Maroc

Franc succès pour le séminaire international :« Les accords de libre échange, des accords coloniaux contre les peuples »

7 octobre 2016 par Lucile Daumas , Souad Guennoun


Ce sont plus de 80 personnes, venues d’Europe, du Maroc, du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne, de Palestine, qui ont suivi avec assiduité toute la journée du samedi 1er octobre les travaux du séminaire “Accords de libre-échange, accords coloniaux contre les peuples”, qui se sont tenus dans les locaux du siège national de l’UMT1 à Casablanca.
Miloudi Moukharik, Secrétaire général de l’UMT, dans son mot de bienvenue, a souligné que la dénonciation des accords de libre-échange était un combat commun car ce sont des outils de surexploitation des peuples et de la classe ouvrière, refusant d’intégrer des clauses sociales.



Le premier panel a permis de faire le point sur la question du libre échange. Omar Aziki (Secrétaire général d’Attac Maroc) a montré en quoi les Accords de libre échange (ALE dans la suite du texte) sont des accords coloniaux, pensés en fonction des intérêts des pays occidentaux et de leurs entreprises. Ils ont démantelé les services publics, détruit le tissu productif, industriel comme agricole, creusé le déficit de la balance commerciale Balance commerciale
Balance des biens et services
La balance commerciale d’un pays mesure la différence entre ses ventes de marchandises (exportations) et ses achats (importations). Le résultat est le solde commercial (déficitaire ou excédentaire).
, et viennent profiter des exonérations fiscales et de la main d’œuvre bon marché dans les pays du Sud. Les ALE, couplés avec le service de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, sont des instruments coloniaux de domination des peuples.

Et ce d’autant plus que, comme l’a montré Monica Vargas (TNI2/Campagne pour un traité des peuples, contre le pouvoir et l’impunité des multinationales) les multinationales jouissent d’une architecture mondiale de l’impunité qui rend très difficile de pouvoir les attaquer et leur offre un pouvoir sur les Etats. Elles jouissent d’un “droit dur”, contraignant et accompagné de sanctions, alors que les droits humains, les droits économiques, sociaux et culturels peuvent être qualifiés de “droit mou”, simples recommandations dont la violation n’est passible d’aucune sanction. On est face à une privatisation de la démocratie, où le pouvoir s’exerce à partir de structures parallèles non élues et non légitimes. D’où l’importance de la campagne pour un Traité des peuples, qui se veut un instrument contraignant englobant l’ensemble des droits, et qui prévoit l’instauration d’une cour pénale internationale contre les crimes des multinationales et des institutions financières. Ce traité, fondé sur la primauté des droits humains, entraînerait la révision de tous les traités commerciaux et d’investissement. Il est un instrument de solidarité entre les peuples.

En effet, comme le rappelle NajibAkesbi (économiste marocain), les ALE sont des accords de classe entre pouvoirs politiques qui ont fait des choix économiques en pariant sur le marché, l’investissement, les multinationales. Ce qui n’élimine pas pour autant les contradictions internes au capital ou le fait de troquer le libre-échangisme contre le protectionnisme si besoin est. Le dossier agricole UE/Maroc en est une claire illustration.

L’un des problèmes posés par les ALE, notamment dans le contexte euro-méditerranéen et ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) est l’asymétrie des parties. Jean Marc Bikoko (Dynamique citoyenne/ CADTM Cameroun) rappelle que, malgré tous leurs défauts, les premiers APE (accords de partenariat économique) tenaient compte de cette asymétrie et ne se proclamaient pas Accords de libre échange. Couplés au système de la dette, ils n’ont cependant pas permis de favoriser le décollage de l’Afrique, comme ils le prétendaient et ont eu des conséquences sociales désastreuses qui ont poussé les populations à s’organiser comme c’est le cas au Cameroun avec les Dynamiques citoyennes.

Cuca Hernandez (Attac Espagne) a pour sa part montré que la disparition annoncée des Etats n’a pas eu lieu.Ils se sont maintenus comme états répressifs pour protéger les intérêts des multinationales et mettre en place les politiques néolibérales, comme les partenariats publics-privés, couvrir la faillite des entreprises, garantir leurs profits, négocier les ALE... Cela étant, les technocrates supranationaux se substituent aux Etats pour générer les normes, fixer les nouvelles règles du jeu économique) qui permettent de garantir l’accumulation par dépossession.

