Emprunts toxiques : « Flexible droit » ou élasticité de la justice

Étude comparative des jugements de Saint-Cast-le-Guildo et Laval

7 février 2016 par Patrick Saurin


Windell Oskay - Flickr cc

Dans sa préface aux traductions des œuvres d’Edgar Poe, Baudelaire dit tout le mal qu’il pense des sociétés démocratiques, de « l’impitoyable dictature » de l’opinion qui y règne et dont il ne faut pas attendre une « élasticité quelconque dans l’application de ses lois ». S’il revenait parmi nous aujourd’hui et était amené à s’intéresser aux différends judiciaires générés par les emprunts toxiques, l’auteur des Fleurs du mal serait probablement stupéfait de voir « l’élasticité » dont font preuve le gouvernement et les juridictions dans l’application des lois en matière de dette locale. Selon le Petit Robert, « l’élasticité désigne la propriété qu’ont certains corps de reprendre (au moins partiellement) leur forme et leur volume primitifs quand la force qui s’exerçait sur eux cesse d’agir. » Si l’on essaye de se représenter la justice sous la forme d’un corps tel que le caoutchouc, il pourrait être tentant d’imaginer le côté obscur de la force sous les traits du pouvoir politique exerçant sur les tribunaux une pression dont les jugements porteraient la marque. C’est ce que nous pensons avoir observé dans les décisions de justice relatives aux litiges opposant les collectivités locales et les banques à propos des emprunts toxiques. Nous allons nous attacher à vérifier cette hypothèse à partir de deux décisions récentes qui vont également nous permettre de faire le point sur l’état de ce dossier sensible. Notre approche semblera parfois ardue et rébarbative à la lectrice et au lecteur, mais c’est en quelque sorte le prix à payer pour conférer la force de conviction et l’objectivité nécessaire au point de vue que nous soutenons selon lequel la voie judiciaire doit être privilégiée par rapport au recours au fonds de soutien.



Dans les deux affaires que nous allons évoquer, respectivement la décision du TGI de Nanterre du 26 juin 2015 (Saint-Cast-le-Guildo contre Dexia Crédit local et la Caisse française de financement local) et celle du TGI de Paris du 7 janvier 2016 (Laval contre DEPFA), les juges ont rejeté les demandes des collectivités fondées sur les motifs relatifs aux conditions de validité des contrats (le consentement, la capacité, l’objet certain, la cause licite). Ainsi, malgré les arguments apportés par les avocats des collectivités, Maître Hélène Féron-Poloni pour Saint-Cast-le-Guildo et Maître Marie-Pascale Gruel-Dumenil pour Laval, les juges n’ont pas relevé de vices du consentement, ils n’ont pas retenu le dol. Ils ont en revanche reconnu la responsabilité des banques coupables de ne pas avoir satisfait à leurs obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
en matière d’information et de mise en garde. Il est utile de revenir sur les éléments clés de ces décisions.

La collectivité est-elle un client non averti ?

Les deux juridictions ont considéré que les collectivités emprunteuses n’avaient pas la qualité « avertie » (TGI de Nanterre, p. 13-15 et TGI de Paris, p. 16). Une telle appréciation n’est pas sans importance. En effet, selon la directive sur les Marchés des instruments financiers Instruments financiers Les instruments financiers sont les titres financiers et les contrats financiers.
Les titres financiers sont :
• les titres de capital émis par les sociétés par actions (actions, parts, certificats d’investissement, etc.),
• les titres de créance, à l’exclusion des effets de commerce et des bons de caisse (obligations et titres assimilés),
• les parts ou actions d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM).
Les contrats financiers, également dénommés « instruments financiers à terme », sont les contrats à terme sur taux d’intérêt, les contrats d’échange (swaps), les contrats à terme sur toutes marchandises et denrées, les contrats d’options d’achat ou de vente d’instruments financiers et tous les autres instruments de marché à terme.
(dite MIF), le client non professionnel, ou non averti, bénéficie d’une protection complète, le commercial doit s’assurer notamment que le profil du client est en adéquation avec le produit proposé. L’information diffusée auprès des clients doit être correcte, claire et non trompeuse. Ces informations figurant sur les supports communiqués aux clients doivent être validées par le responsable de la conformité et du contrôle interne (RCCI) et le responsable de la conformité des services d’investissement des établissements financiers (RCSI) [1]. Avant tout engagement contractuel avec son client, le prestataire de services d’investissement (PSI) est tenu d’alerter celui-ci sur le degré de risque. Au vu des niveaux de taux atteints et des coûts de sortie des emprunts toxiques, il apparaît que la banque n’a pas rempli les obligations auxquelles elle était tenue, et qu’elle n’a pas vérifié le caractère adéquat ou approprié du produit ou service proposé à son client.

La banque est-elle un prestataire de services d’investissement ?

