France : selon une étude de 2014, 59 % de la dette publique sont illégitimes

24 avril 2018 par Laurie Debove


Le CADTM est un réseau international qui lutte depuis 30 ans pour l’abolition des dettes illégitimes afin de favoriser l’émancipation des peuples et la mise en place d’alternatives socialement et écologiquement soutenables. Ils font des audits dans le monde entier avec une question politique centrale : les États doivent-ils vraiment rembourser leur dette ?



L’illégitimité des dettes

Comme le souligne l’Expert des Nations-unies sur la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, Juan Pablo Bohoslavsky, la signature d’un contrat n’entraîne pas automatiquement le paiement de la dette : « L’idée qu’un État et sa population doivent rembourser la dette en toute circonstance, quelles que soient les fins auxquelles les fonds ont été empruntés, la manière dont ils ont été dépensés, ou les efforts consentis pour les rembourser, repose de toute évidence sur une conception trop simpliste de la souveraineté et du contrat ». Il existe donc des limites au paiement des dettes publiques.

Forts de cette idée, les membres du CADTM préconisent l’identification et l’annulation de dettes illégitimes. Bien sûr, le concept-même de « dette illégitime » est en lui-même politique, et non consensuel. Le CADTM considère qu’une dette est illégitime lorsqu’elle n’a pas servi l’intérêt général, mais plutôt les intérêts d’une minorité privilégiée. Pour être précis, le CADTM a défini quatre notions : des dettes illégales, odieuses, illégitimes ou insoutenables. Leur travail est construit sur trois piliers : la recherche et l’écriture d’expertise, grâce à la force de leur réseau, la formation, sensibilisation et mobilisation du grand public, mais aussi l’interpellation politique.


Sortir du cadre des grandes instances internationales

Les origines et conséquences d’une dette publique sont différentes entre les pays du Nord et ceux du Sud. Et pourtant, les grandes instances internationales comme le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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et la Banque Centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. préconisent les mêmes mesures pour chaque dette, le plus souvent à travers l’imposition d’une politique d’austérité.

En Europe, la signature du Traité de Maastricht de 1992 interdit aux États d’emprunter à leur propre banque centrale ou à la Banque Centrale Européenne BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE). Les Etats sont alors obligés d’emprunter aux marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
, c’est-à-dire aux grandes banques privées, pour financer leurs déficits. Confirmée par l’article 123 du Traité de Lisbonne, cette interdiction d’emprunter directement à la BCE a engendré un surcoût financier énorme pour les finances publiques des États membres de l’UE. Olivier Bonfond, du CADTM, a calculé que la dette belge pourrait être à 50% en-dessous du PIB.

  • « A l’opposé de ceux qui affirment que la dette serait le résultat de dépenses inconsidérées de « l’État providence », il apparaît donc que la politique de financement de la dette publique via les marchés financiers a joué un rôle très important dans l’évolution de la dette publique belge ces vingt dernières années. » Olivier Bonfond

En France, le Collectif pour un Audit Citoyen de la dette publique (CAC) a réalisé une étude en 2014 révélant que 59% de la dette publique proviennent des cadeaux fiscaux et des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
excessifs. 50 milliards d’euros annuels vont juste aux intérêts. Pour le CADTM, si la France ne les payait pas, le pays ne serait pas en déficit. Le rapport du CAC précise :

  • « Au total, il apparaît clairement que la dette publique a été provoquée par des politiques économiques largement favorables aux intérêts des créanciers et des riches, alors que les sacrifices demandés aujourd’hui pour la réduire pèsent pour l’essentiel sur les salariés, les retraités et les usagers des services publics. Cela pose la question de sa légitimité. »

Les Etats endettés disposent pourtant de moyens de pression face à leurs créanciers pour négocier et encadrer les termes de remboursement au profit de leurs populations. L’un des grands exemples de réussite est l’Equateur lorsque la population, dans un contexte de mobilisation populaire incroyable, a élu Rafael Correa qui s’est engagé dans son programme à lancer un audit de la dette du pays alors que l’Équateur n’était pas en crise financière. La particularité, c’est qu’il a suspendu le paiement le temps d’examiner la dette, de voir d’où elle vient et pourquoi elle a été contractée.

  • « En novembre 2008, il a annoncé la suspension unilatérale du remboursement de la dette commerciale, c’est-à-dire la dette sous la forme de titres vendus sur les marchés financiers et venant à échéance en 2012 et en 2030. Pendant six mois, l’Équateur a laissé les marchés financiers sans informations. »

L’audit a permis d’identifier une partie illégitime de la dette. Rafael Corréa a alors pris un troisième acte : il a refusé de payer cette partie illégitime et a jeté hors de son territoire le représentant du FMI. Cela a permis à l’Equateur d’investir dans des services publics comme l’éducation.

Pour le CADTM, le changement viendra de la mobilisation citoyenne populaire. En Grèce, ce qui a manqué est le maintien de cette pression, Syriza ayant capitulé face aux marchés financiers. Le CADTM le revendique : il faut maintenir une pression populaire permanente et que ces questions de dette soient toujours observées par les citoyens.

Avec l’aimable autorisation de La relève et la peste