Le deuxième panel a fait le tour de quelques uns des impacts politiques, sociaux et environnementaux du libre-échange, notamment en matière de santé, et concernant les femmes, le climat et la démocratie. Zakaria Bahtout (International Treatment Prepraredness Coalition, ITPC)a montré comment les droits de propriété intellectuelles, consignés dans l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle (ADPIC) au niveau de l’Organisation Mondiale du Commerce OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
(OMC), mais faisant aussi l’objet d’un chapitre spécifique au sein des accords de libre échange, allant souvent au-delà de l’ADPIC dans la protection des brevets, pèse fortement sur les prix des médicaments et l’accès aux médicaments génériques, aux prix plus accessibles. Ils renforcent le poids et le pouvoir des multinationales et remettent en cause la souveraineté des pays sur leurs choix de production. Asmae El Mandour (Attac Maroc) a montré comment les ALE ont un fort impact sur les femmes. La libéralisation et privatisation des services publics a rendu plus difficile leur accès aux soins de santé et aux hôpitaux, devenus payants. La scolarisation s’est développée, mais il n’en reste pas moins que l’analphabétisme féminin reste dans des proportions scandaleuses. Les modifications introduites au sein du marché international du travail ont induit une féminisation de la main d’œuvre, accompagnée de précarité, de salaires inférieurs à ceux des hommes et dans un contexte de violence à l’égard de la main d’œuvre féminine (harcèlement sexuel, violences physiques et morales) qui montre que les traditions patriarcales font bon ménage avec la « modernité » de la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
capitaliste.
Jawad Moustakbal (Attac Maroc) a souligné qu’il est important de rappeler, alors que le Maroc s’apprête à abriter la COP 22, que le libre échange et l’environnement ne font pas bon ménage. La théorie des avantages comparatifs, la densification des échanges, la priorité donnée au commerce et aux droits des investisseurs sont en grande partie la cause de la crise climatique et environnementale que nous vivons. Or aucune étude d’impact n’est faite à ce niveau. Mohamed Abdelmouleh (Raid Attac Tunisie) a abordé pour sa part la question démocratique. Tout le monde connaît les conditions de secret dans lesquelles sont menées les négociations des ALE, qui ne sont connues quedes lobbies Lobby
Lobbies
Un lobby est une structure organisée pour représenter et défendre les intérêts d’un groupe donné en exerçant des pressions ou influences sur des personnes ou institutions détentrices de pouvoir. Le lobbying consiste ainsi en des interventions destinées à influencer directement ou indirectement l’élaboration, l’application ou l’interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, toute intervention ou décision des pouvoirs publics. Ainsi, le rôle d’un lobby est d’infléchir une norme, d’en créer une nouvelle ou de supprimer des dispositions existantes.
. En outre, les mécanismes de règlement des différents consacrent la primauté des investissements sur les Etats et aboutissent à suspendre les devoirsde l’État en matière sociale et environnementale notamment. Il existe souvent une clause démocratique, mais elle n’a jamais abouti à dénoncer les accords (comme cela aurait pu être le cas lors de la dictature de Ben Ali en Tunisie).

Le troisième panel a permis d’évoquer comment nous pouvons d’ores et déjà penser en termes d’alternatives. La Via Campesina (représentée par Ubai Al AboudiFahmi, Palestine) offre un modèle alternatif articulé autour des notions de souveraineté alimentaire et d’agriculture paysanne qui donnent la priorité à la satisfaction des besoins par une production locale. Dans le contexte spécifique de la Palestine occupée, ce modèle sert à la résistance à la colonisation pour développer une production de substitution, dynamiser l’initiative locale voire individuelle. Mohamed Hakech (UMT/FNS3) a insisté sur la notion d’autodétermination des peuples sur leur nourriture. Un rapport de la Banque du Maroc indique qu‘il faudra exporter 4 ans de tomates pour importer un an de blé ! Or c’est dans ce sens que pousse l’accord agricole UE/Maroc. Il appelle à se révolter contre les ALE et à être attentifs au Tribunal contre Monsanto qui se tiendra à La Haye les 14 et 15 octobre prochains. Jacqueline Balvet (Attac France) a plaidé en faveur d’une sobriété énergétique et la relocalisation au maximum des productions. L’exemple de Cuba (et d’autres pays) montre que cela est possible. Mais cela suppose de se libérer du concept de développement de la production et de l’offre. C’est sur cette idée qu’a insisté Lucile Daumas (Attac Maroc) en s’appuyant sur des réflexions latino-américaines pour montrer que l’on peut sortir de la logique du développement et de la croissance pour penser un bien-vivre qui repose sur une harmonie de l’homme avec la nature et une redynamisation de la notion de communauté.

Le séminaire s’est clôturé par la présentation de trois campagnes contre les traités de libre-échange. Luciana Ghiotto (Attac Argentine), qui n’a pu venir, mais était présente grâce à une video, a montré à partir de l’exemple du Non à l’Accord des Amériques, qu’il était possible via une campagne populaire de dire non aux ALE. Même si aujourd’hui le continent sud-américain se trouve obligé de se remobiliser contre le Traité transpacifique et d’autres projets d’ALE. Jacqueline Balvet (Attac France) a montré toutes les difficultés mais aussi toutes les avancées des campagnes menées en Europe notamment contre le TAFTA (Traité transatlantique) et le CETA (Traité Europe/Canada). Jihen Chandoul (Observatoire Tunisien de l’Economie) a proposé une rapide analyse de l’ALECA4 que la Tunisie négocie avec l’Union Européenne (le Maroc étant engagé dans ce même processus qui devra s’étendre par la suite à l’Egypte et la Jordanie). Cette nouvelle génération d’accords de libre échange étend tous les domaines relatifs au commerce, approfondit les protections offertes aux investisseurs et promeut une harmonisation des réglementations entre les pays du Sud méditerranéen et l’Union européenne qui va accroître la dépendance et exporter toute la réglementation et la législation prise en Europe. Il y a donc urgence à unifier nos forces, au niveau du Maghreb et de l’Afrique du Nord, pour faire barrage à cette nouvelle génération d’accords.

C’est donc à cette coordination des luttes que nous allons consacrer nos énergies pour sortir du processus des ALE et faire valoir la primauté des droits des peuples et de l’environnement sur les droits des entreprises, comme l’a souligné Brid Brenan du TNI et de la campagne pour un Traité des peuples.

Rédigé par Lucile Daumas
5 octobre 2016
Photos Souad Guennoun

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Lucile Daumas

membre d’Attac/Cadtm Maroc

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Souad Guennoun

Architecte et photographe renommée, vit à Casablanca. Elle témoigne depuis plusieurs années des crises sociales du Maroc d’aujourd’hui : émigration clandestine, enfants des rues, situation des femmes, luttes ouvrières, etc.
Elle filme les luttes menées contre la concentration des richesses, les restructurations d’entreprises provoquées par le néo libéralisme, les choix du régime monarchique visant à soumettre la population aux exigences de la mondialisation financière. Elle est membre d’ATTAC-CADTM Maroc.

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