Entre corruption et inégalités : quel usage de l’endettement au Panama ?

6 avril 2021 par Maxime Perriot


Comptant 4,3 millions d’habitants, le Panama est un pays dont l’économie s’appuie principalement sur les services. Ces derniers représentent en effet 80 % des revenus nationaux [1]. Les trois principaux secteurs ou éléments qui constituent l’économie panaméenne sont les suivants : la zone franche de Colón, le centre bancaire international et les services maritimes.




La zone franche de Colón représente 7 % de l’économie du Panama [2]. Cet espace exempté de droits de douane constitue la deuxième plateforme mondiale de redistribution de biens de consommation.

Deuxièmement, de par son centre bancaire international, le Panama est la seconde place financière du continent. Cette activité, notamment initiée dans les années 1970 par Ardito Barletta [3], membre de l’école de Chicago [4], représente aujourd’hui une part importante du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
panaméen. En 2019, le Panama abritait 640 banques ou institutions financières et 131 milliards de dollars d’actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
bancaires [5]. Révélée en 2016, l’affaire des Panama Papers [6] a mis le paradis fiscal Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
panaméen sous le feu des projecteurs. Ce scandale mettant à jour une multitude de sociétés écrans créées par le cabinet d’avocat Mossack Fonseca, il a valu au pays son inscription sur la liste noire des paradis fiscaux de l’Union européenne. Malgré certains progrès, le Panama est encore loin des standards mondiaux de transparence. Il a du retard concernant la transmission de l’identité des bénéficiaires de comptes, de sociétés et ne possède pas toutes les archives comptables nécessaires à la transparence attendue.

Enfin, les services maritimes représentent un tiers des revenus nationaux panaméens [7]. Ce secteur peut être divisé en deux activités : celles liées au canal de Panama et celles liées aux pavillons de complaisance. Chaque année, 270 milliards de dollars de marchandises passent par ce canal [8], qui capte 31 % du commerce établi entre l’Asie et la côte est des États-Unis [9]. Autre chiffre éloquent, le nombre de conteneurs transitant par le canal est passé de 235 000 en 1996 à 6,5 millions en 2010 [10]. Le Panama en tire des revenus depuis 1999, année où le pays a récupéré la souveraineté sur ce point de passage. Avant, les États-Unis contrôlaient cette zone et absorbaient les revenus liés à ces activités [11]. Près d’un quart de la flotte mondiale est également enregistrée sous pavillon panaméen [12]. Ces navires immatriculés au Panama profitent de la législation financière du pays pour contourner les normes, les contrôles et les taxes des pays dans lesquels ils naviguent.

Derrière ces trois activités lucratives, le Panama développe également son secteur touristique et des activités minières principalement liées à l’extraction de cuivre [13]. Précisons également que le Panama est dollarisé, ce qui signifie qu’il ne possède pas sa propre monnaie, ne pouvant donc pas mener de politique monétaire. Il est aussi signataire de nombreux accords de libre-échange avec le Pérou, les États-Unis, le Canada ou encore le Mexique. Le Panama s’inscrit également dans la nouvelle route de la soie chinoise. Il a en effet signé un accord avec la Chine en 2017. Ce dernier revêt une dimension maritime car il concerne principalement le passage des marchandises chinoises dans le canal de Panama.

 Des indicateurs économiques trompeurs

Les différentes activités détaillées ci-dessus ont permis au Panama d’accroître considérablement ses revenus. Son PIB est passé de 13 milliards de dollars en 2003 à 55 milliards de dollars en 2016 [14]. Il jouit également de l’un des revenus par habitants les plus élevés d’Amérique latine. Cependant, ces indicateurs, qui sont souvent utilisés pour illustrer la situation économique d’un pays, ne disent rien du niveau d’inégalités touchant le Panama. En effet, les activités financières panaméennes et son insertion dans l’économie mondiale ne profitent qu’à une minorité de la population. En 2016, le taux de pauvreté était encore de 22,1% [15], reflétant de fortes inégalités dans la distribution des services publics de base, notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Ces disparités sont également territoriales, dans la mesure où le niveau de pauvreté est très élevé hors de la capitale. Délaissées par l’État, les provinces à majorité indienne subissent largement ces inégalités régionales. Aussi, en 2014, 37,1% de la population possédait un travail informel, qui ne donne pas accès à de nombreux droits sociaux [16].