Le TGI de Paris répond par l’affirmative en soulignant que « La banque DEPFA BANK PLC a fourni le service de négociation pour compte propre, lequel est, aux termes de l’article L 321-1 du code monétaire et financier, un service d’investissement » (pp. 10-11).

Le règlement général de l’Autorité des marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
(AMF) fait obligation au prestataire de services d’investissement (PSI) d’assurer la primauté de l’intérêt du client. Selon l’article 314-3 de ce règlement :

« Le prestataire de services d’investissement agit d’une manière honnête, loyale et professionnelle, avec la compétence, le soin et la diligence qui s’imposent, afin de servir au mieux l’intérêt des clients et de favoriser l’intégrité du marché. Il respecte notamment l’ensemble des règles organisant le fonctionnement des marchés réglementés et des systèmes multilatéraux de négociation sur lesquels il intervient. »

Les conditions dans lesquelles s’effectuent actuellement les dénouements des emprunts toxiques, que cela passe par le recours au fonds de soutien ou par une action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
en justice, attestent que les banques ont fait primer leur propre intérêt sur celui de leurs clients. L’honnêteté, la loyauté, le professionnalisme, le soin, la compétence et la diligence dont sont censées faire preuve les banques apparaissent comme autant de notions appréciées de façon laxiste par les juges. Au vu de l’état des lieux catastrophique des produits structurés Produits financiers structurés
Produits structurés
Produit structuré
Un produit structuré est un produit généralement conçu par une banque. C’est souvent une combinaison complexe d’options, de swaps, etc. Son prix est déterminé en utilisant des modèles mathématiques qui modélisent le comportement du produit en fonction du temps et des différentes évolutions du marché. Ce sont souvent des produits vendus avec des marges importantes et opaques.
, n’est-on pas en droit de s’interroger sur la manière dont le responsable de la conformité et du contrôle interne (RCCI) et le responsable de la conformité des services d’investissements des établissements financiers (RCSI) ont respecté leurs obligations.

À la différence du juge de Paris, le juge de Nanterre n’a pas considéré la banque comme un PSI en considérant que « le produit souscrit constitue un contrat de prêt complexe, dont les caractéristiques et les risques n’en font certes pas un contrat financier par nature, dès lors que l’obligation de l’emprunteur demeurait celle de restituer les fonds prêtés » (p. 12). Cette argumentation reposant sur la seule obligation pour l’emprunteur de rembourser les fonds prêtés nous semble un peu courte en ce sens qu’elle fait peu de cas de la double composante du produit structuré – en particulier du produit dérivé Produits dérivés
Produit dérivé
Famille de produits financiers qui regroupe principalement les options, les futures, les swaps et leurs combinaisons, qui sont tous liés à d’autres actifs (actions, obligations, matières premières, taux d’intérêt, indices...) dont ils sont par construction inséparables : option sur une action, contrat à terme sur un indice, etc. Leur valeur dépend et dérive de celle de ces autres actifs. Il existe des produits dérivés d’engagement ferme (change à terme, swap de taux ou de change) et des produits dérivés d’engagement conditionnel (options, warrants…).
consistant généralement à une vente d’option par l’emprunteur –, du mécanisme complexe de détermination du taux, et surtout de l’énorme risque porté par l’emprunteur. On comprend mal pourquoi le juge attribue le statut de PSI à la banque lorsqu’elle commercialise des contrats d’échange de taux, et qu’il le lui dénie lorsque qu’elle propose des produits structurés à ses clients. En effet, l’élément central des deux contrats en cause, l’emprunt structuré pour Saint-Cast-le-Guildo et le swap Swap
Swaps
Vient d’un mot anglais qui signifie « échange ». Un swap est donc un échange entre deux parties. Dans le domaine financier, il s’agit d’un échange de flux financiers : par exemple, j’échange un taux d’intérêt à court terme contre un taux à long terme moyennant une rémunération. Les swaps permettent de transférer certains risques afin de les sortir du bilan de la banque ou des autres sociétés financières qui les utilisent. Ces produits dérivés sont très utilisés dans le montage de produits dits structurés.
pour Laval, consistant dans une formule quasi-identique de calcul de taux, les juges de Nanterre auraient dû logiquement s’aligner sur la position de leurs collègues parisiens.

Le devoir d’information

Dans les deux décisions, les juges retiennent le manquement de la banque à son devoir d’information, notamment au regard de la qualité « non avertie » des collectivités (TGI de Nanterre, p 13 ; TGI de Paris, p. 16). Pour le TGI de Nanterre :

« …le banquier dispensateur de crédit est tenu à l’égard de l’emprunteur d’une obligation d’information sur les caractéristiques du prêt, lui permettant de prendre la mesure exacte de la portée de son engagement, de ses avantages comme de ses inconvénients.

