En direct de la COP21 – Brève 2

9 décembre 2015 par Rémi Vilain


La « nef Curial » de la ZAC.

Deuxième épisode de notre mini-série « En direct de la COP21 » aujourd’hui consacré aux deux premiers jours de la Zone d’Action Climat (ZAC), entre conférences, assemblées générales, point sur le déroulement des « négociations » au Bourget et dernières informations sur les mobilisations de la fin de semaine.



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Lundi 7 décembre : Ouverture de la ZAC au 104 à Paris :

Suite au « Village mondial des alternatives » et le « Sommet Citoyen pour le Climat » du week-end dernier à Montreuil, le second espace dédié à la mobilisation citoyenne pour une justice climatique a ouvert ses portes ce lundi 7 décembre. Dans cette immense espace où se tient habituellement expositions et autres spectacles, le 104 a revêtu ses habits militants pour se transformer en un lieu de discussion, à la fois pour dénoncer les pratiques des multinationales actuelles et pour mettre en avant les luttes locales aux quatre coins de notre planète. De nombreuses banderoles et autres créations artistiques nous plantent directement le décor, les slogans foisonnent sur les murs : « changeons le système, pas le climat » ; « état d’urgence climatique » ou encore « Capitalisme et néocolonialisme ne sauveront pas le climat #Justice Climatique ».

Banderoles exposées à la ZAC

Après une petite balade pour découvrir les lieux qui m’entoureront jusqu’au vendredi 11 décembre, je me dirige vers le premier atelier qui a retenu mon attention proposé par la Via Campesina « Industrialisation de l’agriculture, fausses solutions aux dérèglements climatiques ». Pas de chance, personne ne se présente, les organisateurs n’ont aucune nouvelle, la présentation est donc annulée. Ce sera d’ailleurs le cas pour trois des cinq espaces auxquels j’ai souhaité participer lors de cette première journée qui commence donc au petit trot. Après une autre annulation, j’assiste finalement à une conférence de Oil Watch Africa sur l’extractivisme Extractivisme Modèle de développement basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique. , « Nos voix, notre pouvoir : laisser les fossiles africains dans le sol ». De nombreux délégués du Mozambique, d’Ouganda, d’Afrique du Sud ou encore du Nigéria se succèdent pour présenter les conséquences catastrophiques sur l’environnement et les populations des extractions fossiles (pétrole, gaz, fracturation hydraulique) et de la déforestation causées par ces multinationales criminelles que l’on ne présente même plus, BP et Shell pour ne citer qu’eux. Ils établissent aussi un lien intéressant et explicite entre l’asséchement du Lac Tchad au carrefour du Niger, du Nigéria et du Tchad, conséquence directe du changement climatique et l’accroissement des gangs criminels de Boko Haram et d’autres dans la région. En effet, nombreuses sont les populations dépourvues de ressources hydriques, impactant directement leurs récoltes. Rejoindre ces bandes armées devient pour elles une nécessité, puisqu’en dépit des exactions qu’elles commettent, les pillages leur assurent de quoi survivre.

Un représentant d’Oil Watch qui expose les conséquences de l’extractivisme

Je me dirige ensuite dans la salle 200, plus grand espace de conférence du 104 pour une conférence qui revient sur le scandale Volkswagen révélé en septembre 2015 et sur la soi-disant politique écologique de l’Allemagne. Organisé par la fondation Rosa Luxembourg de Bruxelles, l’objectif était clair, déconstruire le mythe allemand. Souvent considéré comme un modèle, la politique du gouvernement allemand n’a pourtant rien à envier sur les plans économiques, écologiques et sociaux. Entre volte-face constants sur l’accueil des réfugiés climatiques et politiques, mise à mal de la Grèce au cours de ces dernières années et donc le scandale Volkswagen, voici quelques une des parties visibles de l’iceberg néolibéral allemand. Les intervenants insistent dans un premier temps sur la connivence entre les entreprises automobiles allemandes et les membres du gouvernement, tous deux étant très conscients des fraudes sur les émissions polluantes. Ils faisaient ensuite le lien avec son économie s’appuyant très fortement sur les exportations, notamment automobile, et l’inadéquation de fait avec la promotion de nouvelles énergies propres, puisque d’une part cela pose de nombreux problèmes au niveau du développement et la protection de l’environnement et d’autre part contribue à promouvoir le transport individuel. Pour finir, Sabine Minninger mettait en lumière les « engagements » d’Angela Merkel pour la COP21. Alors que cette dernière parlait d’une décarbonisation du secteur, elle n’a jamais pour autant évoqué publiquement la fin de l’exploitation minière de charbon. Bref, les solutions pour contrecarrer les changements climatiques ne se trouvent définitivement pas du côté des autorités de notre voisin allemand.

