Existe-t-il une crise de la dette du Sud et que préconise le CADTM ?

18 janvier par Eric Toussaint , Maxime Perriot


Photo : Vincent Noirhomme



Maxime Perriot : Dans un article publié en décembre 2023, tu affirmais en écho à un rapport de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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que les « pays en développement » sont pris au piège d’une nouvelle crise de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, or le Financial Times et d’autres sources signalent qu’au cours des deux premières semaines de 2024, plusieurs dits pays en développement ont réussi à refinancer facilement leurs dettes, qu’en est-il ?

Les trois pays en développement qui ont réussi à vendre des titres souverains sont trois pays producteurs de pétrole et de gaz

Éric Toussaint : Les trois pays en développement qui ont réussi à vendre facilement des titres souverains sont l’Arabie Saoudite, le Mexique et l’Indonésie. Ces trois pays qui sont producteurs de pétrole et de gaz bénéficient des prix élevés des combustibles fossiles et ne font pas partie de la catégorie touchée directement par la crise de la dette. Pour rappel, l’Arabie Saoudite est le premier exportateur mondial de pétrole [1].
Et s’ils arrivent à vendre facilement leurs titres, c’est qu’ils proposent un rendement supérieur à celui des titres de la dette Titres de la dette Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
des pays du Nord. Le Mexique vient de réussir à vendre des titres pour 7 500 millions de dollars en promettant un taux de 2% supérieur à celui des Etats-Unis, de 4% supérieur à celui de l’Allemagne. Comme les fonds d’investissement Fonds d’investissement Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise. et les banques privées Nord disposent toujours de grandes quantités de liquidités Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
financières, ils achètent volontiers des titres de pays du Sud qui offrent des garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). en nature (par exemple de grandes réserves de matières premières) et qui sont capables de proposer des taux supérieurs à ceux des économies du Nord. Il faut en plus ajouter qu’à la fin de 2023, le rendement des titres américains ont un peu baissé ce qui a rendu d’autant plus attractifs pour les investisseurs l’achat de titres offrant un rendement supérieur.

Maxime Perriot : Ces trois pays ne sont donc pas représentatifs de la situation d’un grand nombre de pays ?

Le Mexique a pu se financer à du 6% début 2024 alors que l’Égypte, la Turquie et la Zambie devraient promettre environ 25% s’ils voulaient vendre des titres aujourd’hui sur les marchés financiers

Éric Toussaint : En effet, ces 3 pays ne sont pas représentatifs de la catégorie de pays qui traversent une crise aigüe.
D’ailleurs le Financial Times reconnaît lui-même que l’Arabie et le Mexique constituent des cas exceptionnels. Voici ce qu’il écrit : « Toutefois, les ventes d’obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
de cette année semblent montrer que les marchés ne sont ouverts qu’aux gouvernements ayant au moins une cote de crédit de première qualité, comme l’Arabie saoudite et le Mexique. Selon les investisseurs, les pays affublés d’une notation de pacotille, comme le simple B, pourraient continuer à trouver presque impossible d’accéder à l’emprunt cette année, ce qui les empêcherait de refinancer les échéances imminentes, sauf à des taux risqués à deux chiffres qui aggraveraient rapidement le fardeau de leurs paiements. » [2] (Extrait d’un article payant du Financial Times du 10 janvier 2024 : https://www.ft.com/content/8b8b4733-83b9-40f0-88d6-28235e458f34)

Alors que le Mexique a pu se financer début 2024 à du 5% à 5 ans, à du 6% à 12 ans car il a une très bonne notation et extrait du pétrole, les acheteurs de la dette de l’Égypte veulent un rendement de 27,4% sur les titres à 10 ans, ceux de la dette de la Turquie veulent du 26,6%, ceux de la Zambie du 25,5%, du Kenya 18,2%, de l’Ouganda du 16%, du Pakistan du 15,4%, du Sri Lanka du 14% [3]. Comme je l’ai montré dans l’article que tu as mentionné au début de cette interview, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne qui durant dix ans jusqu’au début des années 2020 ont pu vendre sur les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
des titres souverains n’ont plus la possibilité de s’y financer depuis que les banques centrales des pays du Nord ont décidé de relever très fortement les taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
. Rappelons que sans aucune concertation avec les pays du Sud, la banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. des Etats-Unis, la Banque centrale européenne BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
et la Banque d’Angleterre ont augmenté fortement les taux d’intérêt depuis 2022 ce qui a eu une effet néfaste de contagion pour les pays du Sud.

