Face à l’échec du G20, la Belgique doit annuler la dette des pays du Sud

Opinion publiée sur le journal belge La Libre du 30 novembre 2020

1er décembre 2020 par Renaud Vivien , Robin Delobel , Aurore Guieu , Anaïs Carton


(CC - Wikimedia)

Après un premier report décidé en avril 2020, les chefs d’États du G20 se sont mis d’accord le 22 novembre pour prolonger la suspension du paiement de certaines dettes jusqu’en juin 2021, tout en admettant que l’ampleur de la crise est telle que des mesures allant au-delà de ce moratoire sont nécessaires mais au cas par cas. Pourtant, il n’est toujours pas question d’annulation.



« L’endettement des pays en développement, qui s’est encore accru en raison du Covid-19, constitue un obstacle permanent dans leur lutte contre la pauvreté. Un report temporaire des paiements pour un nombre limité de pays en développement, comme convenu lors du G20 G20 Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions. et du Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
sous l’impulsion de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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et du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, ne suffira pas »
. Cette phrase n’est pas extraite d’un communiqué de la société civile mais de la note de politique générale de la nouvelle Ministre de la coopération au développement exposée devant les député.e.s le 19 novembre. Ce constat reste malheureusement inchangé vu les orientations prises lors du dernier G20 ; de quoi pousser la Belgique à prendre des mesures beaucoup plus ambitieuses sur les dettes des pays du Sud si elle veut réellement être solidaire avec les populations mais aussi respecter son propre accord de gouvernement.

 La nouvelle fuite en avant du G20

Après un premier report décidé en avril 2020, les chefs d’États du G20 se sont mis d’accord le 22 novembre pour prolonger la suspension du paiement de certaines dettes jusqu’en juin 2021, tout en admettant que l’ampleur de la crise est telle que des mesures allant au-delà de ce moratoire Moratoire Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.

Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
sont nécessaires mais au cas par cas.

Pourtant, il n’est toujours pas question d’annulation. En effet, le G20 privilégiera les rééchelonnements, c’est-à-dire l’étalement du paiement intégral de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
dans la durée, si le moratoire devait être insuffisant. Ce dont on a déjà la certitude, puisque celui-ci a concerné jusqu’ici à peine 1,68 % des remboursements dus en 2020 par l’ensemble des pays dits « en développement ». En prétendant que des réductions ne pourraient avoir lieu qu’à titre exceptionnel, le G20 fait semblant de ne pas voir l’océan de dettes dans lequel les populations du Sud se noient.

  Le Cadre commun de traitement de la dette : un accord voué à l’échec

Le G20 a annoncé avec fierté la création d’un Cadre commun de traitement de la dette… mais dont les pays débiteurs sont encore les grands perdants. En plus de ne concerner qu’un nombre limité de pays débiteurs (au maximum 73 pays), il prolonge la domination des créanciers. Tour pays demandant un report ou un allègement de sa dette doit conclure au préalable un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) qui impose l’austérité budgétaire depuis presque quarante ans. Puis il doit faire face seul à un front uni de créanciers. Dans ce cadre, il n’existe aucune chance pour que la voix des populations du Sud soit entendue. En agissant de la sorte, le G20 refuse de reconnaitre l’endettement comme un problème structurel auquel il faudrait répondre par des annulations massives de dettes et par une réforme radicale de l’architecture financière internationale qui – selon les propres termes du président de la Banque mondiale - « est biaisée en faveur des pays riches et des pays créanciers ».

Une Banque Mondiale qui, alors qu’elle appelle les autres créanciers à annuler des dettes, continue pour sa part à exiger le remboursement intégral des dettes qui lui sont dues ! La participation des banques multilatérales de développement et du FMI à un allègement de dettes ferait pourtant toute la différence dans un contexte planétaire où les pouvoirs publics devraient pouvoir consacrer un maximum de leurs ressources à la lutte contre les effets de la pandémie. Soulignons, par exemple, que la République démocratique du Congo consacrait 2,5 fois plus de ses ressources au remboursement de la dette extérieure qu’en dépenses en santé ; que plus de 1,6 milliard d’enfants dans le Sud ont cessé d’aller à l’école à cause de la Covid-19 et que près de 130 millions de personnes pourraient s’ajouter aux 820 millions d’êtres humains qui ne mangent pas à leur faim avant la fin de l’année.

Autre angle mort de cet accord du G20 : l’absence d’obligation pour les créanciers privés (dont les banques et les fonds d’investissements privés) de participer au moindre effort, alors qu’ils détenaient 65 % de la dette extérieure totale du Sud en 2019. Sans contrainte, le secteur privé ne coopère évidemment pas, avec des effets immédiats délétères. Rien qu’entre mai et décembre 2020, les 46 pays qui ont bénéficié du moratoire auront versé 6,94 milliards aux créanciers privés en utilisant notamment les nouveaux prêts d’urgence du FMI. Au lieu de combattre la pandémie, ces prêts ont donc servi à renflouer le secteur privé, en même temps qu’ils ont gonflé une dette déjà insoutenable.

 L’accord de gouvernement en rupture avec les orientations du G20

Dans l’accord de gouvernement fédéral et la note de politique générale de la Ministre de la coopération au développement, la Belgique s’est engagée explicitement sur la voie des annulations de dettes bilatérales, c’est-à-dire celles qu’elle détient directement sur les pays du Sud, ainsi que des dettes multilatérales détenues notamment par la Banque mondiale et le FMI, deux organisations dans lesquelles la Belgique a un pouvoir d’influence important. La Belgique s’engage également à analyser toutes les mesures pour obliger les créanciers privés à participer aux annulations de dettes.

De tels engagements vont dans le sens voulu par l’ONU ainsi que la société civile. Il reste à les concrétiser de manière urgente en commençant à prendre des mesures directement à la portée de la Belgique comme tirer définitivement un trait sur les paiements prévus en 2020 et 2021 sans conditionner ces annulations à des accords conclus avec le FMI. Mais pour cela, il faudra nécessairement s’écarter des orientations du G20 et plaider pour que l’UE incite le G20 à revoir sa copie. A défaut, l’accord de gouvernement sera rapidement caduc.


Une opinion de Renaud Vivien (Entraide et Fraternité), Aurore Guieu (Oxfam-Belgique), Anaïs Carton et Robin Delobel (CADTM) et Nicolas Van Nuffel (CNCD-11.11.11).


Source : La Libre

Renaud Vivien

membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.

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