19 janvier 2023 par Eric Toussaint , Anis Germany
Photo : Éric Toussaint
Cet entretien avec Éric Toussaint vise à construire une position sur la dette et son remboursement. Il aide également à comprendre le rôle de la dette et ses mécanismes dans l’extraction des ressources du Sud vers le Nord au niveau international, et dans les transferts de ressources des pauvres vers les riches au sein de chaque société.
Cet entretien n’est pas seulement lié au Liban, sauf dans la mesure où la situation libanaise représente un modèle de ce qui se passe dans de nombreux endroits du monde et dans l’histoire.
Le Liban souffre depuis près de trois ans de la faillite de son système bancaire, d’un effondrement continu de la valeur de sa devise, d’une inflation à trois chiffres et d’un grave ralentissement économique. Certains estiment que la crise est le résultat de la corruption, des dépenses publiques excessives et de l’accumulation de la dette souveraine, tandis que d’autres soulignent que l’arrêt de paiement de la dette en devises étrangères depuis mars 2020 est la cause du déclenchement et de l’aggravation de la crise. Malgré la prévalence de ces deux récits, il n’en demeure pas moins que les banques sont en faillite et que les efforts se poursuivent pour imputer les pertes à la population libanaise.
Cet entretien a d’abord été publié en arabe par la revue libanaise Project Zero. La vidéo de l’entretien est disponible en français avec sous-titres en arabe : https://alsifr.org/eric-toussaint
Voir aussi : Retour avec Éric Toussaint sur les fondements de la crise libanaise
Voir aussi : sur le site arabophone du CADTM
Anis Germany : Vous décrivez la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
comme une arme contre la propriété publique et vous affirmez que le capital vit aux dépens de la dette souveraine qu’il utilise pour se débarrasser des formes les plus élémentaires du régime social-démocrate et pour forcer les pays à libéraliser l’économie, à ouvrir les marchés et imposer l’austérité à la population. Nous en sommes témoins ici au Liban, en Égypte et dans de nombreux pays du Sud. Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionnent les mécanismes de la dette, et en faveur de qui ?
Le Fonds monétaire et le modèle économique et social qu’il défend et perpétue sont la cause du problème, il ne peut donc en aucune façon faire partie de la solution
Éric Toussaint : Ces deux récits qui dominent la scène politique libanaise me rappellent la situation actuelle au Sri Lanka, où beaucoup de gens se concentrent sur la corruption, qui est certainement un phénomène odieux, dangereux et scandaleux. Pourtant, force est de constater que des crises de l’ampleur de celle du Liban, de la Tunisie et du Sri Lanka ne peuvent être réduites aux phénomènes de corruption ou d’incompétence de la classe politique. Cette façon de penser est utilisée par le système capitaliste mondial et ses outils afin de présenter la corruption comme la source du problème, et un accord avec le Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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comme sa solution. Alors que le Fonds monétaire et le modèle économique et social qu’il défend et perpétue sont la cause du problème et non un de ses symptômes. Le FMI ne peut donc en aucune façon faire partie de la solution.
L’analyse classique de l’économie politique, en particulier celle de Karl Marx et de Friedrich Engels (et aussi celle d’Adam Smith), explore plusieurs types d’accumulation primitive. Dans le chapitre 31 de son livre Le Capital, Marx affirme que la dette publique, parmi toutes les formes d’accumulation primitive, joue un rôle important et explique en partie la victoire du système capitaliste sur les modes de production antérieurs. En effet, on ne peut expliquer l’hégémonie de l’Europe sur le processus de mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
capitaliste à partir du XVIe siècle, ni sa victoire sur les autres continents et les autres puissances économiques, dont la Chine au XIXe siècle, sans se pencher sur la question de la dette.
Premièrement, il faut savoir que la dette est l’un des mécanismes qui a permis aux puissances dominantes et à leur capital financier d’extraire une grande partie de la richesse, notamment la richesse produite dans les mines d’or et d’argent d’Amérique latine aux XVIe et XVIIe siècles, et d’accélérer le renforcement de l’Europe occidentale. Cette accumulation a permis à l’Europe de faire un saut décisif vers le capitalisme, puis de dominer le reste du monde à partir de la première moitié du XIXe siècle suite à la Révolution industrielle.