Même à l’échelle de la capitale Panama, ces inégalités sont criantes. Abritant 1,5 millions d’habitants, soit environ un tiers de la population, cette ville est pleine de disparités. D’un côté, elle renferme une multitude de gratte-ciels et de banques. De l’autre, les écoles tombent en ruine, les hôpitaux manquent de moyens, et 40% de la population – souvent reléguée dans la périphérie – vit en dessous du seuil de pauvreté [17]. De plus, près d’une personne sur deux n’aurait pas d’accès direct à l’eau potable.

 Le contexte politique panaméen

Au sortir de la dictature incarnée par Manuel Noriega entre 1984 et 1989, le Panama a entamé une période d’alternance politique entre trois partis politiques relativement proches [18]. Le Parti panaméiste, le parti Changement démocratique et le Parti révolutionnaire démocratique représentent chacun des groupes économiques se partageant les richesses du pays. Leurs candidats sont souvent des oligarques fortunés représentant la minorité de la population ayant profité de l’ouverture du pays à la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
économique et financière. Ricardo Martinelli, président du Panama entre 2009 et 2014 pour le parti Changement démocratique, correspond parfaitement à ce profil. En effet, il a fait fortune à la tête d’un réseau de supermarchés. Responsable d’une hausse des conflits socio-environnementaux et d’une détérioration de l’État de droit [19], il a laissé sa place à un autre chef d’entreprise. Juan Carlos Varela, appartenant parti panaméiste, a pris la tête du pays en 2014. Illustrant l’alternance évoquée plus haut, son successeur, Laurentino Cortizo, appartient au Parti révolutionnaire démocratique. Au pouvoir depuis le 5 mai 2019, il a fait campagne sur la lutte contre la corruption et contre les inégalités. Il fut élu de justesse face à Rómulo Roux, candidat pour Changement démocratique.

Ces éléments de contextes économiques, financiers et politiques permettront à présent de comprendre les niveaux d’endettement panaméens et les réalités sous-jacentes.

 Quelles réalités derrière la hausse de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique du Panama ?

En février 2021, la dette publique du Panama s’élevait à 38,4 milliards de dollars [20]. Celle-ci a fortement augmenté depuis 2008, année où elle pointait seulement à 11,4 milliards de dollars [21]. Par ailleurs, le service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. publique du Panama représente 3,8 milliards de dollars pour 2021 [22]. Le budget du pays avoisinant les 24 milliards de dollars [23], environ 16% des dépenses annuelles sont utilisées pour rembourser la dette publique du Panama. À titre de comparaison, les dépenses de santé représentent 5,6 % du budget et celles liées à l’éducation 7,5 % de cette même entité [24]. Autre élément de compréhension, la dette publique du Panama se divise entre une dette extérieure largement majoritaire, avec 31,8 milliards de dollars, et une dette intérieure publique de 7 milliards de dollars [25]. 0,4 % de la composante extérieure de la dette publique panaméenne est due à des créanciers bilatéraux, contre 20,3 % à des créanciers multilatéraux [26]. Les trois principaux créanciers multilatéraux du Panama sont la Banque interaméricaine de développement, la Banque de développement d’Amérique latine et la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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 Les composantes de la dette publique contractées récemment

Du fait de la pandémie de Covid-19, le Panama a dû combiner une hausse des dépenses de santé avec une importante baisse des recettes fiscales, liée à la baisse de l’activité économique. En effet, entre la période allant de janvier à septembre 2019 et celle couvrant les mêmes mois en 2020, les recettes fiscales du gouvernement ont baissé de 1,2 milliards de dollars, s’élevant seulement à 2,7 milliards de dollars [27]. Aussi, de janvier à août 2020, les recettes du gouvernement central étaient 33% inférieures aux dépenses nécessaires pour mettre en œuvre le budget [28].