À l’égard de ses clients non avertis, le banquier est tenu d’une obligation d’information renforcée tendant à les mettre en garde lorsque le prêt comporte pour l’emprunteur un risque manifeste d’endettement excessif ou de difficultés pour faire face à son obligation de remboursement. » (p. 13)

Le juge poursuit :

« …la banque avait une obligation d’information et de mise en garde sur l’ensemble des caractéristiques du prêt litigieux, y compris ses aspects les moins favorables de nature à placer la commune en difficulté pour exécuter ses obligations. » (p. 15)

Et il conclut :

« …la responsabilité de la société Dexia Crédit Local et de la Caisse Française de Financement Local est engagée à l’égard de la commune pour manquement de Dexia crédit Local à son obligation d’information et de mise en garde. » (p. 24)

De son côté, considérant que la banque est un PSI, le TGI de Paris en déduit qu’« elle était donc tenue, en qualité de prestataire de services d’investissement, de respecter les règles de bonne conduite définies par l’article L 533-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur au 23 novembre 2006, desquelles il résulte notamment qu’elle se devait d’informer son client des caractéristiques des opérations susceptibles d’être traitées et des risques particuliers qu’elles peuvent comporter, cette information devant être adaptée en fonction de l’évaluation de la compétence professionnelle du client. » (p. 12)

Le juge de Paris précise son analyse :

« L’absence d’information sur le risque potentiellement illimité né du swap proposé relativement à l’emprunt “DEXIA OVERTEC” est d’autant plus préjudiciable à la commune de LAVAL que dans le même document, concernant une autre proposition de swap relative à un autre emprunt auprès de la banque DEXIA, DEPFA BANK PLC prenait le soin de préciser le risque encouru du fait de l’absence de plafonnement et de l’effet cumulatif du contrat d’échange de conditions d’intérêts proposé. » (p. 14)

Et il déclare :

« DEPFA BANK PLC a donc manqué à son obligation d’information quant aux caractéristiques essentielles du contrat d’échange de conditions d’intérêts qu’elle proposait à la commune de LAVAL de conclure. » (p. 15)

Le devoir de mise en garde

Le prestataire de services d’investissement est tenu à une obligation de mise en garde à l’égard d’un investisseur non averti exposé à un risque particulier

Les juges de Nanterre le rejettent au motif que le contrat souscrit n’entre pas dans le champ d’application régissant les instruments financiers par nature (p. 13), une interprétation que nous avons contestée plus haut lorsque les juges ont dénié à la banque le statut de PSI. À l’inverse, les juges parisiens retiennent le devoir de mise en garde. À leurs yeux,

« Outre son devoir d’information, en application de l’article 1147 du code civil, le prestataire de services d’investissement est tenu à une obligation de mise en garde à l’égard d’un investisseur non averti exposé à un risque particulier tenant à une charge excessive de remboursement pouvant résulter de la conclusion du contrat. » (p. 15)

Et ces juges de conclure :

« DEPFA BANK PLC a manqué à son devoir de mise en garde sur la charge de remboursement excessive pouvant résulter de la conclusion du contrat de swap n ° 291548PL. » (p. 16)

Le devoir de conseil

Les deux tribunaux s’accordent pour ne pas retenir le devoir de conseil. Selon le TGI de Nanterre :

« En l’espèce, le contrat souscrit, en ce qu’il s’agit d’un prêt comportant des risques financiers et non des instruments financiers par nature, n’entre pas dans le champ d’application de ces dispositions. Il en résulte que les obligations de conseil et de mise en garde imposées aux prestataires de services d’investissement, et notamment prévues aux articles L. 533-11 et suivants du code monétaire et financier, ne sont pas applicables en l’espèce. » (p. 13)

Si de son côté, le TGI de Paris considère que les « contrats d’échange de taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
… constituent, selon l’article L 211-1 du code monétaire et financier… des instruments financiers »
(p. 7), il ne retient pas pour autant l’obligation de conseil pour la banque. Selon lui, cette obligation n’est pas de droit et devait être stipulée et formalisée dans un contrat pour être retenue ainsi qu’il le sous-entend dans ses explications :

« La ville de LAVAL ne rapporte par ailleurs pas la preuve que DEPFA BANK PLC ait contracté, à son égard, dans le cadre de la convention cadre du 28 novembre 2006 ou à l’occasion de la conclusion du contrat de swap litigieux, une quelconque obligation particulière de conseil de telle sorte qu’aucun manquement ne peut être caractérisé de ce chef. » (p. 12)