J’ai mentionné la Chine parce qu’elle était aussi puissante que presque tous les pays d’Europe occidentale réunis jusqu’au début du XIXe siècle. Mais elle est passée au second plan après avoir eu recours à des emprunts extérieurs, qui ont permis aux puissances financières de contrôler la Chine, jusqu’à l’utilisation de la force (les fameuses « guerres de l’opium ») pour réclamer une partie de son territoire dont la propriété a été transférée à ses créanciers. Dans son livre L’accumulation du capital, publié en 1913, Rosa Luxemburg prolonge l’analyse que Marx avait commencée sur les événements en Inde et en Chine sans la conclure suite à sa mort dans les années 1880.
On ne peut expliquer l’hégémonie de l’Europe sur le processus de mondialisation capitaliste sans se pencher sur la question de la dette
Deuxièmement, au cours du XIXe siècle, l’arme de la dette a été utilisée par le capital financier, qui a dominé l’économie internationale à travers les grandes banques créancières à Londres, et dans un second degré à Paris, puis à Berlin. Des prêts injustes et odieux ont été accordés à des débiteurs dans différentes régions du monde, comme l’Égypte et la Tunisie, qui faisaient partie de l’Empire Ottoman à l’époque. Des dettes ont aussi été accordées aux gouvernements de l’Empire Ottoman à Istanbul, ce qui a finalement conduit à sa chute. Dans mon livre, Le Système Dette, qui a été traduit en Arabe, j’explique les développements internes dont l’Égypte a été témoin au cours des cinquante premières années du XIXe siècle. Le khédive (= chef de l’État) avait importé les technologies industrielles britanniques les plus récentes tout en refusant de signer des accords de libre-échange avec la Grande-Bretagne ou d’emprunter à l’étranger. Il exploita la classe paysanne égyptienne, industrialisa le pays d’une manière exceptionnelle, et exporta ses produits, en important relativement peu et sans recourir à la dette extérieure. Cependant, à partir des années 1850, les créanciers britanniques et français ont réussi à persuader le successeur du khédive d’emprunter massivement pour développer le canal de Suez et augmenter la production du coton, ce qui a accablé le pays par sa dette extérieure depuis les années 1870 et complètement assujetti l’Egypte à ses créanciers. Rosa Luxemburg a consacré des dizaines de pages à l’assujettissement de l’Égypte et à l’exploitation et l’accumulation du capital par les puissances impériales dominantes qui se sont établies au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Cette subordination de l’Égypte a permis à la Grande-Bretagne de contrôler totalement l’Égypte à partir de 1882 et d’affaiblir très fortement l’Empire Ottoman à partir des années 1870. Dans mon livre, j’analyse aussi l’hégémonie de la France sur la Tunisie, et la transformation de cette province ottomane en protectorat français à partir de 1881. Tous ces assujettissements et ces conquêtes passent par l’endettement extérieur et ses conditions arbitraires qui rendent impossible un remboursement normal, et donnent aux créanciers un prétexte pour déclarer la guerre aux pays débiteurs dans le but de récupérer l’argent par la force. L’Empire Ottoman n’a pas subi le même sort que l’Égypte et la Tunisie, il a été soumis tardivement car une attaque militaire directe contre lui était difficile. En fait, l’Empire Ottoman n’est pas tombé directement aux mains des puissances européenne, sa défaite et sa désintégration définitive n’ont été obtenues qu’au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Cependant, le régime de Kemal Atatürk (fondateur et premier président de la république de Turquie de 1923 à 1938) et son alliance avec la Russie Soviétique sont revenus pour compliquer la tâche des puissances occidentales.
D’autre part, le Japon est un exemple typique du rôle de l’endettement extérieur comme outil de domination. Au début du XIXe siècle, le Japon était une puissance économique secondaire par rapport à la Chine, mais a refusé d’emprunter à l’étranger tout en assistant à une révolution bourgeoise basée sur l’accumulation interne, appelée la révolution Meiji. L’exploitation des classes sociales par les classes dominantes a conduit à la transformation du Japon en une puissance impériale qui envahit Formose (aujourd’hui Taiwan) et la Corée du Sud - alors provinces Chinoises - entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, ainsi que les Philippines et une partie de la Chine pendant la Seconde Guerre Mondiale avant sa défaite. Ces événements montrent qu’une puissance mineure a réussi à s’imposer comme puissance impériale parce qu’elle est restée libre de la domination des créanciers étrangers. En revanche, la Chine, qui aurait pu connaître un développement très important comme l’ont montré certains auteurs, n’y est pas parvenue car elle a accepté d’emprunter à l’étranger et de signer des accords de libre-échange.