Face à des taux aussi élevés, toute une série de pays perdent l’accès aux marchés financiers internationaux et doivent s’en remettre aux prêteurs publics, notamment le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, la Banque mondiale et les banques régionales. Ils combinent cela avec d’autres options complémentaires. C’est ainsi qu’ils lèvent de l’argent sur le marché intérieur en payant des taux très élevés mais plus supportables car en monnaie locale. Une autre solution c’est de renégocier des crédits avec la Chine qui est devenu un très gros prêteur. Dans certains cas des pays comme l’Arabie saoudite octroient également des crédits pour permettre à des pays alliés et à des partenaires commerciaux de se maintenir à flot. L’Arabie Saoudite prête au Pakistan. L’Inde prête au Sri Lanka.

Maxime Perriot : Il y a donc bien en cours une crise de la dette ?

Une centaine de pays éprouvent des difficultés à refinancer leurs dettes et sont poussés par le FMI à réduire leurs dépenses sociales

Éric Toussaint : Oui. Une centaine de pays éprouvent de plus en plus de difficultés à refinancer leurs dettes et sont poussés par les bailleurs comme le FMI et la Banque mondiale à réduire leurs dépenses sociales.

Selon l’économiste Michael Roberts qui se réfère au rapport qu’Oxfam a publié le 10 janvier à l’occasion du sommet de Davos : « Des pays entiers sont menacés de faillite, les pays les plus pauvres dépensant aujourd’hui quatre fois plus pour rembourser leurs dettes aux riches créanciers que pour les soins de santé. Les trois quarts des gouvernements du monde prévoient des réductions des dépenses publiques liées à l’austérité - y compris dans les domaines de la santé et de l’éducation - à hauteur de 7 800 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années. » [4] (Source : Michael Roberts http://www.cadtm.org/Davos-and-the-melting-world-economy qui se réfère au rapport publié par Oxfam le 15 janvier 2024 : https://www.oxfamfrance.org/rapports/multinationales-et-inegalites-multiples/ Voir le rapport complet : https://www.oxfamfrance.org/app/uploads/2024/01/Oxfam_Multinationales-et-inegalites-multiples_Davos-2024_sous-embargo-150124.pdf )

Si la situation de crise n’a pas abouti jusqu’ici à une multiplication de suspensions de paiements, c’est parce que le FMI (et dans une moindre mesure, la Banque mondiale) d’une part et la Chine d’autre part font un maximum pour éviter que la crise ne se généralise. Les gouvernements du Nord également interviennent via les crédits bilatéraux.

Ces acteurs ne le font pas par bonté : ils protègent leur propres intérêts. Une généralisation des suspensions des paiements ne leur rapporterait rien. Ils préfèrent maintenir les pays à flot en octroyant de nouveaux crédits ou en permettant aux pays endettés de reporter les paiements voire de les suspendre de manière provisoire et négociée. En maintenant les pays à flot, les paiements se poursuivent même si dans certains cas, ils sont revus provisoirement à la baisse.

Maxime Perriot : Tu insistes sur les créanciers publics tels le FMI, la Banque mondiale, la Chine, les pays industrialisés,…. Qu’est-ce qui se passe du côté des créanciers privés ?

À partir de 2022 les créanciers privés ont surtout cherché à se faire rembourser les anciens prêts tout en réduisant fortement les nouveaux achats de titres ou les nouveaux crédits