Une telle position nous semble critiquable, et ce sont des magistrats du même TGI qui nous fournissent des arguments pour ce faire. En effet, l’appréciation des juges de la 3e section de la 9e chambre du TGI de Paris saisie de l’affaire Laval / DEPFA s’écarte de celle de leurs collègues de la 1re section de la même chambre dans leur décision du 28 janvier 2014 à propos d’un litige opposant l’EPCI Lille Métropole Communauté Urbaine (LMCU) à Royal Bank of Scotland à propos de contrats d’échange de taux. Dans cette dernière affaire, les juges ont retenu l’obligation de conseil de RBS à l’égard de LMCU, alors même qu’à leurs yeux cette dernière pouvait « être considérée comme un opérateur averti » (p. 19). Selon ces juges, « la souscription des produits s’est bien accompagnée de conseils, et … la société RBS était débitrice, envers LMCU, d’une obligation de conseil. » (ibid.) Afin d’écarter toute équivoque, les juges précisent : « Il importe peu que les contrats contiennent des clauses générales l’exonérant d’une telle obligation, dès lors que celle-ci se déduit de l’économie des conventions, la clause d’exonération prévoyant au surplus qu’elle ne s’applique qu’en l’absence de convention écrite entre les parties imposant des obligations positives contraires. Il est également indifférent qu’aucune rémunération spécifique n’ait été prévue. » (ibid.) Sachant que les contestations soulevées par Laval et LMCU portent sur des swaps et qu’à la différence de Laval LMCU est considérée comme un client averti, il ne nous semble pas cohérent d’exonérer DEPFA BANK de son obligation de conseil à l’égard de Laval.

Mais au-delà de ce cas de figure où il n’est question que de swaps, nous pensons qu’il serait légitime et judicieux d’étendre le devoir de conseil de la banque, non seulement à tous les contrats d’échange de taux mais également à tous les contrats de produits structurés, dans la mesure où « ces contrats intègrent dans un seul et même contrat un emprunt et un ou plusieurs produits dérivés Dérivés
Dérivé
Dérivé de crédit : Produit financier dont le sous-jacent est une créance* ou un titre représentatif d’une créance (obligation). Le but du dérivé de crédit est de transférer les risques relatifs au crédit, sans transférer l’actif lui-même, dans un but de couverture. Une des formes les plus courantes de dérivé de crédit est le Credit Default Swap.
, sous la forme le plus souvent d’une vente d’option(s) par l’emprunteur. »
 [2] Cette position est également défendue par de nombreux juristes, notamment Jeanne Dartevelle du cabinet Houdart et Associés [3].

Enfin, il faut savoir que les commerciaux des banques agissent très souvent dans le cadre de démarchage pour proposer leurs produits et leurs services aux acteurs publics locaux. À ce titre, ils sont tenus d’un devoir de conseil et doivent respecter les règles de bonne conduite énumérées à l’article L. 341-11 du code monétaire et financier, notamment en s’enquérant de la situation financière de la collectivité, de son expérience et de ses objectifs en matière de financement. On imagine mal, tant en ce qui concerne les emprunts que les swaps, les représentants des collectivités solliciter explicitement et en connaissance de cause des produits risqués.

Sous la crédulité (de la marionnette commerciale), le dol (de ceux qui tirent les ficelles)

Aucune des deux juridictions ne retient le dol. Pourtant, selon nous, les juges auraient dû se montrer plus scrupuleux et opérer une double appréciation en cette matière en distinguant d’un côté la situation des commerciaux en charge de proposer les emprunts toxiques, et de l’autre celle de la haute direction de la banque ainsi que celle des concepteurs de ces produits et de leurs supports de communication. En effet, la bonne foi du commercial de Dexia ne fait pas de doute lorsqu’il déclare à propos du taux du prêt « qu’il n’imaginait pas que cela pourrait partir « à vau l’eau » » (p . 17). Et quand il rappelle, à juste titre, « que son travail ne consistait pas à concevoir les produits mais à identifier les besoins des communes et à faire en sorte que Dexia, prêteur historique des collectivités locales continue de l’être » (ibid.), il pointe, probablement sans le vouloir, la responsabilité des départements et des services à l’origine de ces produits risqués ainsi que celle des dirigeants qui ont décidé de les commercialiser avec force communication. C’est à ce niveau-là, celui de la conception, de la stratégie de communication et de la décision de commercialisation, que l’on doit rechercher et trouver les preuves d’un dol à l’égard des collectivités.

Force est de constater que les juges se sont montrés bien conciliants à l’égard de la banque. Pour le TGI de Nanterre, l’intitulé de la présentation des caractéristiques du prêt « « la solution taux fixe-Dual Euro/CHF » ne peut être qualifié de volontairement trompeur. En effet, il est rigoureusement exact que le contrat comprenait dans une première phase un taux fixe puis un taux fixe conditionné en fonction d’indices sous-jacents. » (pp. 16-17) Quatre années de « vrai » taux fixe sur les 28 années de l’emprunt sont insignifiantes à nos yeux pour justifier le qualificatif « taux fixe » du contrat. De même, la position du tribunal nous semble difficilement défendable lorsque celui-ci, nous la jouant Française des jeux, considère que « la présentation du taux de barrière retenu comme étant un profil sécurisé était certes un pari optimiste mais pas un mensonge. » (p. 17)

