussi celle de Christian Lindner, l’ancien ministre des finances dont le limogeage a entraîné l’explosion de la coalition fédérale et la convocation de nouvelles élections. Ce dernier avait répondu sur X à Elon Musk, lors de ses premiers posts de soutien à l’AfD, pour affirmer que le Parti libéral-démocrate (FDP) était le parti le plus proche des positions libertariennes du milliardaire. Et il avait alors publiquement sollicité une rencontre avec Musk. Lequel l’avait ignoré. Cette fois, le FDP n’avait pas, vingt-quatre heures après sa publication, réagi à la tribune du patron de Tesla.

 Que veut Elon Musk ?

C’est que ces critiques n’ont pas saisi le projet d’Elon Musk. Son intervention dans la campagne allemande vise à construire un réseau d’alliés politiques capables de peser sur les politiques menées. Le FDP, qui n’est pas certain d’avoir une représentation au Bundestag le 23 février, ne représente aucun intérêt dans ce cadre. Elon Musk sait qu’il peut, en revanche, utiliser la poussée xénophobe et identitaire pour construire ce réseau et influencer la politique économique des partis d’extrême droite.

Comme le souligne l’écrivain allemand d’origine iranienne Navid Kermani, le problème central ici est la puissance de la fortune d’Elon Musk, qui permet de soutenir financièrement ses projets et de biaiser le jeu démocratique. C’est d’ailleurs sur ce plan que le milliardaire ouvre sa tribune : en tant qu’investisseur « important  » dans le pays, il a « le droit », indique-t-il, de donner son avis sur l’avenir de l’Allemagne.

L’entrepreneur reconnaît donc implicitement que son argent lui donne un droit supplémentaire à celui de tout autre non-citoyen. Il est donc assez vain, comme le font Friedrich Merz ou Christian Lindner, de déclarer à Elon Musk qu’il aurait de meilleurs investissements avec la CDU ou le FDP qu’avec l’AfD. C’est prendre la situation à l’envers : Musk utilise son pouvoir financier pour construire une situation politique qui lui convient.

Le but d’Elon Musk est donc de faire ce que font tous les géants de la technologie : construire des réseaux de vassaux dépendant de lui. Mais cette fois, cette vassalité se construit au niveau des États, ce qui est une nouveauté. L’idée devient de plus en plus claire à mesure que l’on s’approche de la date d’entrée en fonction de Donald Trump, le 20 janvier. Ce dernier utilise en effet ses menaces de droits de douane prohibitifs pour dicter ses conditions aux autres États.

Dans le cas de l’Europe, Donald Trump a récemment demandé à l’UE d’acheter plus de gaz ou de pétrole états-uniens. Dans le cas contraire, Washington aurait recours à des droits de douane « jusqu’au bout ». Cette logique pourrait s’élargir à d’autres secteurs clés de l’économie états-unienne comme la technologie ou la finance.

Derrière l’intrusion d’Elon Musk dans la campagne allemande, il y a donc un projet plus vaste qui vise à constituer un réseau de vassalité étatique pour les États-Unis

In fine, il s’agit de rendre les pays partenaires dépendant des fournitures états-uniennes pour pouvoir leur dicter leurs politiques économiques au profit, bien entendu, des entreprises d’outre-Atlantique. Une forme de néovassalisation qui entend répondre à la construction chinoise depuis quelques années d’une sphère d’influence dans les pays du Sud global.

Pour réaliser cette ambition, le trumpisme a besoin de gouvernements acquis. D’où la décision de s’introduire dans les campagnes du Vieux Continent. Elon Musk a également choisi de soutenir le Reform Party, autre parti d’extrême droite au Royaume-Uni. D’autres suivront sans doute.

L’un des arguments avancés par Die Welt et Friedrich Merz pour dire à Elon Musk qu’il « se trompe », la volonté de l’AfD d’en finir avec l’UE, n’est pas valable. Pour Musk et Trump, la fin de l’union faciliterait en effet leurs manœuvres, même s’il n’est pas sûr que l’UE soit en mesure ou ait la volonté de représenter une résistance à ce chantage (on pourra, à cet égard, lire un entretien de Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. européenne, qui implore de « négocier et de ne pas répliquer » aux tarifs douaniers états-uniens).

Derrière l’intrusion d’Elon Musk dans la campagne allemande, il y a donc un projet plus vaste qui vise à constituer un réseau de vassalité étatique pour les États-Unis grâce à la mise en place de politiques ethno-libertariennes. Le milliardaire tente de se construire un monde à sa botte ; pour cela, il s’appuie partout sur l’extrême droite en profitant du désarroi des populations livrées à elles-mêmes par l’échec du néolibéralisme.


Source : Mediapart

Romaric Godin

Journaliste à Mediapart. Ancien rédacteur en chef adjoint au quotidien financier français La tribune.fr
Romaric Godin suit les effets de la crise en Europe sous ses aspects économiques, monétaires et politiques.