Éric Toussaint : Les créanciers privés prêtent sous deux modalités : soit ils achètent des titres souverains émis par les pays du Sud (c’est ce que l’on appelle le marché obligataire) ; soit, quand il s’agit des banques créancières, elles octroient un crédit et signent un contrat avec le pays concerné (ou avec les entreprises privées du Sud qui reçoivent un crédit bancaire).
On s’est aperçu qu’à partir de 2022 les créanciers ont surtout cherché à se faire rembourser les anciens prêts tout en réduisant fortement les nouveaux achats de titres ou quand il s’agit des banques les nouveaux crédits.
Comme je l’ai expliqué dans l’article que tu as mentionné, la Banque mondiale dans un rapport publié en décembre 2023, reconnaît que les prêteurs privés ont commencé en 2022 à fermer le robinet des crédits aux PED tout en pressant au maximum le citron pour obtenir le plus de remboursements. En effet, selon la BM, les nouveaux crédits octroyés par les prêteurs privés aux pouvoirs publics des pays en développement ont chuté de 23 %, ayant été ramenés à 371 milliards de dollars, soit leur plus bas niveau en dix ans. Par contre, ces mêmes créanciers privés ont récolté 556 milliards de dollars sous forme de remboursement. Cela signifie qu’en 2022, ils ont perçu 185 milliards de dollars de plus en remboursements que ce qu’ils en ont décaissé en prêts. Toujours selon la Banque mondiale, c’est la première fois depuis 2015 que les créanciers privés recevaient plus de fonds qu’ils n’en injectaient dans les pays en développement.

Maxime Perriot : La situation peut-elle s’aggraver au cours de l’année 2024 ?

Parmi les difficultés auxquelles un nombre croissant de pays vont devoir faire face, il y a la renégociation des remboursements dus à la Chine

Éric Toussaint : Oui la situation pourrait s’aggraver car une série de pays doivent rembourser cette années d’importants montants qu’ils ont emprunté au moment où les taux étaient bas.
Prenons l’exemple du Kenya, selon le Financial Times « l’obligation kenyane de 2 milliards de dollars arrivant à échéance en juin sera considérée comme un test décisif cette année. Nairobi a indiqué qu’il aurait recours aux prêts des banques de développement pour racheter une partie de la dette plutôt que de chercher à se refinancer sur le marché. La plus grande économie d’Afrique de l’Est a émis l’obligation à des taux de 6-7 pour cent en 2014, à une époque où les taux d’intérêt américains étaient proches de zéro, ce qui a poussé les investisseurs à se lancer dans une chasse mondiale aux actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
à haut rendement. » Le Kenya trouvera probablement une solution, mais à quel taux d’intérêt ? L’Éthiopie, pays voisin du Kenya, suspendu le paiement de sa dette en 2023. La Zambie n’a toujours pas été en mesure de reprendre les paiements.

Pour l’Égypte, ce sera très compliqué car elle doit, selon le Financial Times, rembourser 30 milliards de dollars de dette extérieure en 2024. Pour pouvoir effectuer ce remboursement, elle devra sûrement faire de nouveau appel au FMI pour des crédits supplémentaires mais cela risque de ne pas être suffisant.

Parmi les difficultés auxquelles un nombre croissant de pays vont devoir faire face, il y a la renégociation des remboursements dus à la Chine. En effet au cours des dix dernières années, la Chine a fortement augmenté ses prêts aux pays du Sud en accordant des périodes de grâce qui duraient de 5 à 7 ans selon les cas. Pendant la période de grâce, le pays ne doit pas commencer à rembourser le crédit. Beaucoup de ces crédits arrivent maintenant au moment où la période de grâce prend fin et donc la situation d’une série de pays endettés envers la Chine va s’aggraver. Il faut aussi tenir compte qu’une partie importante des prêts de la Chine ont été octroyés à taux variable avec indexation sur les taux d’intérêts internationaux (en se référant principalement à un index qui s’appelle le Libor LIBOR
London Interbank Offered Rate
Taux interbancaire de la City londonienne (très proche du prime rate des États-Unis, autre taux de base des prêts internationaux).
). En conséquence de l’augmentation des taux d’intérêt décidé par les banques centrales des puissances industrielles et créancières occidentales, les taux d’intérêts des prêts chinois sont en train d’augmenter fortement. La Chine est prête à renégocier les calendriers de remboursements mais il ne semble pas qu’elle soit d’accord de ne pas appliquer l’augmentation des taux d’intérêts. Donc la situation risque de s’aggraver.

Maxime Perriot : Que préconise le CADTM ?