Le TGI de Paris rejette la demande d’annulation du contrat qu’il considère « irrecevable comme prescrite » (p. 10), tout en relevant que « le dol et l’erreur invoqués par la ville… relèvent plus du défaut d’information. » (ibid.) Les propositions commerciales de la banque sont pourtant très trompeuses, notamment lorsqu’il est indiqué à propos de la formule de calcul du taux, « le paiement est en euros « donc sans risque de change » » (p. 13) ou encore « nous vous présentons le produit avec une barrière de 1,42 qui nous paraît en conséquence très sécuritaire » (ibid.). Belle preuve d’un optimisme béat si l’on sait que le 31 janvier 2016 un euro ne valait plus 1,42 franc suisse mais… 1,10 franc suisse… une parité qui présente le léger inconvénient de porter le taux du prêt à… 31,03 %, excusez du peu. Et lorsque Dexia affirme dans sa proposition « le paiement est en euros « donc sans risque de change » », elle fait preuve d’une malhonnêteté crasse et d’une duplicité manifeste. Si la banque prend bien soin d’insister sur le fait que le paiement effectué en euros par l’emprunteur ne l’expose pas à un risque de change, c’est pour mieux lui dissimuler qu’il est exposé à un risque lié à l’évolution du cours de change, une nuance que les têtes pensantes de Dexia avaient bien comprise à la différence de leurs candides emprunteurs embobinés par les discours rassurants de leurs aigrefins de prêteurs.

La perte de chance… ou fifty fifty pour régler le rififi

Il est des chiffres qui portent leur poids de mystère mais n’en sont pas moins générateurs d’effets pour le bas-peuple. Nous avions les 3 % de déficit public maximum du produit intérieur brut PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
, gravés dans le marbre frelaté des critères de convergence du traité de Maastricht [4] et destinés à justifier les politiques d’austérité, voilà que nos juges civils viennent de nous sortir de leur robe un nouveau chiffre tout aussi arbitraire que cabalistique : 50 %, un pourcentage supposé estimer le préjudice de perte de chance des collectivités asphyxiées par les surcoûts des emprunts toxiques… et leur laisser à charge une bonne part de ces surcoûts. Les chiffreurs de ce préjudice fifty fifty se sont montrés peu loquaces pour expliciter et justifier leur calcul au doigt mouillé, mais nous allons essayer de reconstituer les fondements et présupposés de leur évaluation.

Dans leur décision, les jugent de Nanterre énoncent :

« L’évaluation du préjudice de perte de chance est, en effet, nécessairement fonction de l’estimation du pourcentage de chance perdue en lien direct avec les manquements constatés. Ne peut de surcroît être pris en compte qu’un préjudice actuel et certain. » (p. 19)

Il semblerait ici que soit mesurée la part de responsabilité de la banque résultant de ses manquements. Mais le paragraphe suivant vient vite apporter quelques « circonstances atténuantes » de nature à contrebalancer cette part de responsabilité :

« À cet égard, il convient, en l’espèce, de tenir compte dans la détermination de la chance perdue, du caractère brutal de la baisse du cours de change de l’euro/CHF et de la survenue en 2008 de la crise économique dont l’importance n’avait guère été anticipée par les marchés financiers ; cette conjoncture est d’ailleurs encore susceptible d’évoluer d’ici la survenue du terme du prêt qui n’a pas été résilié. Il convient également de prendre en considération que même si la commune a pu être convaincue par la confiance qu’elle portait à son prêteur historique de contracter un prêt que ses compétences ne lui permettaient nullement de comprendre, la prudence aurait dû légitimement la conduire à s’abstenir de conclure un acte complexe et opaque. Il convient enfin de prendre en compte que si la commune n’avait pas souscrit un prêt structuré mais un prêt classique à taux fixe en 2007 alors qu’elle était déjà engagée dans un prêt structuré, elle aurait logiquement dû assumer un taux bien plus important que celui appliqué jusqu’en 2010. » (ibid.)

Dans ce paragraphe, pour atténuer la responsabilité de la banque dans l’origine du préjudice, les juges retiennent trois arguments : la survenue de la crise économique, le manque de prudence de la collectivité, enfin le bénéfice retiré par la collectivité résultant de l’application du taux bonifié au cours des trois premières années de l’emprunt. Ces trois arguments présentés implicitement comme autant de justifications à l’atténuation de la responsabilité de la banque nous paraissent contestables et disons-le quelque peu malséants. Tout d’abord, les effets négatifs de la crise économique, « dont l’importance n’avait guère été anticipée par les marchés financiers », semblent à nos yeux relever davantage du ressort et des compétences de la banque que de ses emprunteurs. Ensuite, le manque de prudence de la collectivité peut s’expliquer par la relation de confiance nouée par la banque avec son prêteur historique. Il est un peu trop facile de laisser porter le chapeau à la collectivité car cela revient à faire peu de cas des obligations de la banque, notamment en matière d’information et de mise en garde, pour s’en tenir aux seules obligations retenues par les juges. Enfin, que pèsent 4 années de taux bonifié à côté de 24 années de taux démesurément élevés ou à côté d’une soulte exorbitante.