Lors de l’analyse du système dette, nous devons prendre en considération les élites locales et les classes dirigeantes traditionnelles. Vont-elles favoriser un développement spécifique, comme ce fut le cas du Khédive en Égypte durant la première moitié du XIXe siècle ? Ou dépendra-t-elle de prêteurs étrangers pour l’enrichir, comme ce fut le cas des classes dirigeantes en Égypte, en Turquie et en Tunisie durant la seconde moitié du XIXe siècle ? On ne peut pas expliquer la domination des créanciers étrangers sans la coopération des classes dominantes locales. Le Liban en est un exemple typique. La classe dirigeante libanaise n’avait pas de projet de développement industriel, ni de conversion d’un produit agricole comme le coton en textile, ni de développement de productions industrielles plus développées et diversifiées.
On ne peut pas expliquer la domination des créanciers étrangers sans la coopération des classes dominantes locales
Depuis le XIXe siècle jusqu’aujourd’hui, cette classe s’est spécialisée dans une section spécifique de la division internationale du travail et du capital, notamment le commerce et la finance, et a joué un rôle subordonné et secondaire. Cette dépendance ne signifie pas qu’elle ne s’est pas enrichie : au contraire, la classe dirigeante locale a accepté la subordination au système impérial et à ses autorités centrales, et a obtenu de celui-ci des positions qui lui ont permis de s’enrichir, soit en exploitant la population locale, soit en exploitant les avantages comparatifs du Liban tels que sa situation géographique stratégique et sa capacité à jouer un rôle dans le commerce et la finance internationale.
Après avoir fait cette référence au passé et être arrivé à la situation présente, je reviens sur l’actualité car si on ne comprend pas le contexte historique, on continuera à parler simplement de corruption, et d’une classe politique incapable de se positionner au sein du système, alors que ce qui se passe aujourd’hui au Liban est fonctionnel au système par excellence, et se trouve au cœur des crises du système capitaliste mondial.
Anis Germany : Dans les exemples que vous avez donnés, vous vous êtes concentré principalement sur la dette externe. Le problème est-il exclusivement lié à la dette externe et au positionnement de la classe dominante locale par rapport à cette dette ? Ou est-ce un problème qui découle des mécanismes de fonctionnement de la dette elle-même, qu’elle soit externe ou interne ?
La classe dominante libanaise tire une partie de ses ressources en prêtant à l’État et achète des titres de la dette externe libanaise pour en tirer également des bénéfices en devises étrangères
Éric Toussaint : Depuis la première moitié du XIXe siècle, le recours à la dette interne est mentionné dans toute la littérature économique de l’Empire Ottoman. Le Bey de Tunis (càd le chef d’État) a eu recours à des créanciers résidant en Tunisie, qu’ils soient des marchands ou des financiers tunisiens, libanais, italiens, français ou britanniques (tous résidant en Tunisie) qui lui prêtent de l’argent à des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
usuraires. Ce phénomène d’une classe dominante locale prêtant au gouvernement à des taux d’intérêt élevés pour en tirer des rentes a existé sous l’Empire Ottoman dès le début du XIXe siècle, et s’est poursuivi pendant la domination coloniale occidentale, ainsi qu’après l’indépendance.
Effectivement, la classe dominante libanaise tire une partie de ses ressources en prêtant à l’État, et cela vaut également pour d’autres pays de la région. D’autre part, cette classe place à l’étranger une partie des capitaux qu’elle collecte par divers mécanismes, souvent sans le déclarer, et achète des titres de la dette
Titres de la dette
Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
externe libanaise pour en tirer également des bénéfices en devises étrangères.
Lorsqu’on décrit les caractéristiques du système dette, il faut prendre en compte les différents types de créanciers. Premièrement, les prêteurs privés étrangers qui peuvent être de grandes banques étrangères ou des fonds d’investissement
Fonds d’investissement
Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise.