Logiquement, l’endettement est venu compenser cette baisse des recettes publiques. Depuis janvier 2020, la dette publique panaméenne a augmenté de 8,5 milliards de dollars, passant de 31,4 à 38,4 milliards de dollars [29]. Plusieurs types d’emprunts ont généré cette augmentation [30]. Tout d’abord, le gouvernement a émis des obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
souveraines en mars 2020 (2,5 milliards de dollars [31]), en septembre 2020, et en janvier 2021 [32]. Il a également eu recours aux prêts d’organismes internationaux, comme la Banque mondiale, le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, la Banque interaméricaine de développement ou encore la Banque de développement d’Amérique latine [33]. Ainsi, la dette publique du Panama a considérablement augmenté depuis un an à cause de la crise sanitaire mondiale actuelle.

 À quoi sert l’endettement panaméen ?

L’endettement public n’est pas un problème en soi. Il doit être compris à la lumière de plusieurs facteurs, tels que le type de créanciers ou encore l’utilisation de l’endettement. Sur ce dernier point, l’endettement public du Panama pose question. Par exemple, les récents prêts contractés pour faire face à la pandémie n’ont pas empêché le personnel de santé d’être payé en retard [34]. Plus globalement, l’argent public est relativement peu dépensé pour la santé, l’éducation, le logement ou la sécurité sociale. En effet, le Panama est l’un des pays d’Amérique latine qui investissent le moins dans ces secteurs-là [35]. De la même manière, les anciens présidents panaméens ont réduit les investissements publics [36], pourtant synonymes de hausse des recettes publiques à terme. De manière générale, l’État est souvent en retrait, laissant l’initiative au secteur privé, agissant à la marge ou en complément. C’est le cas dans le développement urbain de la capitale, où le secteur privé construit de manière anarchique. L’État agit ensuite pour raccorder les nouveaux quartiers à l’eau, aux routes, et à l’électricité [37]. Ainsi, l’agent gagné par l’endettement public – qui a fortement augmenté ces dernières années – est trop peu utilisé pour améliorer les services publics, ou pour mettre en œuvre des investissements qui fourniront des recettes publiques à l’avenir.

Logiquement, les niveaux de pauvreté et d’inégalités restent très élevé. En 2016, 22,1% de la population était pauvre [38], subissant le manque d’engagement de l’État dans les services qui permettent de lutter contre les inégalités (santé, services de bases, éducation). De plus, selon le PNUD PNUD
Programme des Nations unies pour le développement
Créé en 1965 et basé à New York, le PNUD est le principal organe d’assistance technique de l’ONU. Il aide - sans restriction politique - les pays en développement à se doter de services administratifs et techniques de base, forme des cadres, cherche à répondre à certains besoins essentiels des populations, prend l’initiative de programmes de coopération régionale, et coordonne, en principe, les activités sur place de l’ensemble des programmes opérationnels des Nations unies. Le PNUD s’appuie généralement sur un savoir-faire et des techniques occidentales, mais parmi son contingent d’experts, un tiers est originaire du Tiers-Monde. Le PNUD publie annuellement un Rapport sur le développement humain qui classe notamment les pays selon l’Indicateur de développement humain (IDH).
Site :
 [39], 90 % de la population des zones rurales du Panama est touchée par la pauvreté. Cela montre aussi que l’État n’utilise pas suffisamment l’argent à sa disposition pour réduire les inégalités territoriales.

La mauvaise utilisation de l’argent issue de l’endettement se combinent avec un niveau élevé de corruption, participant également à la dilapidation de l’argent public. Plusieurs exemples existent et ils touchent les plus hautes fonctions de l’État. Les inculpations des deux anciens présidents Ricardo Martinelli (2009-2014) et Juan Carlos Varela (2014-2019) pour blanchement d’argent [40] illustrent parfaitement le problème que représente la corruption au Panama. Le premier est soupçonné d’avoir racheté un groupe de presse avec de l’argent public, le second est impliqué dans l’affaire Odebrecht.