La nature des éléments pris en compte par les juges pour évaluer le préjudice, leur choix d’attribuer la responsabilité de certains de ces éléments à l’un ou l’autre des deux camps, et enfin le chiffrage final de la perte de chance qui découle de cette interprétation arbitraire ne nous semblent pas relever d’une appréciation juste et équitable. Comment expliquer alors une telle situation ?

Des décisions tributaires du « contexte » du fonds de soutien ?

Les juges de Nanterre ont rendu leur décision le 25 juin 2015, soit trois semaines après la publication du décret n° 2015-619 du 4 juin 2015 modifiant le décret n° 2014-444 du 29 avril 2014 relatif aux modalités de fonctionnement du fonds de soutien. À cette époque, les juges ne pouvaient ignorer les premières estimations d’aide aux collectivités (notamment les petites et moyennes) qui faisaient état d’une prise en charge représentant souvent plus de la moitié de l’indemnité de remboursement anticipé due au titre du dénouement des emprunts toxiques. Sans vouloir voir le mal partout ou sombrer dans la théorie du complot, le précédent de l’inique loi de validation nous a quelque peu vaccinés quant à l’honnêteté et la loyauté du gouvernement. De même, l’issue pour le moins étonnante de récents procès – nous pensons ici à la décision du tribunal correctionnel de Paris dans le procès contre François Pérol pour prise illégale d’intérêts [5] – nous a amenés à nous demander si le « contexte » du fonds de soutien n’avait pas eu quelque influence sur les décisions de justice. Dans ces conditions, comment ne pas suspecter la décision des juges estimant le préjudice de perte de chance à 50 % des surcoûts, un niveau inférieur à celui de la prise en charge des coûts de dénouement par le fonds de soutien, d’être une incitation pour les collectivités à privilégier le recours aux protocoles et au fonds de soutien, de préférence à une action en justice censée « moins leur rapporter ». Le fait que les tribunaux diffèrent actuellement leurs décisions en attendant de connaître l’aboutissement des négociations entre les collectivités locales, l’État et les banques dans le cadre des aides au titre du fonds de soutien semble confirmer cette hypothèse [6].

Chassez le caractère spéculatif du contrat par la porte et il revient par la fenêtre

Les juges ont opté pour une interprétation « littérale » consistant à voir dans les produits structurés des instruments de couverture et trouver ainsi un argument commode permettant de leur dénier un caractère spéculatif. Mais cette posture facile montre bien des limites.

Dans leur empressement à dénier au contrat tout caractère spéculatif et éviter ainsi une annulation préjudiciable aux banques, les juges ont apporté, « à l’insu de leur plein gré », un peu d’eau au moulin de la thèse que de nombreux juristes défendent et selon laquelle les emprunts toxiques sont des contrats spéculatifs [7]. Ce retour du refoulé peut être résumé par le mot « illimité » utilisé pour qualifier le risque ou par l’expression « absence de plafond » à propos du taux d’intérêt. Et cet impensé prend tout son sens lorsqu’on prend soin de le mettre en regard avec deux décisions de 2011 et 2012 relatives à un litige entre la ville de Saint-Etienne et Royal Bank of Scotland (RBS). Mais avant d’évoquer le cas stéphanois, attachons-nous aux affaires relatives à Saint-Cast-le-Guildo et Laval.

Le risque était d’autant plus grand que la formule de taux prévoyait de multiplier par 50 % le taux de variation du cours de change entre l’euro et le franc suisse

S’il ne reconnaît pas un caractère spéculatif au contrat souscrit par Saint-Cast-le-Guildo, le TGI de Nanterre, apporte quelques éléments de nature à autoriser la critique de son point de vue, notamment lorsqu’il relève :

« En contractant, la commune est donc devenue emprunteur mais aussi acteur des marchés financiers prenant un risque certain lié à la fluctuation des conditions de marché et des cours de change.

Mais ce risque était d’autant plus grand que la formule de taux prévoyait de multiplier par 50 % le taux de variation du cours de change entre l’euro et le franc suisse, rendant ainsi exponentielle l’augmentation du taux d’intérêts en cas de baisse du cours de change, et ce sans aucun plafond. » (p. 12)

Le juge revient un peu plus loin sur ce point essentiel :

