Dette publique et dette illégitime

Et si on refusait de payer ?

18 octobre 2011 par Nicolas Errante


« Milliardaires, la partie est finie !  » Les indignés américains qui campent devant Wall Street, le temple de la finance mondiale, vont sans doute un peu vite en affaire. Mais si on n’en a pas encore finit avec le capitalisme financier, il finira bien par y avoir un début de la fin. Et ce début commence par la remise en cause de la légitimité de ces dettes souveraines qui nous empoisonnent la vie. C’est en tout cas la thèse défendue par François Chesnais, économiste français, auteur du livre « Les dettes illégitimes » [1], professeur à l’Université de Paris Nord et membre du conseil scientifique d’ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions financière et l’Aide aux Citoyens). Invité par la Fondation Léon Lesoil, il a donné plusieurs conférences dans nos régionales FGTB, notamment Charleroi, Mons et La Louvière pour y expliquer ses thèses.



Pour François Chesnais, l’injonction faite aux Etats de rembourser leur dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
repose sur l’idée que si on ne rembourse pas, on lèse le créancier, c’est-à-dire l’épargnant qui a confié ses économies aux banques. La comparaison avec le budget des ménages vertueux renforce cette idée : on ne doit pas dépenser plus que ce que l’on gagne…

Comparaison n’est pas raison

Mais comparaison n’est pas raison, dit F. Chesnais : « l’Etat a les moyens de déterminer les conditions générales de l’activité économique. Le ménage par contre subit les conditions économiques et poussé par la publicité à consommer. »
Soit. L’Etat est-il pour autant autorisé à dépenser sans compter et à ne pas rembourser ses dettes ? Il faut voir comment s’est constituée cette dette publique, dit l’économiste. Selon lui, il y a un parallélisme entre le gonflement de l’endettement et les allègements fiscaux consentis depuis les années 1980 par les Etats, généralement en faveur des revenus élevés (les fameuses niches fiscales en France), les revenus des entreprises et du capital.

Illégitime une fois

Ainsi, l’Etat aurait compensé par l’endettement la baisse de ses recettes fiscales en faveur des revenus élevés. Ces mêmes bénéficiaires des réformes fiscales sont ceux qui ont ensuite prêté à l’Etat qui les a ainsi favorisés deux fois : une fois à travers la fiscalité, une fois via le service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. . Avant même la crise des subprimes Subprimes Crédits hypothécaires spéciaux développés à partir du milieu des années 2000, principalement aux États-Unis. Spéciaux car, à l’inverse des crédits « primes », ils sont destinés à des ménages à faibles revenus déjà fortement endettés et étaient donc plus risqués ; ils étaient ainsi également potentiellement plus (« sub ») rentables, avec des taux d’intérêts variables augmentant avec le temps ; la seule garantie reposant généralement sur l’hypothèque, le prêteur se remboursant alors par la vente de la maison en cas de non-remboursement. Ces crédits ont été titrisés - leurs risques ont été « dispersés » dans des produits financiers - et achetés en masse par les grandes banques, qui se sont retrouvées avec une quantité énorme de titres qui ne valaient plus rien lorsque la bulle spéculative immobilière a éclaté fin 2007.
Voir l’outil pédagogique « Le puzzle des subprimes »
, la dette publique comporte donc déjà une part d’illégitimité à travers ce mécanisme de transfert de richesses des ménages vers les banques que Frédéric Lordon (autre économiste français) appelle « la pompe à phynance » par analogie avec le « croc à phynance » du Père Ubu…

Illégitime deux fois

Oui mais les banques, c’est notre épargne ! Non dit F. Chesnais. L’épargne des gens n’est qu’une infime partie des capitaux qui circulent. Les Hedge funds Hedge funds Les hedge funds, contrairement à leur nom qui signifie couverture, sont des fonds d’investissement non cotés à vocation spéculative, qui recherchent des rentabilités élevées et utilisent abondamment les produits dérivés, en particulier les options, et recourent fréquemment à l’effet de levier (voir supra). Les principaux hedge funds sont indépendants des banques, quoique fréquemment les banques se dotent elles-mêmes de hedge funds. Ceux-ci font partie du shadow banking à côté des SPV et des Money market funds.

