France : Prêts toxiques

Engager le bras de fer

5 octobre 2014 par Patrick Saurin


Entretien publié dans la Nouvelle République d’Indre-et-Loire du 1er octobre dernier, où Patrick Saurin répond à des questions sur les prêts toxiques.



Est-il raisonnable de bloquer, comme l’a fait le maire de Loches, les remboursements de l’emprunt toxique au taux d’usure ?

Patrick Saurin : « Les collectivités qui ont décidé de refuser de payer des emprunts à des taux prohibitifs ont interrompu dans la plupart des cas le règlement de leurs échéances, en les provisionnant le plus souvent, laissant ainsi les banques les assigner en justice. Le maire de Loches a décidé de bloquer les remboursements du prêt contesté au taux d’usure. Il aurait pu les bloquer au taux légal qui est encore plus faible. Mais peu importe, l’essentiel est qu’il ait pris la décision d’engager le bras de fer contre les banques. L’attitude de Marc Angenault est à mes yeux non seulement raisonnable mais surtout civique et conforme à l’attitude que doit avoir un maire en charge de la défense des intérêts de sa collectivité et de ses administrés ».

Quelle issue une collectivité comme Loches peut-elle trouver alors même que la Chambre régionale des comptes a jugé qu’après 2017, elle se trouverait dans une « impasse » ?

« La seule issue selon moi consiste à refuser le hold-up des banques et à agir en justice, car la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
toxique de la collectivité est tout à la fois illégale et illégitime. Cette dette doit être annulée ou tout au moins voir le taux de ses emprunts remplacé par le taux légal. Le maire doit associer à son action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
non seulement les membres du conseil municipal, mais également l’ensemble des habitants de Loches qui pourraient constituer un collectif d’audit citoyen pour suivre ce dossier, comme cela s’est fait dans beaucoup de collectivités. J’invite les habitants de Loches à étudier avec les élus l’état de la dette de leur collectivité et à chiffrer le surcoût que Dexia et la Sfil [son “ héritière ”, NDLR] veulent faire supporter à la ville. Ils pourront alors vérifier que ce surcoût représente plusieurs points de fiscalité locale et plusieurs emplois publics locaux. »

Est-ce à votre avis une bonne façon d’engager un rapport de force avec la Société de financement local ?

« Il n’y a selon moi pas d’autre façon que de suspendre ou de réduire le montant du versement des échéances et d’engager un rapport de force si la collectivité souhaite faire respecter ses droits. Comme dans les luttes sociales, les négociations “ à froid ” ne donnent rien. Les médiations ou les accords négociés avec les banques se sont le plus souvent des pièges. En effet, l’enjeu de ces renégociations est de déterminer qui va payer la fameuse soulte, c’est-à-dire l’indemnité qui permet de mettre un terme au prêt toxique. Dans la plupart des cas, les banques consolident le montant de cette indemnité au capital du nouveau prêt réaménageant l’ancien, tout en procédant à un allongement de durée très significatif. C’est ici que se trouve l’escroquerie : la commune paye une échéance moins importante que celle du prêt toxique, mais elle va rembourser sur une durée beaucoup plus longue. L’indemnité n’est pas payée en une seule fois, ce qui serait trop visible, mais son paiement est étalé dans le temps. Le surcoût pour la collectivité se chiffre en années supplémentaires ! Pour le fameux prêt de Dexia, Loches va devoir payer 6 ans et 6 mois de plus ! Ces indemnités sont considérables et peuvent égaler le montant du prêt, voire représenter le double comme il m’est arrivé de l’observer pour certaines collectivités, avec la ville de Dijon par exemple. Je mets donc en garde le maire de Loches, son conseil municipal et surtout les habitants de la collectivité en les invitant à regarder de très près les éventuelles propositions qui leur seraient faites par la Sfil [1]. »

Page de la Nouvelle République d’Indre-et-Loire du 1er octobre

Patrick Saurin est membre du CADTM France, également membre du collectif pour un audit citoyen de la dette publique et appartient à l’exécutif national du syndicat Sud Banques Populaires Caisses d’Épargne.

Notes

[1Société de financement local, « héritière » de Dexia.

Patrick Saurin

a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ».
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.

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