« Il résulte, en outre, de l’examen de l’ensemble de la documentation qu’il n’est nulle part fait mention du caractère potentiellement illimité de l’augmentation du taux d’intérêt et que ne sont à aucun moment envisagées les situations les moins favorables dans lesquelles le taux pouvait largement excéder les taux du marché dans l’hypothèse d’un franchissement significatif du point de barrière. Même le test de sensibilité invoqué par la banque et dont elle ne prouve au demeurant pas la réception par la commune, ne permet pas de présenter cet inconvénient et d’expliquer l’effet de levier Effet de levier L’effet de levier désigne l’effet sur la rentabilité des capitaux propres d’une entité (entreprise, banque, etc.) qu’aura son recours à l’endettement (elle augmentera lorsque le coût de l’endettement sera inférieur à l’augmentation des bénéfices obtenus grâce à lui, et inversement). Le ratio de levier calcule le rapport entre les fonds propres d’une telle entité et le volume de ses dettes. Les banques ont progressivement augmenté cet effet de levier avec la libéralisation financière, c’est-à-dire que pour 1000 euros de capital le nombre d’euros qu’elles ont pu emprunter a considérablement augmenté. … » (p. 17)

Le TGI de Paris est encore plus explicite concernant le caractère illimité du risque. Dans les motifs de sa décision, il précise :

« La proposition ne comporte cependant aucune information de ce que le risque pris par la commune de Laval est potentiellement illimité en cas de franchissement de cette barrière. » (p. 13)

Dans les pages 14 à 16, le risque « illimité » (ou « sans limite ») est mentionné à huit reprises et la référence à l’absence de plafond est évoquée.

C’est précisément l’absence de plafond du taux et le caractère illimité du risque qui nous renvoient aux deux décisions relative au litige opposant Saint-Etienne à Royal Bank of Scotland à propos de contrats de swaps. Suite à l’assignation de la collectivité par la banque, le 24 novembre 2011, le TGI de Paris a rendu un jugement en référé déboutant Royal Bank of Scotland qui exigeait de la ville le paiement de ces intérêts. Dans les attendus de leur décision, les juges estiment que « les mécanismes de financement ou swaps vendus aux collectivités territoriales se sont révélés être des produits spéculatifs à haut risque et dont la légalité est aujourd’hui sérieusement contestée devant les juges du fond ». Et ils concluent : « Dès lors, il ne nous apparaît pas que la cessation du versement des échéances de ses emprunts par la ville de Saint-Étienne doive être considérée comme constituant un trouble manifestement illicite. »

Le 6 décembre 2011, Royal Bank of Scotland a interjeté appel de cette décision. Dans un arrêt du 4 juillet 2012, la cour d’appel de Paris l’a une nouvelle fois déboutée. Après lui avoir reproché d’éluder le mécanisme, de dénaturer les dispositions et tenter de s’affranchir d’une condition de l’article 809 du Code de procédure civile sur lequel repose sa demande, la cour souligne que la force légale du contrat ne vaut « que pour autant que la licéité de la convention ne soit pas entachée d’une contestation sérieuse », et elle indique aussitôt :

« Que tel n’est pas le cas en l’espèce dès lors qu’il n’est pas contesté que les prêts en cause sont soumis, après une première période de taux fixe, à un taux variable, sans qu’aucun plafond de ce taux ne soit prévu, ce qui contrevient à l’interdiction pour ces collectivités de souscrire des contrats spéculatifs et renvoie aux conditions de passation de ces prêts au regard notamment de cette contrainte légale et de l’obligation de conseil de la Royal Bank. »

Ce passage est capital, car il est dit que les produits structurés sans aucun plafond peuvent être considérés comme des contrats spéculatifs, et que leur signature contrevient à l’interdiction faite aux collectivités de souscrire de tels contrats. La cour en profite pour rappeler à la banque son obligation de conseil en la matière. Du fait de cette obligation, la banque n’aurait pas dû proposer à la collectivité de signer de tels contrats et, en y contrevenant, elle a engagé sa responsabilité.

Même si en l’espèce le litige concernait des instruments de couverture, et non un emprunt, nous pensons que cette jurisprudence peut être étendue aux contrats d’emprunts structurés qui comportent des swaps ou dont les index, à l’instar de ceux des swaps, sont susceptibles de générer des taux exorbitants du fait de l’absence de plafond. C’est bien ce qui ressort de la décision de la Cour d’appel du 4 juillet 2012 qui précise :

« … dès lors qu’il n’est pas contesté que les prêts en cause sont soumis, après une première période de taux fixe, à un taux variable, sans qu’aucun plafond de ce taux ne soit prévu, ce qui contrevient à l’interdiction pour ces collectivités de souscrire des contrats spéculatifs… »

C’est bien au plafond du taux des prêts que la Cour se réfère dans son arrêt lorsqu’elle évoque l’interdiction pour les collectivités de souscrire des contrats spéculatifs. Dans la mesure où, pour des raisons qui nous échappent, les élus de Saint-Etienne ont préféré opter pour une négociation amiable du litige au lieu de laisser RBS les attaquer devant la Cours de cassation, la décision de la Cour d’appel de Paris reste toujours d’actualité [8].

Nous aurions pu discuter bien d’autres points des décisions des juges contestables à nos yeux, notamment le refus de considérer les clauses prévoyant les indemnités de remboursement comme des clauses abusives ou présentant un caractère déséquilibré.