Ainsi, l’agent public – dont celui qui provient d’un endettement ayant fortement augmenté ces dix dernières années – ne sert pas assez à combattre la pauvreté et à réduire les inégalités. Les dépenses publiques dans les services essentiels sont beaucoup trop faibles et la corruption quasi-institutionnalisée dilapide une partie des ressources de l’État.

 Une dette privée supérieure à la dette publique panaméenne

En 2019, l’endettement privé panaméen était supérieure à l’endettement public du pays. Il représentait 33 milliards de dollars contre 27 milliards de dollars pour la dette publique [41]. Cette dette privée a également connu une forte augmentation ces dernières années. Par exemple, elle était de 26 milliards de dollars en 2016 [42], soit 7 de moins qu’en 2019. Celle-ci est notamment constituée de la dette des ménages paraguayens, qui doivent souvent s’endetter pour couvrir leurs dépenses de base [43]. Comme les conditions pour contracter un crédit sont relativement souples, une grande partie de la population y a recours. Pour les plus pauvres, l’endettement remplace souvent un salaire décent, donnant lieu à des paiements d’intérêts compris entre 9% et 28% [44], ainsi qu’à un potentiel défaut de paiement. Pour preuve, les crédits à la consommation, principalement contractés par des personnes en difficultés financières, ont largement augmenté entre 2016 et 2019. En effet, leur montant total est passé de 1,9 milliards de dollars en 2016 à 2,6 milliards en 2019 (hausse de 36% environ) [45]. Par ailleurs, les types de créances majoritaires restent les prêts hypothécaires qui représentent 17 milliards de dollars [46].

Ces chiffres montrent que face aux niveaux de pauvreté et d’inégalités, une part de l’endettement privé correspond à une compensation des faibles revenus d’une partie de la population. Or, comme évoqué précédemment, cela ajoute des intérêts à payer pour des personnes déjà pauvres et les expose à de plus grandes difficultés encore en cas d’impossibilité de remboursement.

Le Panama est donc un pays qui s’endette de plus en plus sans éliminer pour autant les énormes inégalités qui le caractérisent. Cette impasse est notamment due au manque d’investissement public et à la faiblesse des dépenses de l’État dans les services de base que sont, par exemple, la santé et l’éducation. Le développement économique du pays profite à une élite qui vit coupée du reste du pays et qui ne redistribue pas ses richesses. Laurentino Cortizo, arrivé au pouvoir sous la bannière du parti le plus à gauche des trois principales formations politiques, a récemment approuvé un programme d’austérité budgétaire [47]. Il est donc peu probable qu’il décide d’augmenter les budgets sociaux et les moyens consacrés aux services publics, préférant réduire le déficit public et la dette du pays.


Notes

[1Données de la Direction générale du Trésor français.

[2Kevin Parthenay, « Panama : pauvres dans un paradis fiscal », Alternatives économiques, 18//07/2017.

[3Allan Popelard, Paul Vannier, « Panamá sans les Panaméens », Le Monde diplomatique, juillet 2015.

[4École de pensée néolibérale dirigée par Milton Friedman.

[5Anne Michel, « Trois ans après les « Panama papers », le Panama encore loin des standards mondiaux de transparence », Le Monde, 12/11/2019.

[6Ce scandale a révélé la création de 214 000 sociétés écrans par le cabinet d’avocats panaméens Mossack Fonseca. Ces sociétés permettaient aux célébrités du monde entier de cacher l’argent qu’elles plaçaient au Panama pour éviter de payer les impôts de leur pays. Précisons que Ramon Fonseca, le cofondateur du cabinet, fut l’un des principaux conseillers de Juan Carlos Varela, président du Panama entre 2014 et 2019.

[7Kevin Parthenay, 18/07/2017, art.cit.

[8« Un social-démocrate favori de la présidentielle au Panama », Mediapart, 05/05/2019.

[9Données de la Direction générale du Trésor français.