étrangers comme BlackRock. Deuxièmement, le Fonds monétaire international et d’autres institutions multilatérales, qui réalisent des bénéfices en prêtant à des pays comme le Liban et recommandent la poursuite du modèle néolibéral, notamment en faisant payer au peuple la facture de la dette. Troisièmement, d’autres gouvernements à travers les dettes bilatérales (notamment les pays membres du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
ou la Chine), qui ne constituent qu’un petit pourcentage dans le cas de la dette libanaise. Quatrièmement, la dette interne créée par la classe dominante locale à travers les institutions bancaires locales.
Anis Germany La pandémie de Covid-19 a exacerbé la situation de nombreuses économies qui souffraient déjà du fardeau de leur endettement, et a restreint la capacité de la plupart de ces pays à dépenser pour protéger leurs sociétés de la pandémie pour prioritiser les paiements du service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
publique. Vous êtes le porte-parole international du Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes qui mène une campagne internationale pour annuler les dettes des pays du Sud, que vous qualifiez de « dettes odieuses ». La plupart pense que chaque pays est responsable du paiement de ses dettes puisqu’il a choisi d’emprunter et de dépenser ces fonds. Pouvez-vous expliquer ce qu’est une dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
et pourquoi est-il important de l’annuler ?
Dans le cas du Liban, l’essentiel de la dette a servi les intérêts particuliers d’une minorité privilégiée, qu’il s’agisse de la classe politique, de la classe capitaliste libanaise ou d’intérêts étrangers
Éric Toussaint : Il existe une définition de la dette odieuse qui fait partie de la jurisprudence en droit international. Cette définition a été élaborée dans les années 1920 et publiée à Paris en 1927 par Alexander Sack, un juriste russe conservateur, ancien professeur de droit dans l’Empire Tsariste à Saint-Pétersbourg, exilé à Paris après la Révolution Russe. Je mentionne cela pour dire qu’il n’était ni Communiste ni sympathisant avec les Soviets ou les Bolcheviks, mais qu’il était plutôt choqué par le refus des Soviets d’honorer la dette tsariste. Ce juriste a analysé tous les contentieux qu’il a rencontrés sur les dettes souveraines depuis la Révolution Française en 1789, et a formulé une doctrine en droit international stipulant qu’en cas de succession ou de changement de régime, les obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
antérieures sont transférées au nouveau régime quelle que soit la nature du régime en cause - démocrate, tyrannique, religieux, ou républicain populaire - sauf lorsqu’il s’agit d’une dette odieuse. Si la dette est contractée contre l’intérêt des résidents d’un État, ou contre l’intérêt objectif de l’État - et donc en faveur d’une minorité privilégiée - et si les créanciers ne peuvent pas prouver qu’ils ne le savaient pas, alors la dette peut être qualifié d’odieuse. Ainsi, selon cette doctrine, c’est l’utilisation de la dette qui la rend odieuse ou non, nulle ou non.
Dans le cas du Liban, l’essentiel de la dette n’a pas servi les intérêts des Libanais ou même de l’État libanais - si l’on considère l’État comme un acteur qui devrait agir pour le bien de ses citoyens - mais a plutôt servi les intérêts particuliers d’une minorité privilégiée, qu’il s’agisse de la classe politique, de la classe capitaliste libanaise ou d’intérêts étrangers. D’un autre côté, les créanciers qui ont prêté de l’argent au gouvernement libanais le savaient, notamment les banquiers qui ont prêté au gouvernement libanais en sachant qu’une partie de l’argent était reversée à la classe politique et aux élites locales. Les banquiers ont permis à la classe politique locale de placer une partie de ces sommes empruntées sur des comptes numérotés en Suisse, à Monaco, à Londres et ailleurs, en échange de prêts d’argent à l’État libanais à des taux d’intérêt élevés. Si nous appliquons les critères de la doctrine de la dette odieuse, nous pouvons prouver après examen que les dettes internes et externes libanaises sont des dettes odieuses, et donc nulles du point de vue du droit international. C’est une bataille à mener car le simple fait de qualifier la dette d’« odieuse » ne convaincra pas les créanciers de renoncer au paiement de la dette. En revanche, un gouvernement jouissant d’une légitimité populaire peut procéder à un audit de la dette avec la participation des citoyens et des citoyennes du Liban, prendre une décision souveraine et unilatérale d’annulation les dettes odieuses conformément au droit international et défendre sa position face aux créanciers et l’opinion publique internationale.