Quand les juges se décideront-ils à reconnaître enfin aux emprunts structurés et aux swaps reposant sur des formules complexes immaîtrisables le caractère spéculatif qui les caractérise ? Comment peut-on persister à voir dans ce type de contrats un instrument de couverture, lorsque dans sa proposition à la ville de Laval du 19 octobre 2007 citée par le TGI de Paris, DEPFA écrit à propos du swap :

« dans ce contexte et compte tenu du gain de valorisation réalisé depuis un an, nous vous conseillons de
“ prendre les bénéfices” sur cette stratégie en effectuant un arbitrage vers une opération plus simple, dès lors que cette dernière entre dans vos objectifs”.
 » (p. 11) « Prendre les bénéfices »… et se tirer, serait-on tenter d’ajouter, est-ce une formulation qui sied à un souci de couverture ? N’est-on pas plutôt en présence de la verbalisation d’une intention spéculative ?

Plutôt que de focaliser leur attention sur l’assiette de l’instrument de couverture afin de mesurer si elle n’excède pas l’encours réel de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, ce qui dans l’affirmative constituerait une opération spéculative, les juges ne seraient-ils pas mieux inspirés de regarder du côté des soultes – dont les montants colossaux peuvent représenter plus de trois fois le montant des emprunts qu’elles ont vocation à dénouer – pour prendre enfin conscience qu’il n’est pas question de couverture, d’assurance ici, mais de pari spéculatif. En réalité, les swaps et les emprunts structurés dont les taux sans plafond exposent les collectivités à un risque illimité sont des opérations spéculatives dissimulées sous les habits d’instruments de couverture, et l’aléa invoqué par la banque est bel et bien un risque qui refuse de dire son nom. Car loin de couvrir un risque, les produits structurés en créent un pour les emprunteurs.

Dans la préface de son livre, Flexible droit, dont le titre a inspiré celui de notre article, le doyen Jean Carbonnier écrivait : « Le droit est trop humain pour prétendre à l’absolu de la ligne droite » [9]. Tout en partageant ce constat, nous avons voulu avec cet article attirer l’attention sur les dangers et les méfaits pour les justiciables de trop d’élasticité en matière de décisions de justice. Nous nous sommes attachés à pointer les contradictions des décisions des juges, souligner le caractère spéculatif des contrats contestés, enfin donner des arguments de droit aux acteurs publics locaux dans leur légitime action en justice contre les banques.

Annexe

Tableau récapitulatif faisant ressortir quelques contradictions des décisions de justice

TribunalTGI de ParisTGI de ParisTGI de Nanterre
Collectivité LMCU Laval Saint-Cast-le-Guildo
Banque RBS DEPFA DEXIA
Date de la décision 28/01/2014 7/01/2016 26/06/2015
Type de produit Swaps Swaps Emprunt structuré
Collectivité = client averti Oui Non Non
Banque = PSI Oui Oui Non
Obligation d’information Oui Oui Oui
Respect de cette obligation Non Non Non
Devoir de conseil Oui Non Non
Respect de ce devoir Non / /
Obligation de mise en garde Non Oui Oui
Respect de cette obligation / Non Non
Caractère spéculatif du produit Non Non Non

Notes

[1Les RCCI et les RSSI ont pour mission de veiller à la conformité au sein des PSI (au sein des sociétés de gestion pour les premiers, dans celles qui n’ont pas ce statut pour les seconds).

[2Cour des Comptes, ’Les risques pris par les collectivités territoriales et les établissements publics locaux en matière d’emprunt’ in Rapport public annuel, 2009, p. 254.

[3Jeanne Dartevelle, « Emprunts toxiques : un swap ne fait pas le printemps », 4 février 2014, http://www.houdart.org/blog/emprunts-toxiques-un-swap-ne-fait-pas-le-printemps

[5Le 24 septembre 2016, le tribunal correctionnel de Paris a déclaré François Pérol non coupable des faits de prise illégale d’intérêts pour lesquels il était poursuivi. La procureure de la république a fait appel de cette décision, suivie par les syndicats Sud et Cgt.

[6Voir l’article de Fabienne Proux, « Le fonds de soutien retarde les procédures judiciaires », http://www.lagazettedescommunes.com/420954/emprunts-toxiques-le-fonds-de-soutien-retarde-les-procedures-judiciaires/

[7Voir notamment Patrick Saurin, « Pourquoi les emprunts toxiques sont spéculatifs ».

[8Sur les décisions de justice, voir Patrick Saurin, Les prêts toxiques : une affaire d’Etat, Demopolis & CADTM, Paris, 2012, pp. 155-170 et l’article cité à la note précédente, « Pourquoi les emprunts toxiques sont spéculatifs ».

[9Jean Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, Paris, 2007, p. 8.

Patrick Saurin

a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ».
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.

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