De gauche à droite : Stefan Kroll ancien employé de VW, Tadzio Müller, Sabin Minninger et Alexis Passadakis

En point d’orgue de cette fin journée, l’assemblée générale quotidienne de la Coalition Climat 21. Celle-ci est divisée en trois parties, une première séance de conférence-débat, ce lundi à propos de « Guerre, Paix, Militarisation » à laquelle je n’ai pu assister, une seconde partie revenant sur les négociations en cours au Bourget et un dernier volet sur les mobilisations et actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
à venir les 11 et 12 décembre prochain.

Sur le plan des négociations, c’était au tour des Etats-Unis de présenter leur discours à la COP21. Ce qu’il en ressort est plus qu’inquiétant puisque le mot « énergie » n’a été cité qu’une fois, et tenez-vous bien, il était question d’énergie atomique ! Exit donc les énergies propres et les énergies renouvelables des discussions en cours. A propos du soi-disant « accord contraignant », nous sommes-là face à une vaste supercherie (ou fumisterie, c’est selon). Les Etats ne s’engagent qu’envers eux-mêmes et respecteront donc leurs « propres engagements » selon leur bon vouloir, sans pressions ni droit de regard des autres Etats. Enfin, aucune avancée sur le plan de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
écologique, puisque les Etats-Unis ne reconnaissent aucune responsabilité des pays industrialisés dans les changements climatiques ! Bref, préparez vos crèmes solaires, coupe-vent et bottes de guindaille, on se dirige tout droit vers un réchauffement de 3°C d’ici 2050 !

L’assemblée générale du lundi 7 décembre à la nef Curial du 104

Mardi 8 décembre : Femmes unies et Assemblée de convergence des luttes

Certains espaces de conférences étant décentralisés en dehors du 104, je me retrouve pour la matinée dans le 11e arrondissement pour assister à un espace de discussion organisé par WoMin African Gender and Extractives Alliance qui s’intitule « Les femmes unies pour l’énergie alimentaire et la justice climatique ». Celui-ci se tient dans la salle Olympe de Gouges, figure féminine française de la révolution et de lutte féministe.

Déclaration d’Olympe de Gouges

Disposé en cercle, cette conférence interactive se voit succéder les témoignages de nombreux pays. Des représentant.e.s du Brésil reviennent sur « leur Fukushima » causé par la multinationale Vale, du Malawi et du Lesotho victimes de l’accélération du rythme des sécheresses, du Nigeria impacté par l’extraction pétrolière de Shell ou encore de l’Afrique du Sud aux mains de l’agro-business où des paysan.ne.s subissent de plein fouet l’interdiction des semences traditionnelles au profit des OGM OGM
Organisme génétiquement modifié
Organisme vivant (végétal ou animal) sur lequel on a procédé à une manipulation génétique afin de modifier ses qualités, en général afin de le rendre résistant à un herbicide ou un pesticide. En 2000, les OGM couvraient plus de 40 millions d’hectares, concernant pour les trois-quarts le soja et le maïs. Les principaux pays producteurs étaient les USA, l’Argentine et le Canada. Les plantes génétiquement modifiées sont en général produites intensivement pour l’alimentation du bétail des pays riches. Leur existence pose trois problèmes.


- Problème sanitaire. Outre la présence de nouveaux gènes dont les effets ne sont pas toujours connus, la résistance à un herbicide implique que le producteur va multiplier son utilisation. Les produits OGM (notamment le soja américain) se retrouvent gorgés d’herbicide dont dont on ignore les effets sur la santé humaine. De plus, pour incorporer le gène nouveau, on l’associe à un gène de résistance à un antibiotique, on bombarde des cellules saines et on cultive le tout dans une solution en présence de cet antibiotique pour ne conserver que les cellules effectivement modifiées.


- Problème juridique. Les OGM sont développés à l’initiative des seules transnationales de l’agrochimie comme Monsanto, pour toucher les royalties sur les brevets associés. Elles procèdent par coups de boutoir pour enfoncer une législation lacunaire devant ces objets nouveaux. Les agriculteurs deviennent alors dépendants de ces firmes. Les États se défendent comme ils peuvent, bien souvent complices, et ils sont fort démunis quand on découvre une présence malencontreuse d’OGM dans des semences que l’on croyait saines : destruction de colza transgénique dans le nord de la France en mai 2000 (Advanta Seeds), non destruction de maïs transgénique sur 2600 ha en Lot et Garonne en juin 2000 (Golden Harvest), retrait de la distribution de galettes de maïs Taco Bell aux USA en octobre 2000 (Aventis). En outre, lors du vote par le parlement européen de la recommandation du 12/4/2000, l’amendement définissant la responsabilité des producteurs a été rejeté.