Un Hedge funds (ou fonds spéculatif) est une institution d’investissement empruntant afin de spéculer sur les marchés financiers mondiaux. Plus un fonds aura la confiance du monde financier, plus il sera capable de prendre provisoirement le contrôle d’actifs dépassant de beaucoup la richesse de ses propriétaires. Les revenus d’un investisseur d’un Hedge funds dépendent de ses résultats, ce qui l’incite à prendre davantage de risques. Les Hedge funds ont joué un rôle d’éclaireur dans les dernières crises financières : spéculant à la baisse, ils persuadent le gros du bataillon (les zinzins des fonds de pension et autres compagnies d’assurance) de leur clairvoyance et crée ainsi une prophétie spéculative auto-réalisatrice.
, ces fonds spéculatifs, n’ont par exemple pas besoin de votre épargne. Ils s’alimentent grâce aux systèmes de titrisation Titrisation Technique financière qui permet à une banque de transformer en titres négociables des actifs illiquides, c’est-à-dire qui ne sont pas (ou pas facilement) vendables. Initialement, cette technique a été utilisée par les établissements de crédit dans le but de refinancer une partie de leurs prêts à la clientèle. Les prêts sont cédés à un véhicule juridique qui émet en contrepartie des titres (généralement des obligations) placés sur les marchés financiers. Avec la titrisation, les risques afférents à ces crédits sont transférés des banques aux acheteurs. Cette pratique s’étend aujourd’hui à d’autres types d’actifs et d’acteurs (portefeuilles d’assurances, immobilier, créances commerciales).

(extrait de Adda, p. 101, t. 1, 1996, p. 101-102)
Cette notion décrit la prépondérance nouvelle des émissions de titres (obligations internationales classiques émises pour le compte d’un emprunteur étranger sur la place financière et dans la monnaie du pays prêteur, euro-obligations libellées dans une monnaie différente de celle de la place où elles sont émises, actions internationales) dans l’activité des marchés. A quoi s’ajoute la transformation d’anciennes créances bancaires en titres négociables, technique qui a permis aux banques d’accélérer leur désengagement à l’égard des pays en voie de développement après l’irruption de la crise de la dette.
La caractéristique principale de cette logique de titrisation est la diffusion du risque qu’elle permet. Diffusion numérique tout d’abord, puisque le risque de défaut des emprunteurs cesse d’être concentré sur un petit nombre de banques transnationales en relation étroites les unes avec les autres. Diffusion qualitative ensuite, puisque chacune des composantes du risque afférent à un titre particulier peut donner lieu à la création d’instruments spécifiques de protection négociables sur un marché : contrats à terme pour se prémunir du risque de change, contrats de taux d’intérêt pour faire face au risque de variation des taux, marchés d’option négociables, etc. Cette prolifération des instruments financiers et des marchés dérivés donne aux marchés internationaux l’allure d’une foire aux risques, selon l’expression de Charles Goldfinger.
(transformation en titres mis sur le marché de créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). éventuellement douteuses) , de vente à découvert Vente à découvert (Short selling en anglais). La vente à découvert consiste à vendre à terme un actif que l’on ne détient pas le jour où cette vente est négociée mais qu’on se met en mesure de détenir le jour où sa livraison est prévue. L’actif vendu à découvert est généralement un titre, mais on peut aussi vendre des devises ou des matières premières à découvert. Si la valeur de l’actif baisse après la vente à découvert, le vendeur peut le racheter au comptant et dégager une plus-value. Le gain potentiel est limité à la valeur de l’actif. Si, à l’inverse, elle monte, le vendeur s’expose à un risque de perte illimitée, tandis qu’un acheteur ne peut pas perdre plus que sa mise de fonds. et l’ effet de levier Effet de levier L’effet de levier désigne l’effet sur la rentabilité des capitaux propres d’une entité (entreprise, banque, etc.) qu’aura son recours à l’endettement (elle augmentera lorsque le coût de l’endettement sera inférieur à l’augmentation des bénéfices obtenus grâce à lui, et inversement). Le ratio de levier calcule le rapport entre les fonds propres d’une telle entité et le volume de ses dettes. Les banques ont progressivement augmenté cet effet de levier avec la libéralisation financière, c’est-à-dire que pour 1000 euros de capital le nombre d’euros qu’elles ont pu emprunter a considérablement augmenté. qui permettent d’empocher des bénéfices en achetant des titres avec de l’argent qu’on n’a pas ou de vendre des titres que l’on ne possède pas, ou que l’on a acheté avec de l’argent qu’on n’a pas. Comme on peut s’assurer sur les risques d’une dette souveraine (CDS CDS
Credit Default Swap
Le CDS est un produit financier dérivé qui n’est soumis à aucun contrôle public. Il a été créé par la banque JPMorgan dans la première moitié des années 1990 en pleine période de déréglementation. Le Credit Default Swap signifie littéralement “permutation de l’impayé”. Normalement, il devrait permettre au détenteur d’une créance de se faire indemniser par le vendeur du CDS au cas où l’émetteur d’une obligation (l’emprunteur) fait défaut, que ce soit un pouvoir public ou une entreprise privée. Le conditionnel est de rigueur pour deux raisons principales. Premièrement, l’acheteur peut utiliser un CDS pour se protéger d’un risque de non remboursement d’une obligation qu’il n’a pas. Cela revient à prendre une assurance contre le risque d’incendie de la maison d’un voisin en espérant que celle-ci parte en flammes afin de pouvoir toucher la prime. Deuxièmement, les vendeurs de CDS n’ont pas réuni préalablement des moyens financiers suffisants pour indemniser les sociétés affectées par le non remboursement de dettes. En cas de faillite en chaîne d’entreprises privées ayant émis des obligations ou du non remboursement de la part d’un Etat débiteur important, il est très probable que les vendeurs de CDS seront dans l’incapacité de procéder aux indemnisations qu’ils ont promises. Le désastre de la compagnie nord-américaine d’assurance AIG en août 2008, la plus grosse société d’assurance internationale (nationalisée par le président George W. Bush afin d’éviter qu’elle ne s’effondre) et la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 sont directement liés au marché des CDS. AIG et Lehman s’étaient fortement développées dans ce secteur.

