20 novembre 2008 par Eric Toussaint , Damien Millet
Le sommet du G20
G20
Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions.
, regroupant les grands pays industrialisés et émergents, vient de se réunir à Washington. La crise financière internationale est profonde, les Bourses ont perdu près de 40% de leur capitalisation en octobre 2008, les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
sont suspendus aux décisions prises
par les Etats pour apporter des remèdes qui éclairciraient leur avenir
bien assombri. Les feux de l’actualité internationale se sont braqués le
temps d’un week-end sur Washington. Et pourtant…
Pourtant, que s’est-il passé à Washington ? Un spectacle affligeant, un
scénario manquant franchement de crédibilité, mais trop peu de spectateurs s’en émeuvent. Dans les films policiers, il est assez rare que les clés du Palais de justice soient confiées aux coupables d’un crime abominable.
C’est pourtant ce que le G20 est en train d’organiser…
Depuis la crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
de 1982, les grands pays industrialisés ont
promu avec vigueur des mesures économiques néolibérales que le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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ont été chargées d’imposer aux pays en développement. En proie à un surendettement provoqué par la chute des cours des matières premières durant les décennies 1980-90 et à une hausse brutale des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
décidée par les Etats-Unis en 1979, le Sud a été contraint de réformer son économie pour pouvoir servir ses créanciers : au menu, dérégulation forcenée, privatisations massives, ouverture des marchés au profit des grandes entreprises des pays industrialisés, réduction des budgets sociaux et de la fonction publique… Tous les maux venaient du fait
qu’il y avait trop d’Etat, et il fallait réduire son influence sur la
sphère économique à tout prix, même – et surtout – s’il cherchait à
défendre l’intérêt du plus grand nombre.
Pour les populations du tiers-monde, le remède imposé par le FMI, la
Banque mondiale puis l’OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
, à la demande des dirigeants des pays du Nord,
fut pire que le mal. Les émeutes anti-FMI se sont multipliées, par exemple
quand le prix du pain était doublé en une nuit. A l’exception notable de
quelques gouvernements progressistes, souvent fortement déstabilisés en
coulisses pour qu’ils rentrent dans le rang, la plupart des gouvernements
du Sud ont appliqué ces mesures sans sourciller. Présentée comme
indispensable à la création de richesse, la dérégulation économique a été
étendue à la planète entière. Les institutions financières privées ont
alors eu les mains libres pour inventer des produits financiers
Produits financiers
Produits acquis au cours de l’exercice par une entreprise qui se rapportent à des éléments financiers (titres, comptes bancaires, devises, placements).
de plus en
plus complexes dans le but d’engranger de plus en plus de profits, quitte
à fermer les yeux sur les conséquences économiques réelles. Des montages
financiers ahurissants ont été mis sur pied sans le moindre contrôle des
autorités, et bien sûr sans aucune morale. Tant que cela fut possible, on
a dissimulé la face obscure de cette dérégulation derrière de beaux petits chiffres de croissance, sans révéler que cette croissance concernait uniquement les plus riches et que l’on assistait en fait à une croissance prodigieuse des inégalités.
Puis vint le moment où il ne fut plus possible d’affirmer que la mariée
était belle alors que sa robe était maculée de sang. La crise financière
internationale s’est déclenchée en août 2007 et s’est aggravée durant
l’année 2008. De grandes banques (Northern Rock, RBS, Bear Stearns, ING,
Fortis, Dexia, UBS et tant d’autres), de grandes compagnies d’assurance
(AIG), de grands organismes de crédit hypothécaire (Freddy Mac, Fannie
Mae) ont appelé l’Etat à l’aide et il a souvent accepté de les renflouer
ou d’organiser leur sauvetage. Mais au lieu d’en profiter pour reprendre
le contrôle de cette mécanique inhumaine devenue folle, l’Etat a laissé le
pouvoir de décision à ceux qui ont conduit l’économie mondiale dans
l’impasse actuelle.
Ce sommet du G20 est révélateur du fait que les leçons n’ont pas été
tirées. Les vieux démons du passé sont toujours là. Le FMI et la Banque
mondiale, bien que délégitimés par l’échec des mesures imposées depuis 25 ans et par la crise de gouvernance qui les frappe depuis quelques années (démission forcée de Paul Wolfowitz de la présidence de la Banque mondiale, démissions de Horst Köhler et Rodrigo Rato du FMI avant la fin de leur mandat, enquête récente autour de Dominique Strauss-Kahn au FMI), sont toujours au cœur des solutions proposées. La relance des négociations à l’OMC pour accroître la déréglementation économique, qui vient de faire la preuve de son échec, est remise sur le tapis. Alors que les prêts du FMI ne trouvaient plus preneur, la Hongrie, l’Ukraine et le Pakistan
viennent de se porter volontaires. Contrairement aux dénégations des
institutions concernées, les mêmes conditionnalités
Conditionnalités
Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt.
inadmissibles sont
toujours de mise : en contrepartie du dernier prêt, la Hongrie a dû
décider entre autre la suppression du 13e mois et le gel des salaires pour
les fonctionnaires. Le Japon a même proposé de fournir jusqu’à 100
milliards de dollars au FMI pour qu’il puisse accroître ses prêts et
poursuivre sa funeste action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
. Par ailleurs, la réunion de Washington pour
trouver une solution mondiale à la crise actuelle ne se tient pas dans le
cadre des Nations unies, mais dans le cadre restreint du G20. Ce sont donc les promoteurs d’un modèle injuste et non viable à terme qui sont chargés de le tirer d’affaire. Les seules solutions proposées défendent l’intérêt des grands créanciers. Les populations et les pays pauvres n’ont toujours pas leur mot à dire.
Quand un scénario est aussi incohérent et aussi mal ficelé, on espère
toujours un rebondissement final qui vienne apporter un peu de justice et de morale à l’ensemble. Ce rebondissement ne peut venir que des luttes sociales qui imposeront de par le monde une réorientation radicale des choix économiques. Et si le film finit aussi mal qu’il a commencé, le risque est grand que les spectateurs soient vraiment très mécontents et le fassent savoir aux vingt metteurs en scène de façon plutôt véhémente…
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).
Toutes les créances doivent être honorées, sauf...
Dette publique, un siècle de bras de fer22 avril 2020, par Eric Toussaint , Damien Millet , Renaud Lambert
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