- Problème alimentaire. Les OGM sont inutiles au Nord où il y a surproduction et où il faudrait bien mieux promouvoir une agriculture paysanne et saine, inutiles au Sud qui ne pourra pas se payer ces semences chères et les pesticides qui vont avec, ou alors cela déséquilibrera toute la production traditionnelle. Il est clair selon la FAO que la faim dans le monde ne résulte pas d’une production insuffisante.
’s imposés par le gouvernement et Monsanto, Syngenta & co. Les interventions sont poignantes, les problèmes évoqués divers et nombreux, la volonté elle est commune : unité et solidarité pour faire face aux multinationales et aux changements climatiques !

Les femmes s’unissent pour l’énergie alimentaire et la justice climatique

Après une pause casse-croûte prise à la hâte, j’avance désormais vers le CICP (Centre International de Culture Populaire) où nous sommes invités par la campagne Dismantle Corporate Power and Stop Impunity (Démanteler le pouvoir des entreprises et stopper l’impunité) à une Assemblée de convergence sur le commerce climatique. Plus d’une quarantaine d’organisations sont présentes, la ViaCampesina, Corporate Europe Observatory, Attac, etc. Camille Chalmers (Haïti), Sushovan Dhar (Inde) et moi-même représentons le CADTM.

Cette assemblée est à la fois l’occasion de revenir sur les liens existants entre la création de l’OMC OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
(Organisation Mondiale du Commerce) en 1995 ; l’apparition des traités de libre-échange synonymes d’accroissement du pouvoir des multinationales au détriment de la souveraineté des Etats et des peuples comme l’annonce notamment le TTIP entre l’UE et les Etats-Unis ou l’ALE entre l’UE et le Maroc [1] ; et la destruction de l’environnement liée à l’accroissement massif des investissements et de la production industrielle. Le but de cette assemblée est donc clair, imaginer à nouveaux nos espaces politiques et sociaux pour se libérer du capitalisme et des forces anti-démocratiques. Pour y faire face, la convergence de nos luttes est donc primordiale.
Après une présentation non-exhaustive, faute de temps, des organisations présentes et de leurs luttes, nous nous sommes réunis en différents groupes afin de partager nos luttes et de définir un agenda commun de rencontre et de création dans l’année à venir. Pour résumer brièvement le résultat de ces groupes de travail, quatre points ont été dressés.

Représentantes et représentants réunies à l’Assemblée de convergence au CICP

En premier lieu la nécessité d’établir des connexions entre les traités commerciaux et les changements climatiques. Ensuite, établir une analyse commune à la fois des problèmes liées aux exploitations des multinationales mais aussi des moyens de lutte pour protéger les droits des populations et rétablir un équilibre vital pour ces dernières et notre planète. Par ailleurs, mener des actions symboliques à l’image des réquisitions de chaises dans les banques de ces derniers mois ou encore d’une caravane climatique à l’image de la caravane féministe [2]. Enfin construire des alternatives et des modèles alternatifs d’intégration, qui pourrait se présenter sous forme de traité contraignant. Cette construction des mouvements se fera régulièrement jusque novembre 2016 et établira un agenda commun où il sera notamment question d’inclure les luttes autour de la dette.

Petit point sur les mobilisations et manifestations du week-end :
Pour la dernière étape de ce mardi 8 décembre, nous sautons dans le métro pour assister à la seconde partie de l’assemblée générale à la ZAC. Rien de bien nouveau sur les négociations, toujours aussi inquiétant, le point qui lui est consacré résume l’intervention de la veille (vous vous souvenez, crème solaire et bottes de guindailles à prévoir).

Sur le plan des mobilisations, seules les informations qui peuvent être dites publiquement nous sont partagées. Une chose est sûre, ça va bouger ! Le vendredi 11 s’annonce comme prévu comme une journée d’action dans le cadre des Climate Games [3] tandis que plusieurs mobilisations sont prévues pour le samedi 12. En matinée, une mobilisation « géolocalisation » est organisée par Les Amis de la Terre, tandis que l’après-midi il faudra clairement s’habiller tout en rouge avant plus d’informations, pour finalement se réunir en fin de journée au stade Charlety, un des symboles de mai 68, entre mobilisations et concerts !

Voilà c’est tout pour aujourd’hui, je vous laisse avec une photo-surprise prise boulevard Voltaire, et promis, je n’y suis pour rien !

Effaçons la dette ! Pas la planète ! Boulevard Voltaire à Paris – Signé.e : Un.e inconnu.e avisé.e

Notes

[1Voir ALE de l’UE contre le peuple-classe 99% du Maroc : http://cadtm.org/ALE-de-l-UE-contre-le-peuple

[2Voir : Soutenez l’action 2015 de la Marche Mondiale des Femmes : http://cadtm.org/Caravane-feministe-Soutenez-l

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