Le CDS donne l’illusion à la banque qui en achète qu’elle est protégée contre des risques ce qui l’encourage à réaliser des actions de plus en plus aventureuses. De plus, le CDS est un outil de spéculation. Par exemple en 2010-2011, des banques et d’autres sociétés financières ont acheté des CDS pour se protéger du risque d’une suspension de paiement de la dette qui aurait pu être décrétée par la Grèce. Elles souhaitaient que la Grèce fasse effectivement défaut afin d’être indemnisées. Qu’elles soient ou non en possession de titres grecs, les banques et les sociétés financières détentrices de CDS sur la dette grecque avaient intérêt à ce que la crise s’aggrave. Des banques allemandes et françaises (les banques de ces pays étaient les principales détentrices de titres grecs en 2010-2011) revendaient des titres grecs (ce qui alimentait un climat de méfiance à l’égard de la Grèce) tout en achetant des CDS en espérant pouvoir être indemnisées au cas de défaut grec.1

Le 1er novembre 2012, les autorités de l’Union européenne ont fini par interdire la vente ou l’achat de CDS concernant des dettes des États de l’UE qui ne sont pas en possession du candidat acheteur du CDS.2 Mais cette interdiction ne concerne qu’une fraction minime du marché des CDS (le segment des CDS sur les dettes souveraines*) : environ 5 à 7 %. Il faut également noter que cette mesure limitée mais importante (c’est d’ailleurs à peu près la seule mesure sérieuse qui soit entrée en vigueur depuis l’éclatement de la crise) a entraîné une réduction très importante du volume des ventes des CDS concernés, preuve que ce marché est tout à fait spéculatif.

Enfin, rappelons que le marché des CDS est dominé par une quinzaine de grandes banques internationales. Les hedge funds et les autres acteurs des marchés financiers n’y jouent qu’un rôle marginal. D’ailleurs la Commission européenne a menacé en juillet 2013 de poursuivre 13 grandes banques internationales pour collusion afin de maintenir leur domination sur le marché de gré à gré* (OTC) des CDS.3
) sans avoir rien prêté à ce débiteur et spéculer sur la hausse de ces CDS…

Tout ce système opaque appelé « Shadow banking Shadow banking La banque de l’ombre ou la banque parallèle : Les activités financières du shadow banking sont principalement réalisées pour le compte des grandes banques par des sociétés financières créées par elles. Ces sociétés financières (SPV, money market funds…) ne reçoivent pas de dépôts ce qui leur permet de ne pas être soumises à la réglementation et à la régulation bancaires. Elles sont donc utilisées par les grandes banques afin d’échapper aux réglementations nationales ou internationales, notamment à celles du comité de Bâle sur les fonds propres et les ratios prudentiels. Le shadow banking est le complément ou le corollaire de la banque universelle.  » (système bancaire fantôme) crée artificiellement de la richesse, c’est-à-dire des bulles financières qui tôt ou tard éclatent. Le supplément de dette publique lié au sauvetage des banques est le résultat de l’éclatement d’une de ces bulles. Les exigences de rentabilité des spéculateurs a conduit à une hypertrophie financière. Les prétentions de plus values dépassent la capacité l’économie réelle de créer de la richesse, explique F. Chesnais.