Selon le droit international, les gouvernements ont parfaitement le droit de suspendre le paiement en mobilisant l’argument juridique du « changement fondamental de circonstances »

Éric Toussaint : Le CADTM recommande aux gouvernements des pays endettés de se protéger en déclarant une suspension des paiements de la dette. Selon le droit international, ils en ont parfaitement le droit. En effet, ils peuvent évoquer le changement fondamental de circonstances provoqué par les chocs externes provenant du Nord, en particulier la décision unilatérale des banques centrales d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale d’augmenter radicalement les taux d’intérêt. Parmi les facteurs provoquant un changement fondamental de circonstances, on peut aussi invoquer les effets de l’invasion de l’Ukraine sur les prix des combustibles et des aliments. Alors que les pays du Sud n’y ont aucune part de responsabilité, ils en paient les conséquences. En cas de changement fondamental de circonstances et de chocs externes, il n’y a pas d’obligation de poursuivre l’exécution d’un contrat d’emprunt et de continuer à rembourser la dette.

Il faut combiner la suspension de paiement à l’organisation d’un audit de la dette avec une participation active des citoyen·nes. Cet audit doit avoir pour objectif d’identifier la part illégitime, odieuse, illégale ou et insoutenable de la dette afin de l’annuler.

Maxime Perriot : Un avocat du diable pourrait dire : "Les pays du Sud ont contracté des prêts à taux fixe, avec évidemment l’obligation de les refinancer lorsqu’ils arriveront à échéance. Personne ne leur a jamais garanti que 10 ans plus tard, les taux d’intérêts resteraient à ces niveaux faibles. D’ailleurs, tout le monde savait qu’un jour ou l’autre cela allait remontrer. »

Éric Toussaint : On devrait répondre à cet argument des créanciers : alors que tout le monde savait que les taux n’allaient pas rester à leur niveau historiquement bas, pourquoi avez-vous prêté massivement à des pays dont on pouvait raisonnablement prévoir qu’ils étaient très fragiles en cas de chocs externes et notamment d’une hausse des taux d’intérêts décidée au Nord ? Vous devez assumer les risques que vous avez pris, les prêteurs ont le devoir de vérifier la capacité de remboursement des pays à qui ils prêtent, vous ne l’avez pas fait, ne vous en prenez qu’à vous - mêmes si ces pays sont amenés à suspendre les paiements pour faire face à leur responsabilité vis - à -vis de la population de leur pays.

Le fait que les créanciers prêtent à des taux d’intérêt plus élevés aux pays du Sud s’explique justement par le « risque » de non-remboursement car ces pays sont plus fragiles. Logiquement, quand ça arrive, qu’un pays ne peut plus rembourser, les créanciers devraient assumer les risques qu’ils ont pris.

Par ailleurs, je rappelle que dans le cas des crédits accordés par la Chine les taux d’intérêt sont très souvent variables.


Notes

[1Contrairement à ce qu’affirme le Financial Times, l’Arabie saoudite ne fait pas partie des pays en développement ou des économies émergentes, ce pays fait partie des pays dits développés. En effet, selon la Banque mondiale l’Arabie Saoudite fait partie des économies à hauts revenus tout comme les pays d’Europe occidentale ou d’Amérique du Nord (pour les différentes catégories selon la Banque mondiale voir https://datahelpdesk.worldbank.org/knowledgebase/articles/906519-world-bank-country-and-lending-groups ).

[2“However, this year’s bond sales appear to show that markets are open only to governments with at least investment-grade credit ratings such as Saudi Arabia and Mexico. Countries with junk ratings, such as single B, may continue to find it almost impossible to access borrowing this year, say investors, leaving them unable to refinance looming maturities except at risky double-digit rates that would rapidly worsen their payment burdens.” Extrait d’un article payant du Financial Times du 10 janvier 2024 : https://www.ft.com/content/8b8b4733-83b9-40f0-88d6-28235e458f34

[3Le rendements sur les titres souverains d’un grand nombre de pays est disponible en ligne sur ce site : http://www.worldgovernmentbonds.com/spread-historical-data/

[4“Entire countries are facing bankruptcy, with the poorest countries now spending four times more repaying debts to rich creditors than on healthcare. Three-quarters of the world’s governments are planning austerity-driven public sector spending cuts —including on healthcare and education— by $7.8 trillion over the next five years.” Michael Roberts http://www.cadtm.org/Davos-and-the-melting-world-economy

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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