Anis Germany : Quelle est l’importance de la répudiation de ces dettes pour les économies locales, que ce soit au Liban ou ailleurs ?
Plusieurs pays qui ont annulé leurs dettes dans l’histoire n’ont finalement pas été amenés à une situation néfaste, contrairement aux pays qui ont continué à payer
Éric Toussaint : J’analyse actuellement une série de répudiations de dettes qui ont eu lieu au cours de l’histoire, et plus j’étudie l’histoire, plus j’en découvre. En 1933, le président et le Congrès États-Unis ont décidé d’annuler le remboursement en or de toutes les dettes publiques et privées. Du jour au lendemain, le gouvernement étatsunien a dévalué le dollar de 69 % par rapport à l’or et a remboursé ses dettes en dollars uniquement. Il s’agit effectivement d’un acte de répudiation de la dette, qui a été discuté au Congrès Américain, et a scandalisé des sénateurs qui craignaient que les États-Unis ne perdent leur capacité à emprunter sur les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
. Mais ils se sont trompés : les États-Unis ont été victorieux, tout comme les Soviétiques qui ont annulé en 1918 les dettes de l’Empire tsariste et du Gouvernement Provisoire. Selon mon analyse, plusieurs pays qui ont annulé leurs dettes n’ont finalement pas été amenés à une situation néfaste, contrairement aux pays qui ont continué à payer. Dans certains cas, les puissances créancières ont eu recours à la force, mais à la fin, les pays qui ont résisté ont gagné, et les pays qui se sont soumis ou n’ont pas résisté jusqu’au bout - comme la Tunisie en 1881, l’Egypte en 1882 et une série de pays qui se sont soumis aux termes des accords dictés par le Fonds monétaire international - ont dû accepter leurs rôle d’Etats subordonnés aux créanciers sans réussir à se désendetter. Ces pays ont subi un sort défavorable plutôt que d’avoir le courage de résister.
Anis Germany : Les exemples que vous avez mentionnés, comme la Russie Bolchévique et les États-Unis, étaient deux grandes puissances lorsqu’ils ont annulé leurs dettes. Ne faudrait-il pas un minimum de force militaire et économique pour pouvoir résister aux créanciers ?
Résister aux créanciers ne débouche pas dans tous les cas sur une grande victoire, mais la défaite est garantie si on se soumet
Éric Toussaint : Le Mexique a annulé ses dettes à plusieurs reprises (1861, 1867, 1913), ce qui l’a conduit à être envahi par un contingent Français de 35 000 hommes en 1862 pour le forcer à payer ses dettes. Le Mexique a résisté et a gagné. Entre 2007 et 2008, l’Équateur, pays de 17 millions d’habitants qui n’est ni une puissance militaire ni une puissance économique, a mené un audit de sa dette sous le gouvernement progressiste de Rafael Correa, a décidé de suspendre le paiement d’une partie de ses dettes illégitimes et a marqué une victoire sur ses créanciers. L’Islande - pays du Nord de 350 000 habitants - a résisté et gagné en 2008 contre la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, qui réclamaient une compensation financière de 3,5 milliards d’euros. En revanche, la Grèce - un pays de 11 millions d’habitants – a été humiliée par son propre gouvernement devant ses créanciers en 2015. Malgré la promesse de son gouvernement de résister, il a capitulé alors que le peuple lui demandait de tenir tête aux créanciers. En résistant, on n’est pas absolument certain de gagner, mais en se soumettant, on est certain de perdre.
Anis Germany : Sommes-nous au bord d’une crise mondiale de la dette souveraine ? La Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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estime que 60 % des pays à revenu faible ou intermédiaire doivent restructurer leurs dettes et a exprimé sa crainte que de nombreux pays suspendent leurs paiements de façon non régulée ? Pensez-vous que le moment est venu de faire de l’annulation de la dette une solution incontournable ?