Est-il dès lors normal de demander aux citoyens, aux travailleurs, de payer avec le revenu de leur travail ou via l’austérité, la « réforme des retraites », les privatisations… ces dettes résultant d’opérations spéculatives virtuelles et opaques ? Voilà un deuxième motif d’illégitimité de la dette…

Illégitime trois fois

L’opacité elle-même en est un troisième motif. La théorie de la « dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
 » développée par le Russe Alexander Sack est aujourd’hui communément admise. Elle consiste à dire qu’une dette contractée par une dictature, c’est-à-dire en dehors d’un contrôle démocratique, à l’insu de la population et sans que celle-ci en ait profité, peut être révoquée parce qu’illégitime. Par analogie, une dette liée à une spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
opaque à laquelle ni la population, pour ne pas parler des élus du peuple, ni les banquiers eux-mêmes, ne comprennent rien, est forcément entachée de cette illégitimité.

Bien. La dette est au moins en partie illégitime. Peut-on pour autant la résilier ou la renégocier sans provoquer de catastrophe économique ? Le Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde soutient que c’est possible et en appelle pour appuyer se thèse à l’exemple de certains pays d’Amérique latine - dont l’Equateur - qui ont suspendu le remboursement de leur dette et loin de s’effondrer faute de crédit, ont obtenu une restructuration de leur dette et des taux plus avantageux.
C’est pourquoi le CADTM propose de procéder à un audit de la dette, officiel ou à défaut citoyen, pour faire le tri entre ce qui doit être remboursé et ce qui ne mérite pas de l’être.

Halte au chantage

Ne risque-t-on pas alors de provoquer l’effondrement du système bancaire et une nouvelle crise encore plus grave ? « On ne peut pas continuer à accepter le chantage : ‘l’austérité ou le cataclysme’, dit F. Chesnais.Si le système craque, il faut se saisir de l’occasion pour dire ‘une autre banque est possible’. Accepter de payer la dette, c’est donner quitus aux gouvernements pour leur gestion économique et financière. C’est accepter d’avoir les mains liées.  »

Pour l’économiste, il faut saisir l’occasion pour réguler le marché, s’approprier collectivement les banques et en refaire des instruments au service des gens et de l’économie. Mais il faut aussi revoir la fiscalité qui a conduit à ces dérives. Il ne prône pas la révolution. « Il faut le faire à froid, de façon bien ordonnée ».

A-t-on les moyens politiques de le faire dans un monde globalisé ? « Cela dépend de comment on perçoit la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
. Si on la conçoit comme irréversible, si on accepte de rester sous la domination de la finance, si on a peur de s’unir pour construire une autre configuration du système bancaire, on ne fera rien. Mais il y a deux ans, la taxe Tobin Taxe Tobin Taxe sur les transactions de change (toutes les conversions de monnaie), proposée à l’origine en 1972 par l’économiste américain James Tobin pour stabiliser le système financier international. L’idée a été reprise par l’association ATTAC et par d’autres mouvements altermondialistes dont le CADTM, dans le but de diminuer la spéculation financière (de l’ordre de 1.200 milliards de dollars par jour en 2002) et de redistribuer le bénéfice de cette taxe aux plus démunis. Les spéculateurs internationaux qui passent leur temps à changer des dollars en yens, puis en euros, puis en dollars, etc., parce qu’ils estiment que telle monnaie va s’apprécier et telle autre se déprécier, devront payer une taxe minime, entre 0,1 % et 1 %, sur chaque transaction. Selon ATTAC, elle pourrait rapporter au moins 100 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Qualifiée d’irréaliste par les classes dirigeantes pour justifier leur refus de la mettre en place, l’analyse méticuleuse de la finance mondialisée menée par ATTAC et d’autres a au contraire prouvé la simplicité et la pertinence de cette taxe. paraissait inconcevable… Maintenant on l’envisage sérieusement. Séparer banques d’épargne et d’investissement n’est maintenant plus considéré comme impossible, même à Londres… Donc je pense qu’il faut aller au-delà de l’intoxication politique et de la stratégie de la peur 
 ».

Sur le même thème, et avec la même analyse et les mêmes conclusions, on peut aussi lire l’ouvrage collectif d’ATTAC France : « Le piège de la dette publique – comment s’en sortir » aux éditions LLL – Les Liens qui Libèrent. 192 pages 9 euros.


Nicolas Errante
Rédacteur en chef de Syndicats
Service Presse FGTB

Notes

[1François Chesnais, « Les dettes illégitimes – Quand les banques font main basse sur les politiques publiques ». Ed. Raison d’agir. Paris. 2011pp. 153. 8 euros.