Rapport du Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique
14 mars 2023 par Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique
Au cours des 50 dernières années, on estime que l’Afrique a perdu plus de 1 000
milliards de dollars du fait des flux financiers illicites (FFI), (Kar et Cartwright-
Smith, 2010 ; Kar et Leblanc, 2013). Ce chiffre est à peu près équivalent à l’ensemble
de l’aide publique au développement reçue par l’Afrique pendant le même laps
de temps2. Actuellement, on estime que l’Afrique perd plus de 50 milliards de
dollars par an du fait des flux financiers illicites. Mais ces estimations sont peutêtre
très en deçà de la réalité car il n’existe pas de données précises pour tous
les pays africains, car elles excluent souvent certaines formes de flux financiers
qui par nature sont secrets et ne peuvent donc être correctement estimés, par
exemple les sommes résultant de la corruption et du trafic de drogues, de la
traite des personnes et du trafic des armes à feu. Les sommes perdues chaque
année par l’Afrique du fait des flux financiers illicites dépassent sans doute
considérablement le chiffre de 50 milliards de dollars.
Ces sorties de capitaux sont très préoccupantes étant donné l’insuffisance
de la croissance, les niveaux élevés de pauvreté, les besoins de ressources et
l’évolution défavorable de l’aide publique au développement. Alors que les pays
africains ont enregistré en moyenne une croissance d’environ 5% par an depuis
une quinzaine d’années, ce taux de croissance économique est encourageant
mais insuffisant. Il est par exemple très inférieur à la croissance à deux chiffres
qui a propulsé la transformation des économies dans certaines régions d’Asie. En
outre, les avantages de cette croissance se limitent au sommet de la répartition
des revenus, et ils ne s’accompagnent pas d’une création d’emplois. En dehors
des questions d’équité, cette situation signifie aussi qu’une croissance n’est
pas durable, du fait des risques de troubles sociaux. Le super-cycle qui frappe
dans l’ensemble du monde les produits de base et qui explique la croissance en
Afrique, arrive à son terme, tandis que des facteurs macroéconomiques comme
l’allégement de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
auront un effet éphémère.
La pauvreté reste très préoccupante en Afrique tant en termes absolus que
relatifs. Le nombre d’Africains vivant avec moins de 1,25 dollar par jour serait
passé de 290 millions en 1990 à 414 millions en 2010 (Nations Unies, 2013).
Cela tient au fait que l’accroissement de la population augmente plus vite que
le nombre de personnes sortant de la pauvreté. De plus, le PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
par habitant
en Afrique était de l’ordre de 2 000 dollars en 2013, ce qui ne représente
qu’un cinquième du niveau mondial (FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, 2014). En Afrique, la pauvreté
est multidimensionnelle : elle concerne l’accès limité à l’éducation, aux soins
de santé, au logement, à l’eau potable et aux moyens d’assainissement. Cette
situation permet de mieux replacer dans son contexte le chiffre de 50 milliards
de dollars par an de flux financiers illicites.
Les besoins de ressources des pays africains pour la prestation de services
sociaux, pour l’infrastructure et l’investissement soulignent aussi l’importance
d’une élimination des flux financiers illicites en provenance du continent.
Selon les tendances démographiques actuelles, l’Afrique aura la population de
jeunes la plus nombreuse dans le monde. En 2050, l’âge médian des Africains
sera de 25 ans, alors que la moyenne mondiale sera de 36 ans (Division de la population du Secrétariat de l’ONU, 2012). Les contraintes d’infrastructure
freinent également la croissance, de même que la faiblesse du taux d’épargne
et du taux d’investissement dans le continent africain. Ainsi, en 2012, les taux de
formation de capital brut au Nigéria et en Afrique du Sud étaient de 13% et de
19% respectivement, contre 49% en Chine et 35% en Inde (Division de statistique
du Secrétariat de l’ONU, 2014 ; Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, 2014). Pourtant on estime que
l’Afrique a besoin de trouver de 30 à 50 milliards de dollars par an pour financer
son équipement (Foster et Briceño-Garmendia, 2010 ; Banque africaine de
développement, 2014).
Le Groupe a considéré le fait que quand ces besoins sont comparés à l’évolution
défavorable de l’aide publique au développement, l’Afrique ne peut pas rester
indifférente aux problèmes posés par les flux financiers illicites. Les faits
nouveaux sur la scène mondiale donnent à penser que le problème posé par ces
flux financiers illicites est de plus en plus aigu. Les ressources que l’Afrique reçoit
de ses partenaires extérieurs sous forme d’aide publique au développement
n’augmentent pas en raison des difficultés financières que connaissent les
partenaires, qui au contraire cherchent à réduire ce type de dépense. L’Afrique
aura donc besoin de trouver sur le continent lui-même les moyens de financer
son développement et de réduire sa dépendance à l’égard de l’aide publique.
Les flux financiers illicites sont également préoccupants du point de vue de leur
impact sur la gouvernance. Pour réussir à faire sortir ces ressources du continent,
il faut habituellement suborner des fonctionnaires et cela peut compromettre les
structures étatiques, car les acteurs concernés peuvent avoir disposé de moyens
qui entravent le bon fonctionnement des institutions réglementaires.
Source : UNECA