Éric Toussaint : Je souhaite que toutes les dettes illégitimes soient annulées, mais je suis réaliste et conscient du rapport de force. Actuellement, il n’y a pas de gouvernement vraiment prêt à résister, et je m’attends donc à ce que les gouvernements aient du mal à financer leurs dettes après des chocs internes et externes, malgré (et, en réalité, à cause de) leur soumission au modèle néolibéral. Dans le cas du Sri Lanka, la perte de revenus touristiques provoquée par la pandémie de Covid-19, ainsi que le manque de ressources pétrolières et la dépendance à l’égard des importations de céréales – qui a augmenté la facture des importations de produits de base – ont miné la capacité de paiement du pays. Le Ghana et la Zambie sont en pleine crise de défaut de paiement.
Je souhaite que toutes les dettes illégitimes soient annulées, mais je suis réaliste et conscient du rapport de force. Actuellement, il n’y a pas de gouvernement vraiment prêt à résister
D’autres pays ne sont pas loin de la suspension de paiement comme le Pakistan, le Bangladesh, la Tunisie et ne l’évitent qu’en contractant de nouvelles dettes auprès du FMI notamment. Donc, oui, comme le dit la Banque mondiale, il y aura de grandes difficultés à rembourser les dettes. Mais selon le modèle qu’elle applique avec le Fonds monétaire international et le Club de Paris, la Banque mondiale ne parle pas d’annulation des dettes, mais plutôt de leur restructuration selon des accords d’aide d’urgence conclus avec le FMI à des conditions qui approfondiront et prolongeront le modèle néolibéral, et augmenteront ainsi la vulnérabilité des économies fragiles. C’est le scénario de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, et malheureusement, il risque de se réaliser. Par conséquent, si des mouvements populaires comme ceux observés au Liban en 2019 ne font pas prendre conscience que le FMI ne fait pas partie de la solution mais est plutôt un des ennemis, alors il n’y aura pas d’autre solution qu’un gouvernement déclarant la rupture avec ce modèle, selon la méthode décrite par le penseur égyptien Samir Amin, c’est-à-dire en déclarant la déconnexion avec une série de mécanismes et d’accords nuisibles au pays. Mais une telle rupture demande du courage.
Anis Germany : Malheureusement, il n’y a pas d’opposition sérieuse aux programmes du FMI au Liban, celui-ci est plutôt présenté comme le seul sauveur pour obtenir plus de financement en devises étrangères face à l’incapacité d’emprunter sur les marchés. Dès lors, quel est le rôle joué par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale pour maintenir les pays dans le piège de l’endettement et imposer ainsi des conditions d’austérité aux sociétés ?
Le FMI instrumentalise l’endettement pour libéraliser les économies, les déréglementer et les privatiser au détriment de leur stabilité
Éric Toussaint : Ils jouent un rôle central. Le Fonds monétaire international attend qu’un pays lourdement endetté se retrouve en crise, et demande un prêt d’urgence de quelques milliards de dollars pour imposer des mesures visant à ouvrir davantage les économies, à réduire les dépenses publiques, à supprimer les subventions sur les denrées de base et le carburant. Il impose également l’augmentation des impôts indirects tels que la taxe sur la valeur ajoutée pour augmenter les recettes de l’État, qui à leur tour serviront à rembourser les dettes, ainsi qu’à modifier les lois minières, forestières et du travail. Ces mesures visent à libéraliser les économies, les déréglementer et les privatiser au détriment de leur stabilité. Par conséquent, tous ceux qui disent que le Fonds monétaire est nécessaire, et tous ceux qui s’accrochent au récit anti-corruption, sont soit honnêtes mais naïfs, soit sont complices du régime. A ceux-ci s’ajoutent les conseillers économiques qui se présentent comme des défenseurs de l’intérêt général, alors qu’ils sont en réalité les partenaires des créanciers. En effet, derrière le Fonds monétaire international et la Banque mondiale se trouvent les grands créanciers privés, la classe dominante locale et/ou étrangère, ainsi que les principaux actionnaires des sociétés financières, des fonds d’investissement ou des banques, qui bénéficient tous de l’application du modèle néolibéral, et demande à ces deux institutions d’imposer leurs recettes pour préserver ce modèle. Par conséquent, le rôle de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international est essentiel pour maintenir le système de domination.