[10Allan Popelard, Paul Vannier, Juillet 2015, art.cité.

[11Le traité signé en 1977 entre Carter et Torrijosa mis fin à la souveraineté exercée par les États-Unis sur le canal de Panama depuis 1914. Le transfert de souveraineté au profit du Panama s’est produit le 31 décembre 1999.

[12Allan Popelard, Paul Vannier, Juillet 2015, art.cité.

[13Les cours du cuivre sont très élevés actuellement.

[14Données de la Direction générale du Trésor français.

[15Ibid.

[16Kevin Parthenay, 18/07/2017, art.cit.

[17Allan Popelard, Paul Vannier, Juillet 2015, art.cité.

[18À quelques nuances près, on peut les positionner au centre droit.

[19Álvaro Cálix, « Centroamérica : escenario de riesgo múltiple. Circlos electoral y desafíos nacionales », Nueva Sociedad, Septembre – octobre 2014.

[20Roberto Gonzàlez Jiménez, « Saldo de la deuda sube $8,607 milliones en un año », LaPrensa, 20/03/2021.

[21Marlene Testa, « Deuda pública podría alcanzar 65% de los ingresos totales del país », La Estrella de Panamá, 05/01/2021.

[22Données du ministère de l’économie et des finances du Panama.

[23Ibid.

[24Ibid.

[25Yessika Calles, « Deuda pública de Panamá asciende a $38,907 », Metro Libre, 12/03/2021.

[26Les créanciers multilatéraux sont des organisations comme la Banque mondiale, les créanciers bilatéraux sont des États.

[27« Deuda superará $50 mil milliones tras liberarse el tope del déficit », Panamá América, 27/10/2020.

[28« Empresarios de mantienen « vigilantes ante aumento de deuda », Metro Libre, 27/09/2020.

[29Données du ministère de l’économie et des finances du Panama.

[30Yessika Valdés, « Panamá sumó en pandemia $6 mil 531 milliones en deudas », Panamá América, 23/09/2020.

[31Celle-ci a été contractée à échéance 2056 et à un taux d’intérêt s’élevant à 4,5 %.

[32Deux obligations ont été émises en janvier 2021. Elles recouvrent un montant de 2,4 milliards de dollars.

[33La Banque mondiale a prêté 41 millions de dollars au Panama en avril 2020, le Fonds monétaire international 515 millions le même mois, la Banque de développement d’Amérique latine 350 millions en mai 2020, la Banque interaméricaine de développement 150 millions en juin 2020 et 400 millions en juillet 2020. Tout récemment, la Banque mondiale a à nouveau prêté 300 millions de dollars au Panama pour faire face à la pandémie.

[34Pablo Castillo Miranda, « Quién pagará la deuda externa panameña ? », El Siglo, 28/12/2020.

[35Kevin Parthenay, 18/07/2017, art.cit.

[36Clarissa Castillo, « Deuda externa de la República de Panamá se sitúa en más de $104 mil milliones », Panamá América, 07/03/2020.

[37Allan Popelard, Paul Vannier, Juillet 2015, art.cité.

[38Données de la Direction générale du Trésor français.

[39Programme des Nations unies pour le développement.

[40« Deux anciens présidents du Panama inculptés pour « blanchiement d’argent », Le Monde, 03/07/2020.

[41Clarissa Castillo, « Deuda de la población con entidades bancarias y financieras es más alta que la del Estado », Panamá América, 21/06/2019.

[42Ibid.

[43Diana Díaz, « Aumenta deuda de panameños con los bancos », Panamá América, 12/02/2019.

[44Clarissa Castillo, « Alta deuda en tarjetas de crédito podría generar una « explosión » », Panamá América, 16/01/2020.

[45Ibid.

[46Clarissa Castillo, « Los panameños adeudan unos $30,269 milliones, según la APC Intelidat », Panamá América, 03/02/2020.

[47Clarissa Castillo, « Relación deuda-PIB cerca de igualar el límite óptimo recomendado por organismos internacionales », Panamá América, 10/09/2019.