Anis Germany : Si l’on prend une vue d’ensemble sur la situation de l’économie mondiale, on constate que les sociétés des pays du Sud et la majorité des sociétés du Nord souffrent. Les rapports du FMI, de la Banque mondiale, des banques centrales, des centres de suivi et des ONG avertissent tous que nous entrons dans une crise mondiale majeure et de longue durée. Les dettes publiques et privées semblent de plus en plus difficiles à payer, l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. se généralise, les taux de pauvreté et d’inégalités sont au plus haut historiquement, et la terre se dirige vers un effondrement environnemental auquel les responsables refusent de répondre. Face à cette scène tragique, quel est le projet politique alternatif, ou quels sont les moyens à disposition pour changer de cap ?
Tout changement radical commence par l’annulation des dettes et la rupture des liens avec les créanciers. C’est la condition de base pour qu’un pays retrouve sa souveraineté sur ses propres choix, ses ressources naturelles et financières, et surtout sur son avenir
Éric Toussaint : Il y a deux principaux points de départ. Premièrement, agir, et deuxièmement, agir selon un programme et une stratégie précise. En ce qui concerne le premier aspect, il ne fait aucun doute qu’il faut un mouvement de mobilisation populaire pour obliger les gouvernements à prendre des décisions différentes de celles qu’ils prendraient en l’absence de pressions et de mobilisations. Mais cela n’est pas suffisant et peut ne pas changer grand-chose, d’où vient le deuxième aspect, qui est d’évoluer selon un programme et selon une stratégie précise. En fait, il existe un réel besoin d’élaborer un programme et d’agir en fonction de celui-ci. Dans ce cas, le programme commence par l’annulation des dettes et la rupture des liens avec les créanciers. C’est la condition de base pour qu’un pays retrouve sa souveraineté sur ses propres choix, ses ressources naturelles et financières, et surtout sur son avenir au lieu de déléguer son présent et son avenir à des créanciers. Le programme est ensuite complété par chaque pays définissant les secteurs économiques stratégiques sur lesquels les pouvoirs publics, avec le soutien des citoyens, doivent reprendre le contrôle. Au Liban, le secteur financier est considéré comme stratégique, et les pouvoirs publics doivent en reprendre le contrôle, en plus de contrôler le commerce extérieur. Ils doivent également imposer des mécanismes de contrôle des mouvements de capitaux pour empêcher leur fuite et éviter de déstabiliser l’économie et sa monnaie, ainsi que contrôler la monnaie. Par conséquent, nous devons être prêts et ambitieux pour mettre en place un programme de changement structurel qui comprend des réformes radicales contre le capitalisme profondément enraciné.
Nous avons besoin d’un système mondial socialiste, écologique, féministe et antiraciste pour répondre à tous les problèmes auxquels l’humanité doit faire face
Par ailleurs, il faut cependant veiller à ne pas tomber dans l’illusion que l’adoption de comportement bienveillant à l’égard de la nature de la part de millions de foyers vers un système économique alternatif permettrait de changer le cours du développement catastrophique et tragique de la planète, tant que les grandes compagnies pétrolières, les fonds d’investissement, les banques et les entreprises agricoles continuent de dominer l’économie mondiale. Il faut sans doute changer ce qu’on peut autour de soi dans son mode de vie, mais sans nous leurrer que c’est la solution pour sauver l’humanité. Je rappelle ici ce que Rosa Luxemburg écrivait pendant la Première Guerre Mondiale dans son livre intitulé « Socialisme ou Barbarie », parce qu’il est valable aujourd’hui plus que jamais. Premièrement parce que de nombreux pays possèdent les moyens nucléaires pour détruire toute l’humanité, et deuxièmement parce que le changement climatique et la crise écologiques prennent un virage catastrophique. Nous avons besoin d’un système mondial socialiste, écologique, féministe et antiraciste pour répondre à tous les problèmes auxquels l’humanité doit faire face. Par conséquent, si les citoyen·nes ne font pas le choix conscient de rompre avec le modèle capitaliste pour aller vers un autre modèle, la barbarie et la mort domineront l’avenir.
Les auteurs remercient Maxime Perriot pour sa relecture.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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